UNIVERSITE LUMIERE - LYON 2

INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE LYON

Culture d’entreprise et motivation des

salariés


Mémoire de fin d’études

Claire HENRIET

Sous la direction de Monsieur Bernard BAUDRY
Mémoire soutenu le 6 septembre 2007

Membres du jury : Monsieur Bernard BAUDRY, Professeur, Université Lumière-Lyon 2 Monsieur
Christian MERCIER, Professeur, Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus . .
I. L’identification à l’entreprise, source de motivation . .
A. Présentation du modèle d’Akerlof et Kranton . .
B. L’entreprise est un lieu de socialisation . .
C. L’entreprise : lieu de construction identitaire . .
II. La culture d’entreprise, principal vecteur de l’identification . .
A. Essai de définition . .
B. Sources et composantes de la culture d’entreprise . .
C. Les modes de transmission de la culture d’entreprise . .
Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager . .
I. La motivation : une notion relative . .
A. La variation des besoins motivationnels . .
B. L’approche interactionniste . .
II. Le respect de la cohérence culturelle de l’entreprise : une condition à la motivation . .
A- Le respect de la cohérence interne . .
B- Le respect des caractéristiques nationales . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Annexes . .
ANNEXE 1 . .
ANNEXE 2 . .
ANNEXE 3 . .
ANNEXE 4 . .
ANNEXE 5 . .
ANNEXE 6 . .
Résumé : . .
Mots-clés : . .

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Remerciements
Je tiens à remercier très chaleureusement Monsieur Bernard BAUDRY, mon maître de mémoire,
pour son aide et sa disponibilité.
Que Mademoiselle Béatrice BOULU trouve également ici l’expression de mes plus sincères
remerciements pour les conseils avisés qu’elle m’a donnés.
Je remercie Monsieur Christian MERCIER d’avoir accepté de participer au jury de ce
mémoire.
Un grand merci aux personnes qui ont bien voulu m’accorder un peu de leur temps afin de
répondre à mes questions. Leur gentillesse et leur disponibilité m’ont beaucoup touché et leurs
réponses m’ont été d’une grande aide pour la rédaction de ce mémoire.
Je remercie également ma famille et mes proches pour l’indéfectible soutien et la précieuse
aide qu’ils m’ont apportés ainsi que pour l’intérêt qu’ils ont toujours montré à mon égard.
Je tiens enfin à exprimer ma sincère reconnaissance à Madame PENNA pour son accueil et à
son fils Wandrille pour sa présence et son soutien.

4

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Introduction

Introduction
L’entrée massive des femmes sur le marché du travail a tout d’abord eu d’importantes
conséquences. En effet, la grande majorité d’entre elles entendent concilier leur activité
professionnelle avec un investissement familial ou personnel. Comme le souligne le
sociologue Claude DUBAR, « Il en résulte un nouveau rapport social, où l’on privilégie
la tentative de forger son propre projet de vie, sa propre identité professionnelle, par
1

rapport aux rôles sociaux définis une fois pour toutes . »
Le travail n’occupe plus
une place centrale dans la vie des individus qui cherchent à établir un arbitrage entre
vie professionnelle et vie privée. Des mesures comme les RTT (Réductions du Temps de
Travail) ou encore les 35 heures en France ont facilité cette évolution, permettant une
augmentation des activités de loisirs. Le travail n’est donc plus la préoccupation principale
2
des salariés. En témoigne cette enquête publiée par « les Echos » en juillet 2003 . Lorsque
l’on avait alors demandé aux Français dans quel domaine il était, selon eux, le plus important
de réussir, la vie professionnelle n’arrivait qu’en troisième position après la vie familiale et la
vie affective. Cette métamorphose agit directement sur la motivation des individus qui vont
de manière quasi mécanique se détacher émotionnellement de leur entreprise et par voie
de conséquence être moins impliqués et donc moins motivés.
La seconde évolution majeure est relative à la mobilité des salariés. Cette évolution
a elle aussi comme conséquence une distanciation très nette des liens qui unissent
les individus à leur entreprise. Plusieurs éléments peuvent être retenus pour tenter
d’expliquer ce phénomène Les plans sociaux ou encore les fusions-acquisitions sont des
phénomènes qui se sont banalisés dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix avec
pour conséquence un accroissement du « turn-over » et une précarisation du travail elle
aussi accrue. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, intégrer une entreprise à la fin de
ses études et y effectuer toute sa carrière en gravissant progressivement les échelons
était monnaie courante. L’employeur vendait une carrière à l’individu au moment de
son recrutement. A cet égard, l’expression « Entrer en »,suivie du nom de l’entreprise,
expressionfréquemment employée par les salariés d’une grande entreprise française est
très révélatrice et a presque une connotation religieuse, témoignant du sentiment qu’avaient
les individus de s’engager pour toute la durée de leur vie professionnelle. La mobilité
inter-entreprise était donc bien moins fréquente qu’aujourd’hui où elle est devenue la
norme. Cette évolution est tout spécialement remarquée par les recruteurs qui rencontrent
aujourd’hui des jeunes qui ont intégré le modèle américain du « Fair Contract », modèle
ainsi résumé par un cadre de la même entreprise qui est souvent, de par ses fonctions,
amené à recruter : « tu me donnes tant je travaille, tu me donnes moins je travaille moins
3

et tu me donnes plus je travaille plus. » Il s’agit donc d’un contrat individuel et la relation
de confiance qui s’établissait entre le nouvel embauché et l’entreprise qui proposait un
plan de carrière à l’individu s’est complètement effritée dans la mesure où celui-ci ne
fait que passer dans une entreprise qui ne restera probablement qu’une parmi d’autres à
1
2

DUBAR Claude, La crise des identités, 2001
Sondage CSA/Enjeux pour Les Echos, juillet 2003, échantillon représentatif national de 1079 actifs
3

Voir ANNEXE 1

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

l’échelle de sa carrière. Dans ce cas, il est évident qu’il est plus difficile de développer un
fort d’appartenance qui, nous le montrerons, est une condition nécessaire à la motivation
des individus. D’autre part, motiver un personnel par exemple intérimaire ,qui n’est pas
forcément impliqué au niveau des résultats de l’organisation, est une tâche ardue et le
manager lui-même ne va pas forcément s’impliquer dans l’intégration de ce personnel.
Il convient enfin de montrer dans quelle mesure les phénomènes de spécialisation
de plus en plus intenses peuvent concourir à affaiblir la motivation des salariés au sein
de l’entreprise. Notre époque est en effet marquée par une spécialisation croissante des
activités. Les individus sont des spécialistes et ont par conséquent une vision de moins
en moins globale de leur activité en raison de la complexité croissante des produits et
4
des marchés. Pour reprendre la comparaison très pertinente d’un cadre , les individus
sont comme les ingénieurs qui travaillent sur la fusée Ariane et dont aucun ne serait en
mesure d’expliquer réellement quel est le fonctionnement global de celle-ci tellement les
mécanismes sont complexes. Les individus, de par cette forte spécialisation éprouvent ainsi
des difficultés à avoir une vision générale des défis auxquels est confrontée l’entreprise.
Ce constat peut avoir une influence sur la motivation des salariés et ce, à deux égards.
Ce manque de vision globale peut tout d’abord engendrer un intérêt plus faible pour les
projets globaux de l’entreprise et une perception plus floue et moins précise des enjeux
stratégiques auxquels celle-ci est confrontée. En un mot un plus grand désintéressement
vis-à-vis de la vie de l’entreprise dans la mesure où il est difficile d’être motivé par les
résultats d’une entreprise que l’on a du mal à appréhender dans sa globalité. Or, comme
nous le montrerons dans le corps de ce mémoire, une des conditions de la motivation est
une perception claire des enjeux auxquels l’entreprise est confrontée et des défis à relever.
D’autre part, cette évolution s’accompagne mécaniquement d’une diminution de l’autonomie
des individus qui aura elle-même pour conséquence, dans certains cas, une baisse de la
motivation des individus . En effet, la spécialisation est telle qu’il est de plus en plus rare
qu’un même individu soit en mesure de construire et de superviser un projet de A à Z. Il
va devoir collaborer avec d’autres services et cette perte d’autonomie peut générer une
certaine frustration et une démotivation.
Parallèlement à ces grandes évolutions, on remarque que les entreprises n’ont jamais
autant communiqué sur leurs valeurs et leur culture qu’aujourd’hui. Peut-être peut-on voir
là un lien de cause à effet. Si la notion de culture ne présente pas un intérêt en soi pour les
sciences de gestion, elle intéresse néanmoins les entreprises dans la mesure où elle peut
les aider à résoudre des problèmes concrets. A cet égard, le management se préoccupe
tout particulièrement de la culture quand il s’agit de manager des hommes. Akerlof et
5
Kranton , deux économistes américains, ont par ailleurs créé un modèle économique reliant
motivation et culture d’entreprise. Ils estiment en effet que l’entreprise peut motiver l’individu
en lui permettant, par le biais de la culture d’entreprise, de s’identifier à celle-ci.
Nous nous pencherons donc au cours de ce mémoire sur les liens qui relient la culture
d’entreprise à la motivation des individus. Nous nous demanderons à cet égard dans quelle
mesure la culture d’entreprise peut constituer un outil de motivation, comment elle doit être
utilisée et quelles conditions il convient de respecter pour que l’utilisation de la culture n’ait
un effet inverse à celui qui était escompté. Nous montrerons ainsi que la culture d’entreprise
est une notion complexe, qui peut sembler facile à utiliser mais qui, pour avoir une incidence
sur la motivation des individus, exige d’être manipulée avec précaution.
4
5

op.cit
AKERLOF George A. & KRANTON Rachel E., “Identity and the Economics of Organization”, Journal of Economic Perspective,

Vol.19, Number 1-Winter 2005, pages 9-32

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Introduction

L’entreprise est en effet un lieu de socialisation et donc de construction identitaire.
L’identité et les préférences des individus peuvent donc être modifiées et le principal
vecteur de cette modification est la culture d’entreprise. L’individu peut donc, au terme
de ce processus, s’identifier à l’entreprise et cette identification constituera un facteur de
motivation. Sans aller jusqu’à l’hypothèse d’une identification complète, nous montrerons
dans quelle mesure une culture d’entreprise forte permet à l’ensemble du personnel de
marcher d’un même pas vers un même objectif en provoquant l’adhésion.
Cependant, nous mettrons en évidence dans une seconde partie la complexité de la
notion de motivation et montrerons dans quelle mesure la culture d’entreprise doit être plus
qu’un outil et doit également être considérée comme un cadre au sein duquel il convient
d’agir. Nous adopterons par conséquent ici une perspective davantage interactionniste. La
culture d’entreprise est en effet garante d’une cohérence nécessaire à la motivation.
Il convient maintenant de retracer l’histoire du concept de culture d’entreprise et de
tenter de le définir afin de mieux en saisir toute la complexité.
Encensée ou dénoncée, la culture d’entreprise, comme nombre de concepts à la
mode, ne laisse pas indifférent. A la suite de la Seconde Guerre Mondiale, on commence
à s’interroger de plus en plus sur les rapports du technique et du social. Des travaux
comme ceux de E. Mayo, A.Maslow ou F. Hertzberg commencent à être connus alors qu’ils
s’intéressent depuis les années vingt aux dimensions informelles et psychologiques du
comportement humain dans les organisations.
Cependant, cette notion passe relativement inaperçue jusqu’au début des années
soixante dix. Elle réapparaît dans un premier temps aux Etats-Unis. La crise suscite alors en
effet une profonde remise en cause des modèles et pratiques traditionnels du management,
l’approche américaine rationnelle et scientifique qui avait jusque là dominé ne parvenant
plus à faire ses preuves. De nombreux chercheurs vont alors se pencher sur l’étude du
modèle japonais. Les entreprises japonaises tirent en effet leur épingle du jeu dans cette
période difficile et résistent bien à la conjoncture troublée. Très rapidement, les vertus
culturelles des entreprises japonaises sont alors évoquées. La recherche du consensus,
le mélange de modernité et de coutumes qui prévaut au sein des entreprises nippones,
le respect de la hiérarchie, la forte implication des membres de l’organisation et des
Japonais pour le bien collectif, les capacités d’innovation et de changement sont autant
d’éléments qui permettraient d’expliquer le dynamisme japonais. La culture d’entreprise
devient alors rapidement, de manière totalement irrationnelle et excessive, la réponse à
tous les problèmes du management. Les expressions « Culture d’entreprise » (« Corporate
culture »)et « Culture organisationnelle » (Organizational culture ») envahissent les revues
et ouvrages de gestion et les travaux consacrés au concept se multiplient. La notion de
« culture d’entreprise » est mobilisée par de nombreux dirigeants dans le débat sur le
changement et la modernisation. Il convient d’inscrire ce phénomène dans un contexte
plus large de remise en cause de l’ancienne culture « taylorienne ». Le capital humain
a trop souvent été négligé et il s’agit de remettre l’accent sur l’importance du facteur
humain comme un déterminant de la performance organisationnelle comme en témoigne la
réussite nippone. Pour reprendre les termes d’Eric Godelier, « l’entreprise est appréhendée
comme un tout cohérent dont la culture constitue à la fois le levier de transformation et
6

l’objectif ultime des restructurations. » L’adaptation des valeurs et des comportements des
salariés devient un objet managérial et un enjeu pour la réussite. D’autre part, les meilleures
entreprises américaines pratiquent ce que l’on appelle le « Management par les valeurs ». Il
6

GODELIER Eric, La culture d’entreprise, Collection Repères, La Découverte, Paris, 2006

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7

Culture d’entreprise et motivation des salariés

s’agit en quelques mots de rendre apparente une culture, qui existe souvent déjà de façon
informelle, de façon à donner du sens au travail des salariés. Il s’agit d’ accorder une plus
grande importance aux hommes en mettant en avant quelques valeurs essentielles. En
1982, deux ouvrages consacrés à la culture d’entreprise deviennent des best-sellers. Il s’agit
7
du célèbre In Search of Excellence de Tom Peters et Robert H.Waterman et de Corporate
8
Cultures : the Rites and Rituals of Corporate Life de Terrence Deal et Allan Kennedy .
Leur objectif est de faire prendre conscience aux dirigeants de la nécessité de prendre en
compte la culture d’entreprise dans la pratique du management en mettant au premier plan
les valeurs essentielles de l’organisation afin de gommer ou au moins gérer les sources
de tension. Au cours des années quatre-vingt, l’intérêt pour les questions culturelles va se
diffuser dans l’opinion publique et les médias. Ainsi, la culture va devenir un objet central
du management des années quatre vingt.
Cependant, si le concept a soulevé un large intérêt, il a également provoqué un certain
scepticisme. Pour beaucoup, il ne s’agissait ni plus ni moins qu’un simple phénomène de
mode. En effet, la culture d’entreprise a été présentée à l’époque comme la solution garantie
à tous les problèmes rencontrés par les managers, un outil simple à utiliser et fonctionnant
« à tous les coups ». Devant de telles attentes, nombreux ont été ceux qui furent déçus, se
rendant compte que la culture d’entreprise n’était pas la solution miracle tant vantée dans
le ouvrages et les revues de management et qu’il ne suffisait pas de créer et proclamer des
valeurs pour que la performance arrive immédiatement. Dès lors, la culture d’entreprise a
été frappée du sceau du scepticisme et les mauvaises langues ont même accusé la culture
d’entreprise de n’être rien d’autre qu’un concept conçu de toutes pièces par les dirigeants
avec pour vocation d’être ni plus ni moins qu’ un outil de légitimation. Ces best-sellers ont
en effet été accusés d’être beaucoup trop clairs, manichéens et simplificateurs pour être
crédibles et de donner des recettes toutes faites pour manier une réalité qui, nous allons le
voir maintenant est très complexe. Ce discrédit est regrettable dans la mesure où comme
nous allons tenter de le montrer la culture d’entreprise a le mérite de fournir des schémas de
compréhension moins réalistes de l’entreprise, peut être plus proche de ce que les individus
vivent tous les jours.

7

PETERS Tom et WATERMAN Robert H., In Search of Excellence: Lessons from America’s best-run companies, Harper and

Row, New-York, 1982
8

8

DEAL Terrence et KENNEDY Allan, Corporate Cultures : the Rites and Rituals of Corporate Life, Reading, Addison-Wesley

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Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus

Partie I La culture d’entreprise : outil de
motivation des individus

I. L’identification à l’entreprise, source de motivation
A. Présentation du modèle d’Akerlof et Kranton
1. L’exemple de West Point
Akerlof et Kranton entament leur démonstration en partant d’un exemple très précis : la
formation des cadets de West Point, la prestigieuse école militaire américaine.
Les deux économistes poursuivent leur raisonnement en montrant dans quelle mesure
l’institution militaire agit en faveur de la promotion de cette identité. En effet, les idéaux et
attitudes à adopter sont clairement exprimés et enseignés. Pour reprendre les termes du
modèle d’Akerlof et Kranton, l’institution investit afin de transformer des « «outsiders » en
« insiders ». Le but est d’agir de telle sorte que les cadets internalisent les valeurs de West
Point afin qu’ils deviennent des insiders qui s’identifient aux buts de l’institution.

2. Application de l’exemple aux salariés

B. L’entreprise est un lieu de socialisation
Ces deux auteurs ont montré que l’entreprise constitue un lieu de socialisation des individus.
A ce titre, des identités et des cultures s’y créent, évoluent et disparaissent.

1. L’entreprise, institution secondaire de socialisation
2. La tradition culturaliste
La tradition culturaliste, appelée également tradition fonctionnaliste, met en effet l’accent sur
les mécanismes d’intégration d’un individu à un groupe social donné et montre comment
l’identification repose sur des modes de transmission suffisamment puissants pour façonner
les comportements individuels dans le sens d’une conformité aux normes collectives.
Ce courant se situe, même si nous verrons ultérieurement qu’il faut nuancer ce constat,
en opposition au courant dit « interactionniste ». Celui-ci se distingue de l’approche
fonctionnaliste par la dimension accordée à la part d’indétermination de l’identité qui se
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9

Culture d’entreprise et motivation des salariés

recompose en fonction des différents espaces de socialisation dans lesquels l’individu
est inséré. Cette tradition met davantage l’accent sur les mécanismes relationnels de
production de l’identité et inscrit l’identité comme le résultat provisoire et contingent d’une
inscription dans un système particulier d’interactions à un moment précis. Il s’agit donc d’une
relation d’interdépendance qui s’établit entre l’individu et son milieu dans la mesure où, si
l’individu est modelé par la socialisation, il dispose lui aussi d’une capacité d’influence sur
le système social dans lequel il évolue. Ce courant interactionniste, dont l’un des principaux
ambassadeurs est le sociologue Michel Crozier, serait donc en quelques sortes moins
déterministe que le courant fonctionnaliste.
La thèse culturaliste a tout d’abord été développée en sociologie générale et est
apparue dans les travaux d’Emile Durkheim au début du XXème siècle. Hégémonique en
ethnologie, elle n’est apparue dans les travaux sur l’entreprise que très récemment. Gert
Hofstede, Philippe d’Iribarne et Renaud Sainsaulieu en sont ses principaux ambassadeurs,
9
récusant l’hégémonie du modèle interactionniste. Ainsi, Sainsaulieu, dans un texte de 1986
rédigé avec Denis Ségrestin explique que le modèle interactionniste sous-estime gravement
la dimension de « lieu social central » et de « foyer de production identitaire » présentée par
l’entreprise. « Celle-ci ne peut en effet se réduire à un « théâtre » pour des jeux d’acteurs
mais se caractérise au contraire par une propension à produire des valeurs, des normes
10
et des représentations. » En effet, une entreprise regroupe des hommes qui développent
entre eux des relations multiples. Elle produit donc à ce titre des appartenances et sécrète
des normes et des valeurs. L’entreprise produit donc un système d’évidences partagées
ou culture.

C. L’entreprise : lieu de construction identitaire
1. Définition de l’identité
Il convient tout d’abord de distinguer les concepts certes voisins, mais néanmoins différents
11
d’identité et de culture. Pour Hofstede , l’identité est quelque chose de conscient. On peut
ainsi en être fier et la montrer ou bien en avoir honte et la cacher. L’individu connaît son
identité et celle-ci peut être une identité ethnique, linguistique, régionale, de genre, sexuelle,
de formation.
La culture, quant à elle, est quelque chose de « préconscient ». Un bon exemple pourrait
être les bonnes manières. Celles-ci sont tellement intégrées que, pour beaucoup, elles ne
sont pas conscientes. Comme le dit Hofstede, « ce qui diffère, ce sont les règles du jeu :
les règles formelles qui ont donné lieu à des lois mais encore plus les informelles, celles
qui déterminent comment saluer, manger, corriger, aimer, sa battre. » Hofstede en conclue
donc qu’il est possible d’avoir des identités différentes sans différences culturelles. Il prend
comme exemple les pays de l’ex-Yougoslavie sont de culture proche mais d’identité très
différente. Mais il est aussi possible d’avoir une identité partagée sans culture commune
comme les pays de l’Union européenne. Si l’on revient à la problématique de l’entreprise,
9

SAINSAULIEU Renaud et SEGRESTIN Denis, « Vers une théorie sociologique de l’entreprise », Sociologie du travail, N

°3, 1986
10

SAINSAULIEU Renaud et SEGRESTIN Denis, « Vers une théorie sociologique de l’entreprise », Sociologie du travail, N

°3, 1986
11

10

HOFSTEDE Gert Jan, “De l’importance des règles culturelles en entreprise”, Les Echos, 11 juillet 2007

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Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus

on pourrait dire qu’un groupe de travail pourrait avoir des identités de sous-groupe mais la
même culture ou bien une même identité et une culture plurielle.

2. Typologie des modèles identitaires de Sainsaulieu
Sainsaulieu s’est largement intéressé au thème de l’identité au sein de l’entreprise. Dans
son fameux ouvrage L’identité au travail

12

, il distingue cinq modèles identitaires différents :

Le modèle réglementaire, le modèle communautaire, le modèle professionnel de
service public, le modèle professionnel, le modèle de la mobilité et enfin, le modèle
entrepreuneurial.

3. Le modèle entrepreuneurial
Le dernier modèle identitaire mis en lumière par Sainsaulieu nous intéresse tout
particulièrement dans la mesure où il se situe tout à fait dans notre perspective et correspond
parfaitement au modèle d’Akerlof et Kranton. Il s’agit du modèle dit entrepreneurial. Dans ce
modèle, les individus se mobilisent individuellement et collectivement pour leur entreprise.

3.1 - Une identification à l’entreprise et à ses produits
Ce modèle identitaire est caractérisé par un phénomène d’intégration à une collectivité
par l’intermédiaire d’un double processus. Cette intégration s’opère en effet par le
contenu du travail (référence fréquente faite à un métier) mais également, et c’est ce
qui fait toute l’originalité de ce modèle, par une adhésion aux valeurs de l’entreprise
(référence à la culture d’entreprise). Les individus se créent donc une double identité :
une identité de métier ainsi qu’une identité d’entreprise. Dans ce modèle, l’individu
intériorise la logique de développement économique de l’entreprise et la relie par à la
possibilité de perfectionnement individuel. Ainsi, le projet individuel se confond avec le
projet de l’entreprise. Pour réussir et maximiser son utilité, l’individu doit tout mettre en
œuvre pour servir son entreprise. Ce modèle correspond ainsi tout à fait au schéma
13
d’Akerlof et Kranton précédemment présenté. L’identification à l’entreprise est donc totale.
L’importance de cette identification se manifeste par un profond attachement à celle-ci et
par un sentiment de valorisation personnelle à l’idée d’en être partie prenante mais elle
se traduit également par un attachement à ce que l’on appelle le produit ou « métier » de
l’entreprise .

3.2-Une conception entrepreneuriale du travail
Sainsaulieu met ici en lumière l’appropriation des contraintes du marché par les
individus, c’est à dire une intériorisation de la dimension économique de l’entreprise. Le
développement de l’entreprise est par conséquent perçu comme une finalité intrinsèque
pour chaque individu. L’implication dans le travail est le reflet de cette mobilisation au service
de l’entreprise. Le contenu du travail constitue également un espace d’investissement et de
construction de compétences professionnelles. Ainsi, la qualité du travail, l’importance de
l’autonomie, le désir de progression rapprochent ce modèle du modèle professionnel.
12
13

SAINSAULIEU Renaud, L’Identité au travail, Presses de Sciences-Po, Paris, 1985
op.cit p.10

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11

Culture d’entreprise et motivation des salariés

La forte implication au travail constitue une caractéristique de cette logique identitaire
et va de pair avec la notion de dépassement de soi et le sentiment de responsabilité visà-vis de l’entreprise. Dans ce modèle, l’expérience constitue un facteur de cumulativité
important qui permet d’améliorer ses pratiques, sa compétence technique, relationnelle et
organisationnelle.

3.3-Des sociabilités intenses orientées vers la réalisation des objectifs
économiques
Cette forte mobilisation au travail « suppose une dynamique sociale particulière qui privilégie
14
les ajustements informels et évolutifs au respect d’une règle formelle permanente » .
La qualité des relations sociales est en effet un élément clé de l’implication au travail.
L’ambiance de travail est considérée comme un critère important du bon fonctionnement
de l’entreprise et à ce titre, la convivialité et la bonne entente sont un des ressorts de la
mobilisation collective. Les relations entre collègues peuvent être qualifiées de doubles.
Elles sont tout d’abord vécues sur le plan instrumental dans la mesure où elles sont
orientées vers la coopération pour un objectif commun de réussite de l’entreprise. Elles
sont d’autre part caractérisées par une convivialité intense qui dépasse le cadre strictement
professionnel. Ainsi, le manager doit être en mesure de s’appuyer sur ses capacités
d’animation d’une équipe autant que sur son expertise. Pour être suivi, il doit avoir une
« autorité naturelle » sans avoir à contraindre le personnel. Il doit ainsi avoir un profil de
« leader ». Le modèle entrepreneurial correspond à une alliance entre un « attachement
maison » traditionnel et une forme plus moderne et offensive de culture d’entreprise.
L’intégration à l’entreprise y est très forte, celle-ci étant vécue comme le lieu :
-d’une communauté d’individus
-de construction d’expertise
-de la carrière possible
-du dépassement de soi
Sainsaulieu souligne le fait que les entrepreneurs sont présents dans deux types
d’entreprises en particulier : les petites et moyennes entreprises, positionnées dans une
logique d’expansion rapide, qui rassemblent ses salariés autour d’un projet commun
de développement et quelques grandes entreprises publiques ou privées. Il s’agit alors
d’entreprises chargées d’histoire, qui ont développé antérieurement un « esprit maison » et
dont le renouvellement a pris la forme de l’ « esprit d’entreprendre ».

II. La culture d’entreprise, principal vecteur de
l’identification
A. Essai de définition
14

12

op.cit. p.16

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Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus

La culture d’entreprise est une notion extrêmement complexe, en témoignent la multitude
de définitions que l’on peut en trouver. Il convient, avant d’essayer de dégager quelques
éléments caractéristiques qui font l’unanimité, de présenter les différentes théories qui
concernent le sujet.

1. La culture comme variable ou comme métaphore

15

Dans un très célèbre article publié en 1983 dans la revue Administrative Science Quarterly,
16
Laura Smircich a structuré les diverses approches de la culture d’entreprise à partir de la
distinction entre la culture considérée comme étant une variable ou une métaphore.

1.1« L’organisation A une culture »
Quand l’on considère que l’organisation A une culture, on considère, qu’elle a une
caractéristique particulière qui est sa propre culture. C’est tout à fait le présupposé théorique
qu’avaient adopté Peters et Waterman dans leur best-seller. L’entreprise a une structure,
des systèmes de gestion mais aussi une culture.
La culture est donc considérée dans cette approche comme une variable du système
ce qui conduit à se demander ce qu’elle apporte et comment elle interagit avec les autres
variables. L’objectif est par la même d’essayer de la faire agir dans le sens des buts de
l’entreprise.

1.2« L’organisation EST une culture »
La culture est ici comprise d’une façon totalement différente. L’entreprise, à l’instar de toute
société humaine, est considérée en elle-même comme une culture. Il faut donc l’étudier en
« anthropologue ».

2. Brève définition
La définition la plus communément employée dans la littérature est celle qu’Edgar Schein
17
propose dans Organizational Culture and Leadership.
Pour lui, la culture d’entreprise constitue :
« Un modèle d’assomptions de base, qu’un groupe donné a découvert, inventé et
développé, en apprenant à faire face aux problèmes d’adaptation externe et d’intégration
interne, qui ont été suffisamment éprouvés pour être considérés comme valides et donc être
enseignés aux membres comme étant la manière juste de percevoir, de penser en relation
à ses problèmes. »
Il s’agit donc d’un ensemble d’évidences partagées, de formes acquises de
comportement.
Ces composantes de la culture d’entreprise sont évidentes dans la mesure où elles
ne se justifient pas et où elles sont considérées comme des acquis que l’on ne remet pas
en cause. Les individus finissent donc par les oublier, ne plus les voir et donc ne plus les
15
16
17

THEVENET Maurice, La culture d’entreprise, Que sais-je, Presses Universitaires de France, Paris, 2006
SMIRCICH Laura, Concepts of Culture and Organizational Analysis, Administrative Science Quarterly, n°28, 1983
SCHEIN Edgar, Organizational Culture and Leadership, Jossey-Bass, San Francisco, 2e edition, 1992

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13

Culture d’entreprise et motivation des salariés

discuter. Ces évidences peuvent concerner la perception des phénomènes ou bien la façon
de réagir à des situations.
Ces évidences sont d’autre part partagées entre les membres de l’entreprise. Cela ne
18
signifie pas, comme le rappelle Thévenet qu’il s’agisse d’une connaissance commune.
Pourtant, les membres d’une entreprise agissent selon sa culture sans en être conscients.
C’est en cela qu’elle est partagée. Cela ne signifie pas non plus que tout le monde adopte
cette culture. L’adhésion peut être plus ou moins forte selon les individus. Seulement, ces
évidences s’imposent à tout le monde et il faut souvent faire avec.
Après cette brève tentative de définition, nous allons maintenant nous pencher sur les
sources et les composantes d’une culture d’entreprise.

B. Sources et composantes de la culture d’entreprise
1. Les sources de la culture d’entreprise
1.1.La culture nationale
19

Gert Van Hofstede , spécialiste du management inter culturel a largement montré dans
quelle mesure les cultures nationales sont une des sources de la culture d’une entreprise.
Il définit en effet cinq dimensions majeures qui vont servir de critères de différenciation :

a. La distance au pouvoir
La distance au pouvoir fait référence au degré suivant lequel les membres d’une société
acceptent une répartition inégale du pouvoir. Dans les cultures à faible distance au pouvoir
comme les cultures scandinaves et germaniques par exemple, les relations de travail sont
relativement égalitaires et les supérieurs hiérarchiques facilement accessibles.
A l’inverse, dans les pays marqués par une forte distance au pouvoir, les employés sont
soumis à l’autorité de leurs supérieurs et les relations sont fortement hiérarchisées.

b. L’évitement de l’incertitude
L’évitement de l’incertitude traduit la mesure dans laquelle les membres d’une culture
acceptent ou au contraire ressentent de l’anxiété face aux situations incertaines et
ambigües. Les cultures qui cherchent à réduire l’incertitude tendent à multiplier les règles
et réglements, à valoriser le conformisme et la sécurité et à travailler dur. En revanche,
les cultures tolérantes à l’incertitude, tels que les pays scandinaves ou anglo-saxons,
contrôlent moins les comportements et sont plus ouverts à l’initiative personnelle et aux
idées nouvelles.

c. La masculinité/féminité
Cette dimension appréhende la différenciation des rôles entre sexes dans la société. Les
cultures masculines établissent une distinction claire entre les rôles masculins et féminins
18
19

14

THEVENET Maurice, La culture d’entreprise, Que sais-je, Presses Universitaires de France, Paris, 1986

HOFSTEDE Gert Van, Vivre dans un monde multiculturel, Editions d’Organisation, Paris, 1994

henriet claire_2007

Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus

et admettent la prédominance des rôles masculins, plus orientés vers la performance
économique.
Dans les cultures plus féminines, hommes et femmes sont davantage sur un pied
d’égalité et, par conséquent, les valeurs féminines centrées sur la qualité de vie sont plus
accentuées.

d. L’individualisme/collectivisme
L’individualisme/collectivisme traduit la primauté accordée à l’individu par rapport à la
collectivité. Les sociétés fortement individualistes encouragent l’indépendance de l’individu,
l’initiative privée, la liberté d’action et l’épanouissement personnel tandis que les sociétés
collectivistes privilégient l’interdépendance, la loyauté au clan et à la famille, l’intérêt collectif
avant l’intérêt individuel.
Cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle a été complétée en 1990 par
20
une enquête menée au sein de vingt unités issues de dix entreprises hollandaises et
danoises. Elle a permis de mieux préciser ce qui, dans la culture d’une entreprise, est
déterminé par l’environnement culturel national et ce qui émane de l’entreprise elle-même.
Il apparaît que les valeurs des employés sont essentiellement fonction des critères de
nationalité, d’âge et d’éducation. A l’inverse, les pratiques quotidiennes qui correspondent
aux normes comportementales et aux artefacts culturels, sont déterminés avant tout par
l’organisation d’appartenance. Les valeurs différencieraient essentiellement les cultures
nationales tandis que les pratiques constitueraient le principal élément distinctif des cultures
organisationnelles. Hofstede en conclue donc que les valeurs sont essentiellement acquises
au moment de la socialisation primaire alors que les pratiques sont apprises lors du
processus de socialisation organisationnelle.

1.2.La culture de métier
Une culture d’entreprise est également dépendante de la culture du métier de l’entreprise.
Ainsi, une entreprise spécialisée dans la sidérurgie aura des caractéristiques culturelles
différentes qu’une banque ou qu’un laboratoire pharmaceutique.

1.3.La culture organisationnelle
La culture organisationnelle regroupe les deux précédentes sources complétées par
l’histoire de l’entreprise, les habitudes acquises et les comportements valorisés. Il s’agit de
la dimension la plus personnelle de l’entreprise
Cette culture se forme avec le temps, elle est le résultat de l’expérience de l’entreprise,
des ses difficultés, elles est le produit de son histoire, elle est née des diverses interactions
humaines et elle a pu être orientée par des leaders marquants.
L’entreprise E1 a du faire face il y a quelques décennies à une grande grève qui a
paralysé ses activités pendant une assez longue période. Cette expérience traumatisante
est tout à fait même d’expliquer, au moins en partie, l’importance accordée à la paix sociale
dans cette entreprise.

20

HOFSTEDE G.J., NEUIJEN B. OHAVY D.D. & SANDERS G. « Measuring organizational cultures : A qualitative and

quantitative study across twenty cases”, Administrative Science Quarterly, n°35, p. 286-316, 1990

henriet claire_2007

15

Culture d’entreprise et motivation des salariés

21

Un autre exemple rapporté par un cadre de E1 est une bonne illustration de cette
culture organisationnelle qui ne dépend ni du métier, ni de la culture nationale : « Dans
l’entreprise E2, la liberté de parole était très importante, on se devait d’avoir un avis sur
tout, même sur un sujet qui ne nous concernait pas directement. Tout le monde avait un
avis sur la stratégie de l’entreprise. Cependant, le risque de cacophonie était par voie de
conséquence plus important.
Dans l’entreprise E1, le respect de la hiérarchie faisait que de tels attitudes étaient
impensables et que chacun parlait de son domaine. »

2. Les composantes de la culture d’entreprise
2.1. Croyances, valeurs et normes
La culture d’entreprise est d’abord composée de croyances, de valeurs et de normes qui
déterminent ce qui est bien ou mal, ce qu’il convient de faire face à une situation donnée.
Ce sont des principes fondateurs sur lesquels toutes les actions reposent.
On peut distinguer deux types de valeurs : les valeurs dites « déclarées » et les valeurs
dites « opérantes ».
Les valeurs déclarées figurent dans les projets, discours, plaquettes rapports annuels et
brochures. Elles traduisent un état d’esprit éphémère correspondant à une situation donnée.
Les valeurs opérantes, elles, sous-tendent les décisions, les stratégies et les modes
de fonctionnement.
Afin d’illustrer cette différence, on peut reprendre les propos d’un cadre de l’entreprise
E. « Entre des valeurs de solidarité chez E1 et des valeurs individualistes chez E2, on a
pris un autre registre de valeurs pour ne vexer personne, on s’est mis à un niveau beaucoup
plus en amont. » On peut penser que les valeurs de solidarité pour l’une et individualistes
pour l’autre étaient des valeurs opérantes qui sous-tendaient toutes les attitudes et que le
nouveau corpus de valeurs serait davantage constitué de valeurs déclarées.
22

2.2. Mythes et histoires
Il s’agit ici d’anecdotes, d’histoires maintes fois racontées et par conséquent souvent
déformées, qui entretiennent le sentiment d’appartenance à une communauté. Ces mythes
et histoires peuvent aussi servir de références, de modèles, correspondant à « ce qu’il
convient de faire ». Les mythes peuvent également être des membres marquants de
l’entreprise qui ont laissé leur trace et qui sont parfois considérés comme de véritables
23
« héros managériaux ».

2.3. Rites collectifs, signes et symboles
La culture d’entreprise est enfin constituée de tout un ensemble de rites collectifs, signes et
symboles. Des éléments aussi informels et différents que les codes vestimentaires, les types
de socialisation, les modes de communication interne, etc. rentrent dans cette catégorie.
21
22
23

16

Voir ANNEXE n°4
Voir ANNEXE 3

GODELIER Eric, La culture d’entreprise, Collection Repères, La Découverte, Paris, 2006

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Partie I La culture d’entreprise : outil de motivation des individus

Là encore, un exemple concret peut aider à mieux percevoir de quoi il s’agit. Monsieur
24
V. raconte ainsi que les membres de l’entreprise E2 ne se serraient jamais la main le matin
mais se disaient simplement « Bonjour ». Les membres de l’entreprise E1, eux, avaient
l’habitude de se serrer la main. Cet exemple, aussi anecdotique qu’il puisse paraître nous
montre parfaitement un des aspects d’une culture d’entreprise qui est aussi constituée de
petits éléments complètement informels et anodins mais qui font que, partagés, ils aident
l’individu à se sentir membre d’un groupe.

C. Les modes de transmission de la culture d’entreprise
Il convient maintenant d’examiner les divers processus de transmission de la culture,
processus qui produiront la socialisation des individus au sein de l’entreprise. Renaud
25
Sainsaulieu repère trois processus majeurs de socialisation :


La transmission par les Anciens



L’apprentissage issu de l’expérience professionnelle



La prescription idéologique
Pour Sainsaulieu, seule l’existence de ces processus permet d’apprécier la réalité d’une
dimension culturelle de l’entreprise

1. La transmission par les Anciens
Au sein de l’entreprise, cette transmission peut se faire au moment des sessions de
formation mais également pendant les séminaires d’accueil. Les séminaires sont en effet
un lieu privilégié de transmission d’une culture. Ils sont de plus en plus courants et
deviennent même obligatoires dans certaines entreprises. Les séminaires concernent
toutes les catégories de salariés. Ils permettent, de faire se rencontrer des gens issus des
divers pôles de l’entreprise mais également des individus de toutes nationalités. On cherche
également à faire se rencontrer et interagir les générations. En effet, comme le rappelle
26
B ., « la culture d’entreprise se répand et s’affirme à travers le « network » que chaque
individu peut construire. » Une fois le candidat embauché, celui-ci va donc participer à des
séminaires d’intégration qui vont lui permettre de découvrir le groupe, son organisation, sa
culture mais aussi de rencontrer ses pairs et de commencer à se constituer un réseau. En
effet, le rôle des Anciens dans la transmission de la culture d’entreprise est fondamental et
c’est essentiellement par contact qu’une culture perdure.
Cette transmission par les anciens va se faire d’une façon très naturelle dans la mesure
où ceux-ci représentent, aux yeux des nouveaux recrutés, le modèle à suivre par excellence.
La référence aux héros mythiques de l’entreprise va également être véhiculée par ce biais.

2. L’apprentissage issu de l’expérience professionnelle

24
25

Voir ANNEXE 3

SAINSAULIEU Renaud, Sociologie de l’entreprise, Organisation, culture et développement, 2de édition, Collection Amphithéâtre,

Presses de Sciences Po et Dalloz, Paris, 1997
26

Voir ANNEXE 1

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17

Culture d’entreprise et motivation des salariés

On peut penser que ce mode de transmission est davantage efficace dans la mesure où il
repose sur un phénomène de coercition. L’individu, pour s’intégrer, doit se conformer aux
attitudes qu’il va lui-même observer.

3. La prescription idéologique
La culture intègre également la vision que les dirigeants cherchent à donner à l’avenir.
Cette transmission s’effectue par l’intermédiaire des chartes, projets, plans, tracts et
brochures destinés à promulguer des recommandations écrites et des ordres à l’ensemble
de l’entreprise.
Mais cette prescription idéologique peut également s’exprimer à travers d’autres biais.
Ainsi, les discours d’un dirigeant qui commente l’événement ou les messages exprimant des
orientations stratégiques sont également considérés comme étant des vecteurs de culture.

4. L’évolution du poids du passé dans la culture d’entreprise
Nous avons montré tout au long de cette première partie que la culture d’entreprise peut
ainsi être considérée comme un outil de motivation et ce, à plusieurs égards.
En permettant l’intégration de l’individu à une véritable société, la culture va lui
fournir des éléments de motivation. En effet, l’individu a besoin de sens, de cohérence
pour être motivé, pour reprendre les termes de Monsieur D.
besoin de « savoir ou le corps social veut les orienter. »

27

, les individus ont

Mais la culture joue un rôle encore plus déterminant dans la motivation quand elle
parvient à modifier les préférences des individus. En effet, les expressions les plus fortes de
la culture d’entreprise sont celles qui sont internalisées par les individus et qui deviennent
une partie de leur identité. La culture joue, dans ces conditions un grand rôle dans la
motivation des salariés qui, comme nous l’avons montré vont s’identifier à l’entreprise, la
réussite de l’individu étant de fait désormais liée à celle de l’entreprise.
La culture d’entreprise constitue donc un formidable outil à la disposition des managers.
Nous allons cependant nous attacher à montrer dans une seconde partie que la culture
d’entreprise est un outil complexe à manager, d’autant plus complexe que l’être humain
n’est pas prévisible et que son comportement est susceptible d’évoluer.
Nous montrerons dans quelle mesure la culture d’entreprise constitue également un
cadre d’action qu’il convient de respecter afin de préserver la cohérence de l’organisation,
la cohérence constituant une des conditions majeures de la motivation.

27

18

Voir ANNEXE 4

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Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

Partie II La culture d’entreprise : un outil
difficile à manager
I. La motivation : une notion relative
A. La variation des besoins motivationnels
1. En fonction des générations
Earle, dans un article du Journal of Facilities Management
motivation varient en fonction des générations.

28

montre que les sources de

Les baby-boomers nés entre 1949 et 1965 sont généralement motivés par un
environnement de travail calme. Ils peuvent néanmoins s’adapter à un contexte un
environnement un peu plus énergique à condition qu’ils puissent bénéficier à la fois d’une
certaine flexibilité et d’une autonomie pour être en mesure de concilier vie professionnelle
et vie privée comme bon leur semble.
La génération X dont les membres sont nés entre 1966 et 1977 sont motivés par la
flexibilité à condition que celle-ci ait un impact sur leur salaire.
Enfin, la génération Y dont les membres sont nés après 1977 sont motivés par de
nombreuses relations informelles avec leurs collègues afin d’apprendre et d’évoluer. Ils sont
également sensibles à un environnement de travail ouvert au sein duquel la tolérance, la
diversité et l’échange tiennent la dragée haute.

2. En fonction de la situation de l’individu
Selon Claude Lévy- Leboyer , « il est illusoire de penser recruter des individus qui seront
29
motivés pour tout et par tout. »

3. En fonction des cultures nationales
30

Schneider et Barsons ont montré à quel point la motivation est conçue différemment en
fonction de la culture nationale.
Ainsi, dans la culture américaine, la motivation d’un individu est fonction de sa propre
contribution. Dans un pays comme le Danemark, la motivation va être liée à la performance
28

EARLE Eather A. “Building a workplace of choice: Using the work environment to attract and retain top talent”, Journal of Facilities

Management, Volume 2, n°3, 2003, p.244-257
29
30

LEVY-LEBOYER Claude, La motivation dans l’entreprise Modèles et stratégies Editions d’Organisation, Paris, 2002
SCHNEIDER, S.C. & BARSONS, J-L, Managing across cultures, Harlow, Prentice Hall, 2e edition, 2003

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19

Culture d’entreprise et motivation des salariés

collective alors qu’au Japon, exemple extrême, la motivation est reliée à la volonté d’aider
l’individu à travailler pour le bien de son entreprise.

B. L’approche interactionniste
1. La théorie
D’autres auteurs ont étudié plus directement la proximité entre les valeurs personnelles des
employés et celles qu’ils perçoivent dans leur environnement de travail ou celles auxquelles
adhèrent effectivement leurs supérieurs hiérarchiques ou leurs collègues. Tous ont constaté
les répercussions positives de ces formes de congruence sur l’épanouissement affectif des
individus au travail, sur leur désir de rester dans l’entreprise ou sur la cohésion des groupes
31
de travail. Enfin, les travaux de Chatman ont montré que les individus présentant un profil
de valeurs proche du profil moyen des membres de leur entreprise sont davantage attachés
à celle-ci.
Il semble donc que les individus s’épanouissent, s’investissent et choisissent de rester
dans les environnements culturels qui concordent avec leurs priorités personnelles.
32

A cet égard, l’exemple constitué par Madame H . est révélateur. Elle se sent en
effet démotivée dans la mesure où elle ne se reconnaît pas dans la nouvelle culture de
l’entreprise E.
Dès lors, va se poser la question de savoir comment cet idéal d’adéquation entre
l’individu et son entreprise peut être atteint. Nous allons montrer que plusieurs mécanismes
sont à l’œuvre.

2- Les moyens pour d’atteindre l’idéal d’adéquation
Deux grands cas de figure sont envisageables. Les futurs employés peuvent tout d’abord
être attirés et postuler dans des entreprises qui correspondent déjà à certaines de leurs
préférences. Il est aussi possible que l’entreprise ne recrute que des individus dont elle sait,
nous verrons comment, qu’ils intégreront facilement et rapidement la culture de l’entreprise.

2.1 Une pré-sélection par le candidat
D’autre part, il paraît plus pertinent, et peut-être moins idéaliste, de penser que le choix
de l’entreprise dépend plus de la valeur marchande de l’entreprise que de ses valeurs
« morales ». L’individu raisonnerait ainsi plus en fonction de la valeur marchande qu’il
acquérrait en travaillant dans cette entreprise plutôt que dans une autre. Ce raisonnement
est à inscrire dans le processus plus global de mobilité inter-entreprise accrue qui a déjà
33
été évoqué. Un cadre de l’entreprise E partage cet avis : « On communique pas mal sur
la marque vis-à-vis de l’extérieur. C’est important pour attirer les meilleurs et le fait que la
marque ait une valeur financière forte, c’est une manière de dire « si vous venez chez nous,
vous acquérrez une certaine valeur également de reconnaissance sur le marché. » Mais je
31

CHATMAN Jenifer A., „Improving Interactional Organizational Research: A Model of Person-Organization Fit, The Academy of

Management Review, Vol.14, N°3, p.333-349, July 1989
32
33

20

Voir ANNEXE 6

Voir ANNEXE 1

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Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

n’ai pas le sentiment que ce soit au delà de cette valeur financière. L’image de [l’entreprise]
est forte et bonne à l’étranger mais on ne recrute pas en disant « Regardez nos valeurs »
et les jeunes ne viennent pas pour les valeurs. Ils viennent pour les perspectives, le salaire,
… mais je n’ai pas de souvenir de quelqu’un qui m’ait dit « je viens chez vous pour telle et
telle raison et au-delà de cela, pour vos valeurs », ce qui pourrait être une argument. »

2.2. Une pré-sélection par l’entreprise
a) Lors de l’embauche
34

Dans le modèle de perpétuation culturelle de Sathe , le processus d’action sur les identités
commence au moment même de l’embauche. Il considère en effet que l’entreprise tend à
recruter et à sélectionner des candidats qui sont prêts à adhérer à ses valeurs, qui pourront
se « fondre dans le moule » aisément. Les spécialistes de la sélection sont capables
d’évaluer avec suffisamment de précision la congruence de valeurs entre un candidat et
l’organisation et recommandent davantage les candidats congruents comme l’ont montré
Cable et Judge. Il n’est, à cet égard pas anodin que les recruteurs aient de plus en plus
recours aux tests de personnalité lors des embauches.
Dans une interview publiée sur le site de l’entreprise A, la responsable du recrutement
met en exergue le fait qu’il est impossible d’établir un profil du candidat idéal. Les qualités
recherchées dépendent en effet en grande partie des compétences requises pour le poste
convoité. Elle nuance cependant ses propos en affirmant qu’il est néanmoins possible de
définir un socle d’attitudes et de comportements que l’entreprise recherche chez l’ensemble
des candidats et qui correspondent aux valeurs du groupe. Selon elle, il est important que
les candidats se reconnaissent et se projettent dans ces valeurs qui sont l’engagement,
l’ambition, la réactivité et la créativité. D’autre part, au delà de ces valeurs, trois éléments
clés sont également pris en compte au moment du recrutement, à savoir l’esprit d’équipe,
la capacité d’adaptation et la capacité à convaincre.
Les éléments recueillis lors des entretiens avec des responsables des ressources
humaines vont tout à fait dans le même sens. Pour eux, le dicton « Qui se
ressemble s’assemble » résume parfaitement les mécanismes de reproduction sociale qui
s’enclenchent lors du recrutement même si ils sont nombreux à dénoncer le manque de
diversité dans le recrutement. Un cadre va avoir tendance à recruter des individus qui
« rentrent dans le moule » car il est sûr qu’il ne fait pas d’erreur. Il faut néanmoins nuancer
cette affirmation en soulignant que cela dépend des pôles et des individus.

b) Le pré-recrutement
L’exemple de l’entreprise A illustre bien cette stratégie. Cinquante pour cent des embauches
concernent des jeunes diplômés et le groupe mène une politique de pré-recrutement
très active. Celle-ci concerne trois types de profils : des stagiaires, des VIE (Volontariat
International en Entreprise) et des contrats de formation en alternance. Ainsi, chaque
année, le groupe propose plus de 1300 missions de stages de fin d’étude pour des jeunes
étudiants d’université et d’écoles de commerce ou d’ingénieurs et plus de 200 missions
à responsabilité sont proposées dans le cadre du VIE. Ainsi, 240 départs en VIE étaient
enregistrés en 2006 contre 189 en 2005 et au 31 décembre 2006, on recensait 1366
contrats d’alternance soit 18% de plus que l’année précédente. Cette politique permet aux
34

SATHE Vijay, Culture and related corporate realities, Paperback, April 1985

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21

Culture d’entreprise et motivation des salariés

individus de se familiariser avec l’entreprise mais permet surtout à l’entreprise de proposer
des embauches à des individus qu’elle connaît déjà et dont elle a pu constater, sur le terrain,
la capacité à s’intégrer et à trouver une place au sein du groupe. Ainsi, plus de 70% des exVIE de l’entreprise comptent désormais parmi ses collaborateurs en France ou à l’étranger.
Cette procédure peut ainsi être un outil rendant possible la limitation des risques inhérents
au recrutement dans la mesure où elle permet de cerner beaucoup plus précisément le profil
du candidat. Il est en outre possible de proposer un poste mieux adapté à ses compétences
ce qui peut avoir une incidence non-négligeable sur sa motivation.

II. Le respect de la cohérence culturelle de
l’entreprise : une condition à la motivation
A- Le respect de la cohérence interne
35

Maurice Thévenet a beaucoup travaillé sur la question de la cohérence et a montré à
quel point cette notion était fondamentalement liée à la motivation. Pour Thévenet, il y a
cohérence quand « les règles, procédures et systèmes sont cohérents avec des valeurs
opérantes qu’ils renforcent ». Ainsi, un système d’individualisation des rémunérations
poserait un problème dans une entreprise où la culture dominante est celle du collectif par
exemple.

1- Les différents types d’incohérence
1.1 Les incohérences entre le discours et les actions
Ces incohérences sont sans doute celles qui sont le plus largement perçues par les
individus. Par discours, Thévenet entend les déclarations des dirigeants de l’entreprise, les
ordres donnés et enfin ce qui transparaît du fonctionnement opérationnel de l’ensemble
des procédures. Ces écarts sont généralement encore plus marqués lors de fusions
par exemple. Dans ces situations, les discours sont importants dans le mesure où
il s’agit de montrer que les caractéristiques des deux entreprises seront respectées.
Cependant, il arrive souvent que l’une des deux cultures prenne le pas sur l’autre et
conduise à un décalage entre les discours et les comportements. Cette adéquation entre
les comportements et les discours doit s’appliquer en premier lieu aux dirigeants. John
36
P.Kotter , qui tient la chaire de Leadership à la Harvard Business School, rappelle en effet
la nécessité pour les dirigeants d’agir en modèles et de respecter les valeurs prônées par
l’entreprise. Rien ne ruine plus les efforts de changement que, de la part d’individus haut
placés, une attitude incohérente par rapport aux discours tenus. Il ressort que le changement
doit être réellement incarné afin de gagner en crédibilité. Pour reprendre l’expression de
Kotter, les dirigeants doivent devenir « le symbole vivant de la culture d’entreprise ».
35
36

THEVENET Maurice& VACHETTE Jean-Louis, Culture et comportements, Ressources Humaines, Vuibert, Paris, 1992
KOTTER John.P. « Conduire le changement : huit causes d’échec », in Le Changement, Harvard Business Review, Editions

d’Organisation, Paris 2003

22

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Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

1.2 Les incohérences entre les discours
Ce type d’incohérences, a tendance à se développer dans la mesure où les entreprises
se trouvent de plus en plus sur des marchés qui évoluent très rapidement ce qui contraint
l’entreprise à réagir, elle aussi, très rapidement. L’entreprise doit sans cesse s’adapter aux
évolutions ce qui peut l’amener à souvent changer de stratégie ou de ligne d’action. Ce
processus permanent d’adaptation n’est pas facile à comprendre et peut aisément donner
l’impression que les lignes directrices ne sont pas suivies, que les discours changent et que
leurs auteurs ne sont pas fiables.
Il peut également exister des incohérences entre les discours des différentes parties
prenantes de l’entreprise que ce soit entre des niveaux hiérarchiques (direction générale et
direction d’usine par exemple), entre des fonctions ou encore entre le siège et le terrain.

1.3 Les incohérences entre les actions
Des incohérences peuvent également exister entre les actions des différentes parties
37
prenantes de l’entreprise. A cet égard, Thévenet souligne que l’« on parle trop souvent du
caractère impératif des faits. » Partir des faits ne suffit pas car ceux-ci sont vus et interprétés
de manière souvent différente.

2. Limiter ces incohérences
2.1- La définition d’une « idéologie fondamentale » (Collins et Porras)
Cette théorie est illustrée dans de nombreux écrits où l’on insiste sur le souçi pour
l’entreprise de s’attacher à définir ce qui constitue le « core » : Core business, core
values, core activities. L’idée est que l’entreprise dispose d’une espèce de personnalité, de
quelques traits fondamentaux en cohérence avec lesquels il est important de développer
des stratégies et des actions. Dans un article publié dans la Harvard Business Review,
38
intitulé « Bâtir une vision pour le futur », Collins et Porras montrent dans quelle mesure
il est important que les entreprises développent ce qu’ils appellent une « idéologie
fondamentale ». Cette idéologie définit le caractère pérenne de l’entreprise. Cette identité
cohérente s’inscrit dans la durée et transcende les cycles de vie des produits ou du marché,
les ruptures technologiques, les modes managériales ou bien encore les personnalités
des dirigeants. Il s’agit donc d’un ciment qui a pour finalité de préserver la cohérence de
l’entreprise.
Cette « idéologie fondamentale » est composée de deux éléments : les valeurs
essentielles d’une part et la finalité, ou raison d’être, de l’entreprise.

37
38

Les valeurs doivent correspondre aux dogmes de l’entreprise, c’est à dire un ensemble
restreint mais permanent de principes directeurs. Ces principes ne répondent pas à une
quelconque stratégie mais définissent la nature même de l’entreprise. Les deux auteurs
donnent plusieurs exemples de ces valeurs essentielles. L’obsession de l’excellence
caractérise ainsi depuis sa fondation Procter & Gamble. Larsen, PDG de l’entreprise
américaine Johnson et Johnson définit ainsi le concept : « les valeurs essentielles qui
forment notre credo constituent sans doute un avantage concurrentiel mais ce n’est pas
op.cit. p.35
COLLINS James C . & PORRAS Jerry I.« Bâtir une vision pour le futur » in Le Changement, Harvard Business Review, Editions

d’Organisation, Paris 2003

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23

Culture d’entreprise et motivation des salariés

pour cela que nous les avons adoptées. La vraie raison est qu’elles définissent ce à quoi
nous tenons et à quoi nous continuerons de tenir même si elles devaient nous faire perdre
en compétitivité dans certaines situations. » Ces valeurs doivent donc être définies pour
elles-mêmes et non pas en fonction de la conjoncture, de la concurrence ou des modes
managériales. Elles ne doivent pas être nombreuses. En effet, seules quelques valeurs
peuvent être à ce point essentielles qu’elles n’évolueront jamais ou bien exceptionnellement.
La difficulté réside donc dans la confusion potentielle entre valeurs fondamentales et bonnes
pratiques ou stratégies qui elles, sont susceptibles d’évoluer.
La finalité de l’entreprise est quant à elle censé refléter l’idéal commun qui motive les
différents collaborateurs. Elle est différente de la stratégie ou de l’objectif dans la mesure où
il est impossible de l’accomplir. Par sa nature même, elle agira toujours comme un stimulant.
Le rôle de l’idéologie fondamentale est donc de guider et d’inspirer.

2.2 Impliquer les salariés dans la définition de nouvelles valeurs
a) La difficile appropriation des valeurs de l’entreprise par les individus
Pour A., cadre de l’entreprise E, la culture d’entreprise « se fait de manière informelle, elle
39
ne se décrète pas par note de service ». Il est très frappant de constater que tous les
individus interrogés ont souligné à quel point il était difficile d’élaborer des valeurs dont le
personnel se souvienne. A. rappelle par exemple que les valeurs de l’entreprise E ont été
élaborées en 2000, proclamées dans les revues internes mais qu’au bout d’un an, tout le
monde les avait oubliées. B., un autre cadre reconnaît les avoir oubliées : « Quand j’étais
à Bruxelles, je les avais affichées mais là, je ne les connais pas . » Il semblerait donc que
le communication interne ne suffise donc pas à faire que ces valeurs soient retenues par
les individus. L’intériorisation de ces mêmes valeurs apparaît alors comme une gageure. Il
a donc été décidé au sein de cette même entreprise d’aider les salariés à les intégrer grâce
à d’autres techniques.
On a donc choisi d’intégrer ces valeurs au sein de l’entretien d’évaluation. Il est ainsi
demandé à l’évaluateur d’apprécier et d’évaluer chaque individu au regard de chaque
valeur. Pour V., cette évaluation sur les valeurs constitue « la partie la moins pertinente de
l’entretien ». Il reproche à cette méthode d’être « hypocrite » dans la mesure où il s’agit
d’utiliser les mêmes mots pour qualifier des individus qui, en dehors de leur appartenance à
l’entreprise, n’ont rien en commun. Cette méthode a néanmoins l’avantage de permettre à
tous, évalués comme évaluateurs, de lire et de se pénétrer de ces valeurs. Cette stratégie,
accompagnée d’une communication interne dense (tableaux accrochés dans les bureaux,
diffusion dans les revues internes, éditions de plaquettes et même envois de mails) permet
aux valeurs d’être au moins connues à défaut d’être réellement intégrées.
Il apparaît cependant que le fait de marteler ces valeurs comporte un risque non
négligeable qu’il convient de prendre en compte. En effet, beaucoup de salariés ont le
sentiment que « ces valeurs n’existent qu’artificiellement » car si elles existaient réellement,
40

« on aurait pas besoin de tant les répéter et de tant insister la dessus » . Cette méfiance
se double du sentiment que souvent, ces valeurs sont proclamées de façon complètement
artificielle par les sphères dirigeantes et qu’elles ne correspondent à rien de concret. Elles
39

Voir ANNEXE 3
40

24

Voir ANNEXE 1

henriet claire_2007

Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

ne sont absolument pas personnalisées et pourraient souvent s’appliquer à n’importe qui.
C’est pourquoi la participation des individus à l’élaboration des valeurs apparaît comme une
solution propre à favoriser leur meilleure intériorisation.

b) La participation des individus à l’élaboration des valeurs
Le premier exemple concerne l’entreprise E. Devant la nécessité de rénover certaines
valeurs propres à ce que l’on appelle le « Middle Management », il a été demandé aux
cadres de ce même « Middle Management » de se réunir pour déterminer eux mêmes les
valeurs qu’ils souhaitaient voir édictées comme règles de conduite. C’est ainsi que quatre
valeurs phares ont été fabriquées : «Think globally » (« Penser globalement ») , « Team
works » (« Travail en équipe ») , « Looking forward » (« Anticiper ») et « Our people are our
asset » (« Notre personnel est notre atout »). Le Middle Management voulait, à travers ces
valeurs, insister sur quatre aspects fondamentaux : « Think globally » visait à faire prendre
conscience aux cadres qu’ils ne travaillaient pas dans un cadre strictement franco-français
et qu’ils devaient davantage raisonner à plus large échelle, c’est à dire réfléchir à l’impact
de certaines de leurs décisions à l’étranger. Par le choix de la valeur « Team works », les
cadres voulaient insister sur le nécessaire développement du travail en équipe en montrant
que celui-ci pouvait être très bénéfique pour l’entreprise et les individus. « Looking forward »
concernait la nécessité d’anticiper et de raisonner à plus long terme et enfin le « Our People
are our asset » visait à réaffirmer le fait que, pour reprendre les termes d’un cadre rencontré
lors d’un entretien, « qu’une entreprise repose d’abord et avant tout sur ses hommes ».
Cette valeur renvoyait plus précisément à trois éléments : l’équité dans la rémunération, la
politique de recrutement et enfin la gestion de la carrière des individus.
Ces valeurs ont donc été imaginées et élaborées par les personnes mêmes qui
allaient devoir les appliquer dans leur vie quotidienne. Cette participation à l’élaboration
de ses propres valeurs semble intéressante dans la mesure où elle rend le processus
d’appropriation beaucoup plus facile et naturel et ce, à deux égards. Les valeurs construites
correspondent tout d’abord à un besoin réel et concret et ne sont pas, comme cela leur
est souvent reproché des valeurs fictives, impersonnelles et de bon sens qui pourraient
s’appliquer à tous les salariés de l’entreprise sans distinction. D’autre part, le processus de
réflexion permet d’intégrer beaucoup plus facilement ce que l’on a soit même élaboré que
ce qui est décrété dans les hautes-sphères dirigeantes de manière souvent artificielle.
La banque privée a également engagé un processus similaire de réflexion sur ses
valeurs et ce, en plusieurs étapes. Un séminaire encadré par un cabinet de coaching pour
sportifs a été organisé dans un premier temps afin d’aider les cadres à élaborer ces valeurs.
Après que quatre valeurs phares aient été dégagées, quatre groupes travaillant chacun
sur une des valeurs ont été crées. Les quatre valeurs ont par la suite été appelées les
« QuatreE » : Ethique, Esprit d’équipe, Esprit de conquête et Exigence.
Un second exemple témoigne lui aussi de cette volonté de plus en plus affichée par les
entreprises de faire participer leurs salariés à l’élaboration des valeurs.
Ainsi, la direction générale de la SNCF a récemment lancé un grand programme de
réorganisation afin d’assouplir la culture interne de l’entreprise restée marquée par un
41
système très bureaucratique . Ce programme, baptisé « Oxygène », est constitué de quatre
points :
-Responsabilisation des opérationnels (davantage d’autonomie)
41

BELLAN Marie, « La SNCF accélère sa révolution culturelle », Les Echos , vendredi 30 et samedi 31 mars 2007

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25

Culture d’entreprise et motivation des salariés

-Meilleure circulation de l’information entre les différents services
- Simplification des procédures et nomenclatures
- Focalisation sur la finalité (service au client) et non sur les outils.
Il est frappant de constater à quel point les salariés de la SNCF sont sollicités tout au
long du processus et participent à ce changement de culture. Ainsi, la SNCF a créé un site
intranet dédié, a mis en ligne des témoignages vidéo pour partager les bonnes pratiques
et offre la possibilité pour les salariés de voter sur les différentes initiatives présentées. La
lutte contre la paperasserie en fait partie et chaque collaborateur a, à cet égard, été invité à
recenser le nombre de documents qu’il remplit chaque semaine et le temps qu’il y consacre.

c) Un processus long nécessitant un effort de pédagogie
Il apparaît que les individus ont également besoin de temps pour s’approprier certaines
valeurs. Ainsi, pour Jeanie Daniel Duck, vice-présidente du Boston Consulting Group (BCG),
il est important que les messages soient clairs, cohérents et maintes fois répétés. Il faut
en effet du temps aux salariés pour entendre, comprendre et intégrer le message. Il existe
souvent un décalage entre les dirigeants qui ont travaillé sur ces valeurs pendant des mois
42
et les salariés qui les découvrent. Ainsi, comme le montre Monsieur F ., cadre de dans
l’entreprise E, ne autre condition de nécessaire à l’intégration des valeurs réside dans le fait
que celles-ci doivent être relativement stables. D. rappelle que si les valeurs doivent pouvoir
être modifiées ( certaines valeurs seront particulièrement valables à un moment donné
pour une certaine catégorie de personnes) , cela ne signifie en aucun cas qu’il faille les
modifier tous les quinze jours, bien au contraire. Les individus ont en effet besoin de temps
pour s’approprier ces valeurs et les faire leurs. D’autre part, des changements incessants
décrédibiliseront pour longtemps la notion même de valeurs qui seront considérés comme
des modes éphémères totalement artificielles et dénuées de tout intérêt. Enfin, Maurice
Thévenet rappelle le rôle fondamental de la communication : « Il faut communiquer quant
tout est évident, en réaffirmant les références que traduit cet accord, en les répétant. » et
compare l’entreprise à une vieille famille ou une vieille institution qui ne peut survivre sans
redire régulièrement, par des rites ou par le dialogue ce qui la fonde.
La cohérence interne de l’entreprise est donc fondamentale et une culture d’entreprise
imposée pourra avoir un certain effet démotivant. Cependant, comme nous l’avons montrré,
une culture forte et réelle peut permettre de conserver cette cohérence sur le long terme.

B- Le respect des caractéristiques nationales
Nous allons maintenant aborder un autre aspect de cette cohérence. Il s’agira de montrer
dans quelle mesure les cultures nationales constituent un cadre dont il est important de tenir
compte au moment de la définition des valeurs de l’entreprise. Pour ce faire, nous nous
appuierons essentiellement sur les nombreux travaux de Gert van Hofstede.
Il est tentant, pour un grand groupe international de développer une culture d’entreprise
globale uniforme considérée comme un puissant facteur d’intégration des diversités
culturelles et facilitant les processus de communication, d’organisation et de management
au niveau du groupe. Plusieurs études montrent cependant que la mise en œuvre d’une
« culture d’entreprise globale » n’est pas chose aisée et n’est pas une panacée. En effet,
les comportements et traditions de la main d’œuvre locale, l’identité, parfois très forte des
42

26

Voire ANNEXE 5

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Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

filiales ou encore les logiques d’intérêt spécifiques au marché local peuvent rendre la culture
des filiales difficile à diluer ou à reformater dans une culture commune.

1. Des spécificités culturelles nationales
1.1.Les cinq dimensions de Hofstede
C’est en prenant en compte ces différents critères précédemment évoqués que les
caractéristiques de la culture vont pouvoir être utilisées afin d’adapter les outils employés
pour motiver les employés. Ainsi, si on se rend compte que dans une entreprise, les
valeurs dites féminines prédominent sur les valeurs masculines, il va falloir en conséquence
promouvoir des pratiques motivationnelles innovantes.

1.2. L’exemple des chartes de valeurs
Un bon exemple pour illustrer l’importance des différences culturelles nationales peut être
apporté par les codes de conduites ou chartes de valeurs qui font l’objet de différentes
controverses.

a) La charte de valeurs : un outil culturellement connoté
Les premières chartes de valeurs sont apparues dans les années 1970 aux USA comme des
instruments privilégiés d’explication et de diffusion de la culture d’entreprise. Leur objectif
était de proposer une orientation à l’action des collaborateurs ainsi que de « moraliser »
43
leurs activités. Barmeyer et Davoine rappellent que ces chartes ne sont pas un outil
« culturellement » neutre. Elles s’inscrivent en effet dans la tradition américaine des
« règlements internes » spécifiques à l’entreprise existant déjà au 19ème siècle. Ces
règlements instituaient les obligations des individus vis-à-vis d’une communauté, par une
forme contractuelle et explicite particulièrement nécessaire dans la société américaine.
Dans cette société constituée pour une bonne part d’immigrés, il fallait créer rapidement
un socle clair de références réglementaires communes. De plus, ces chartes s’inscrivent
aussi dans une tradition culturelle de capitalisme libéral anglo-saxon dans laquelle l’Etat et le
pouvoir politique n’ont pas un rôle d’institution de régulation des événements économiques
aussi fort qu’en Europe et laissent ainsi plus d’espace, de pouvoir et de légitimité à
d’autres acteurs, en particulier aux entreprises, pour participer à la définition de normes
de comportement et de règles éthiques applicables à certains domaines de la vie sociale
44

comme l’a montré Philippe d’Iribarne dans son ouvrage La logique de l’honneur . Ainsi, les
chartes d’éthique ou codes de conduite sont des outils de coordination particulièrement bien
adaptés et cohérents avec la culture nationale américaine. Une étude réalisée à la fin des
années 1980 (Langlosis/Schlegelmilch, 1990) montre que cet instrument est très répandu
dans les entreprises américaines (75% de l’échantillon), l’est moins dans les entreprises
européennes (41%) et encore moins dans les entreprises françaises (30%).

b) La nécessaire adaptation aux cultures nationales
43

BARMEYER Christoph I., DAVOINE Eric, Chartes de valeur et culture(s) de l’entreprise internationale: les limites du transfert de

valeurs globales aux filiales locales document disponible sur internet.
44

IRIBARNE Philippe d’, La logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales, Points Essais, Paris, 1989

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27

Culture d’entreprise et motivation des salariés

Antoine Reverchon, journaliste aux Echos nous cite ainsi l’exemple de ce grand groupe
français, leader mondial de son secteur et implanté dans plus de 70 pays, qui a souhaité,
par souçi d’améliorer la cohérence de ce vaste ensemble élaborer des « principes
d’actions communs » adressés au management et à l’encadrement technique de toutes
ses implantations et filiales. Pour ce faire, le groupe a décidé de consacrer du temps et
de l’argent à la conception d’une magnifique plaquette de papier glacé accompagnée d’un
texte à télécharger sur le site Web. Philippe d’Iribarne, directeur du laboratoire « Gestion
et société » du CNRS s’est vu confié avec son équipe la tâche d’enquêter sur la manière
dont cette initiative a été perçue dans les filiales malaisiennes et jordaniennes du groupe.
L’équipe a constaté que le texte avait été modifié en fonction du lieu de distribution afin
de mieux coller aux spécificités culturelles des filiales. Les paragraphes des versions
américaines et françaises sur la performance individuelle « évaluer et récompenser l’apport
de chacun » ont ainsi disparu dans les versions distribuées en Jordanie et en Malaise. Pour
Iribarne, ceci n’est guère surprenant dans la mesure où « Dans les cultures asiatiques, ce
sont les vertus d’obéissance à un leader au comportement exemplaire qui sont valorisées.
L’idée que l’efficacité de l’ensemble puisse dépendre de celle de chacun ne passe pas : il
ne sert à rien d’exercer une pression sur l’individu, seule la collectivité et donc la « bonne
attitude », le « bon comportement » de chacun à son égard, crée de l’efficacité ».
En résumé, dans le cadre des multinationales, il paraît difficile de considérer
sérieusement que la culture d’entreprise puisse remplacer les cultures nationales dans
lesquelles les individus ont été socialisés continuellement depuis leur enfance. En effet,
l’entreprise reste une institution de socialisation secondaire qui ne peut avoir une influence
sur les comportements des individus que relativement tardivement au cours du processus
de socialisation. D’autre part, cette influence n’opère principalement qu’au niveau des
pratiques et des artefacts culturels (symboles, rituels, héros, valeurs opératoires) et pas
à ceux des valeurs et postulats fondamentaux comme le rappellent Barmeyer et Davoine
dans leur article Chartes de valeur et cultures de l’entreprise internationale : Les limites du
transfert de valeurs globales aux filiales locales. Hofstede, un des principaux spécialistes
mondiaux du management interculturel a mené une étude particulièrement révélatrice à
cet égard. Il révèle en effet à travers cette étude la permanence d’une forte influence des
cultures nationales sur les attentes au travail dans une entreprise comme IBM, fer de lance
d’une culture d’entreprise uniforme et normative.

c) Etude de cas : l’exemple de Pharma-US et Deskdesign.
Barmeyer et Davoine illustrent leurs propos avec une étude de cas mettant en scène deux
entreprises américaines : Pharma-US et Deskdesign qui ont pratiqué un transfert de chartes
dans leurs filiales françaises et allemandes.
Présentation des entreprises
- Similitudes et différences franco-allemandes dans le processus de transfert
En ce qui concerne la dénonciation des comportements déviants, Français et
Allemands ont largement manifesté leur désapprobation de ce type de pratiques et ceci en
utilisant des mots très durs faisant clairement références à des pratiques liées à l’histoire de
leur pays : « délation », « régime totalitaire », « régime nazi », « méthodes de la Stasi »…
Barmeyer et Davoine expliquent que « dans une culture « particulariste » comme la culture
française, accorder une priorité au respect des règlements universels d’une organisation
anonyme par rapport aux relations interpersonnelles est certainement plus difficile, et les
réactions sont particulièrement émotionnelles. » La dénonciation est tout aussi difficilement
28

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Partie II La culture d’entreprise : un outil difficile à manager

acceptable en Allemagne dont les souvenirs du régime totalitaire de la RDA sont encore
très récents.
Ces nuances de traduction qui peuvent paraître anodines à première vue, révèlent en
fait de véritables différences et difficultés d’intégration des différentes valeurs. Une étude
réalisée dans la filiale française de Pharma US montre que l’acceptation des valeurs chez
les salariés est souvent imparfaite. Ainsi, 71% adhèrent à la valeur « Excellence » comme
représentative de la culture d’entreprise et respectivement 66% et 60% pour les valeurs
« Respect d’autrui » et « Intégrité ». C’est ainsi apparemment la valeur « intégrité » qui ne
correspond guère à l’état d’esprit des salariés français. Selon d’Iribarne, ce constat n’est
guère étonnant, les Français ayant plus de mal que les Américains ou les Allemands à
« accepter que l’entreprise soit légitime pour définir des normes en matière de morale ou
d’éthique. » Les salariés allemands, quant à eux, restent relativement insensibles à la notion
d’excellence qui reste trop abstraite. Les interactions interculturelles entre les salariés des
différentes filiales révèlent davantage encore les différences de perception ou de réception
des différentes valeurs. Il est paradoxal de noter que alors que les valeurs définies par las
sièges des deux entreprises sont censé favoriser une forte homogénéité culturelle facilitant
la mobilité, l’intégration et la coopération du personnel, la façon d’interpréter et de vivre ces
valeurs est souvent la première chose qui frappe les cadres expatriés.
- Premières conclusions de l’étude :

2. Un possible dépassement des différences nationales
2.1 Le rôle de la relation siège-filiales
2.2 Des modèles culturels forts et cohérents capables de transcender les
barrières culturelles, le cas de Toyota.
Le cas du constructeur automobile japonais Toyota est un excellent exemple de
prééminence de la culture de l’entreprise sur les cultures nationales. Le groupe Toyota
possède en effet une forte culture d’entreprise centrée sur ce que l’on appelle le Toyota Way
qui compte quatre grands principes fondamentaux : « genchi genbutsu », « challenge »,
« kaizen », « respect » et « travail d’équipe ».
Le premier principe est appelé « genchi genbutsu ». Il s’agit de mettre en œuvre une
méthodologie pragmatique qui commence par aller voir soit-même sur le terrain. Chez
Toyota, la résolution des problèmes n’a pas lieu en salle de réunion mais sur le terrain,
en face des pièces réelles et avec les personnes impliquées. Ce principe concerne les
managers qui doivent sortir de leurs bureaux pour aller dans les ateliers mais touche
également les opérateurs qui doivent apprendre à repérer, décrire et analyser les problèmes
qui se posent à eux pour en faire part à leur encadrement.
Le second principe est le « challenge ». Par challenge, il faut entendre ici la méfiance
qu’il convient d’avoir vis-à-vis de l’autosatisfaction. L’ « esprit Toyota » consiste ainsi à
remettre en cause le moindre a priori.
Le « kaizen », ou l’amélioration continue, est le troisième principe qui sous-tend la
culture toyotiste. Il s’agit de maximixer les gains obtenus par l’amélioration continue en
n’ayant recours à l’investissement qu’en cas d’absolue nécessité. Cette conception de la
production industrielle permet à Toyota d’investir massivement là où l’investissement est
nécessaire comme par exemple dans le secteur des produits innovants.
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29

Culture d’entreprise et motivation des salariés

Enfin, le respect des personnes et l’esprit d’équipe sont des fondements du modèle
Toyota. L’objectif est ici de mettre en place un cercle vertueux de confiance mutuelle : le
management attend de l’employé d’accomplir ses tâches avec rigueur et en s’améliorant en
permanence ; réciproquement, l’entreprise démontre qu’elle restitue une part du bénéfice
ainsi obtenu à ses employés. L’esprit d’équipe, pour sa part, signifie que toutes les
fonctions de l’entreprise doivent travailler ensemble à la résolution des problèmes et au
développement des collaborateurs.
Ce modèle de management, de par son originalité et sa cohérence a su transcender
les barrières culturelles et s’implanter dans le monde entier.

3-L’influence des cultures nationales sur le choix des autres pratiques
motivationnelles.
45

Une étude réalisée très récemment par deux étudiants scandinaves a montré comment
la culture d’entreprise, ou plutôt la composante nationale de la culture d’entreprise pouvait
avoir un effet sur le choix des pratiques motivationnelles.
Les auteurs de ce travail ont mené une étude comparative entre une entreprise
suédoise et une entreprise finlandaise.
Il a ainsi été montré qu’une culture d’entreprise plutôt orientée vers l’individu conduisait
davantage à utiliser des pratiques motivationnelles dites « innovantes » c’est à dire
permettant l’amélioration des conditions de travail des individus. En revanche, une culture
d’entreprise plutôt orientée vers le contenu des tâches conduit à conserver des pratiques de
motivation plus traditionnelles, c’est à dire associées au principe de récompense au sens
large (rémunération, vacances, etc.)
En conséquence, la culture d’entreprise constitue un cadre au sein duquel les
managers peuvent inscrire des stratégies de motivation. Ainsi, si l’on reprend les catégories
de Hofstede et qu l’on se rend compte qu’une culture d’entreprise attache beaucoup
d’importance à des valeurs communément considérées comme étant des valeurs féminines
et que sa tendance à éviter l’incertitude est faible, alors il conviendra de promouvoir des
pratiques motivationnelles innovantes. Celles-ci seront en effet d’une bien plus grande
efficacité.

45

30

HELOU Sabin &VIITALA Timo, How Culture and Motivation Interacts ?, Master Thesis, 2007 Disponible sur internet

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Conclusion

Conclusion
Nous avons voulu montrer tout au long de ce mémoire combien les liens qui existent entre
culture d’entreprise et motivation sont nombreux mais également complexes.
La culture d’entreprise, en tant qu’outil principal de la socialisation des individus va agir
sur leur motivation.
La culture d’entreprise va également permettre d’éviter l’apparition de certaines sources
potentielles de démotivation de l’individu en étant garante par exemple d’une certaine
cohérence. La culture profonde d’une entreprise doit être respectée si l’on veut que les
individus se reconnaissent en elle et y soient sensibles. Plus qu’un outil, elle doit donc parfois
même constituer un cadre d’action à respecter.
Il convient néanmoins de ne pas oublier que la culture ne constitue pas un absolu et
que les problèmes de management ne sont pas culturels mais que la culture doit être si
possible un moyen pour en faciliter la solution. Le recours à la culture d’entreprise peut
ainsi constituer une partie de la réponse au problème posé par la démotivation des individus
au travail mais ne doit en aucun cas être considérée comme un remède miracle. Il n’est
d’ailleurs même pas certain qu’il soit vraiment possible de motiver un individu. Comme nous
l’avons vu, les individus ne sont pas identiques dans leur rapport à la motivation et il peut
être considéré comme naïf de croire que l’on peut agir sur l’individu.
46

Pour reprendre l’analyse de Claude Louche , on peut penser que les théories de
la motivation seront d’autant plus nécessaires qu’elles « considéreront l’individu dans la
globalité de son système d’activités dans une société où la centralité du travail se modifie. »
En effet, comme nous l’avons montré, le travail change de statut. Il faut donc en prendre acte
et peut-être modifier notre manière d’envisager la question. Thévenet partage cette analyse
en recommandant de raisonner davantage en termes d’ « investissements concurrents entre
47
le travail et d’autres activités. » Pour Thévenet, c’est être dans une impasse que de penser
que le management peut agir sur les personnes pour améliorer la qualité de leur relation
à l’entreprise. Il faut avant tout comprendre la logique de l’individu, sa rationalité, non pas
pour changer mais pour trouver des compromis et des terrains d’entente.
48

Bernard Gazier va dans le même sens lorsqu’il souligne la nécessité de mettre en
place une politique de fidélisation qui dépasse une simple instrumentalisation du salariat.
Il s’agit donc de tenir compte des nouvelles priorités des individus et de leurs projets
individuels en développant des stratégies de compromis.
La motivation reste donc un grand enjeu pour les décennies à venir et la culture
d’entreprise pourrait certainement apporter des réponses dans ce nouveau cadre de
réflexion.

46
47
48

LOUCHE Claude, Psychologie sociale des organisations, Armand Colin, Paris, 2003
op.cit p.20
GAZIER Bernard, Tous sublimes, vers un nouveau plein emploi, éditions Flammarion, Paris, 2003

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31

Culture d’entreprise et motivation des salariés

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Annexes

ANNEXE 1
Entretien réalisé le 22 février avec Monsieur B., cadre de l’entreprise E
Qu’est ce que la culture d’entreprise ?
La culture d’entreprise est différente selon qu’on parle d’une grande ou d’une petite
entreprise. Pour venir à ce qui est E aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas une seule culture à
l’intérieur de l’entreprise car elle est organisée principalement et pour des raisons de taille
par pôles et le fait que les pôles soient crées, crée évidemment, d’une certaine manière des
différences de culture à l’intérieur de ces pôles. On constate de plus en plus qu’il y a une
plus grande indépendance à la fois en terme de management et donc aussi en termes de
culture dans ces différents pôles et le sentiment qu’on a avec cette taille qui grossit suite à
des acquisitions, mais aussi parce que la banque a une croissance organique extrêmement
forte, c’est que ces pôles s’éloignent un peu comme les continents il y a quelques centaines
de millions d’années. On sent qu’on a de plus en plus de difficultés à se retrouver au sein
d’une même entreprise entre ces différents pôles.
Pour vous les valeurs construisent t’elles la culture ?
Les valeurs sont censées la construire, c’est à dire que le fait d’exprimer des valeurs
donne le sentiment que la culture n’existe pas donc le fait de le dire et de le répéter c’est
que je pense qu’à l’intérieur de cette maison, la culture n’est pas là, n’existe pas.
Comment ces différentes valeurs sont-elles véhiculées ? Par des chartes ?
Elles sont plutôt répétées lors des séminaires d’intégration des nouveaux entrants,
elles sont très régulièrement répétées à l’occasion des séminaires de management, il y
a des séminaires de management très orientés et là aussi , c’est ressenti comme un
besoin de créer ces séminaires de management dans lesquels on mélange des gens de
différentes cultures et de différents pôles. Pour la culture on peut mélanger des étrangers
et pour les pôles, le dernier séminaire s’appelle « Prisme » dans lequel j’ai participé, on
était une vingtaine de personnes et il y avait des étrangers, des gens qui venaient des
pôles internationaux, de la banque d’investissement, car la culture d’entreprise, finalement,
elle se répand ou elle s’affirme à travers le network que vous pouvez construire avec les
gens et on est obligé de fonctionner par silo. Cela fait que au-delà des valeurs qui sont
répétées, réaffirmées, réintégrées, à intervalles réguliers, si les gens se mélangent on crée
ces networks et si on crée ces networks, on peut penser qu’on va créer quelque chose, un
socle commun mais le socle commun est au delà des valeurs que les gens ne connaissent
pas de manière générale. Au delà de cela, la taille est telle que malgré les efforts qui sont
faits, on s ‘éloigne de plus en plus de cette culture, de ce socle commun.
Auriez-vous des exemples de ces valeurs ?
34

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Annexes

Je ne les connais pas bien. Je ne les connais pas. Quand j’étais à Bruxelles, je les
avais affichées.
Ressentez-vous un décalage entre les valeurs proclamées et la réalité ?
C’est toujours un peu perçu comme cela. Il y a souvent des valeurs de bon sens, qui ne
peuvent être que partagées par l’ensemble des gens comme l’éthique, la responsabilité…
Par exemple, on parle de responsabilité mais nous sommes dans une industrie où cette
responsabilité a beaucoup de mal à s’exercer seul, on a des régulateurs que nous
impose la collectivité sur un certain nombre de choses (décisions de crédits…) et les
gens ont l’impression qu’il y a un décalage entre ce type de valeurs et la réalité de notre
organisation. On est encore une banque d’origine française avant tout et nous sommes
très centralisateurs, jacobins, les choses remontent. Malgré les tentatives du management
de décentraliser les choses, on se rend compte que dans la réalité, beaucoup de choses
remontent et que sous couvert du « bottom up » on est quand même dans une organisation
qui est très « top down » et il y a quand même pour les étrangers quelque chose qui peut être
très déstabilisant par rapport aux valeurs affichées aux discours et à la réalité des choses
alors que dans d’autres banques américaines par exemple, les gens ont une délégation
plus personnelle. Il y a donc parfois des chocs. Ce décalage est essentiellement dû à notre
origine très française.
Quelle est l’utilité de la culture d’entreprise

?

C’est la bonne question ! Est-ce que c’est utile ? Peut-être que c’est des « trucs »
d’intellectuels, à la mode avec des valeurs partagées… Très honnêtement, je ne sais pas
si c’est utile. Est ce que il faut la construire ? A partir du moment où on se rend compte que
les valeurs ne sont pas connues, même par les managers, et pas retenues, peut être que
c’est car les gens ne les jugent pas très utiles. D’autant plus qu’on a le sentiment qu’elles ne
correspondent pas à la réalité des choses c’est donc assez difficiles de les retransmettre.
Quelles sont les entreprises dont on considère qu’elles ont une culture d’entreprise très
forte ? Il y a eu McKinsey et Arthur Andersen. Il y avait aussi Procter et Gamble. Ca devait
exister plus dans le passé qu’aujourd’hui. Au moment de la fusion, les membre de E1
disaient entrer « en E1 ». Il y avait une culture plus forte individuellement dans les deux
entreprises mais la fusion a du remanier et « redissoudre » tout cela. On dit encore ex-… ou
ex-…. Peut-être qu’on avait pas le sentiment que cette culture existait mais le fait qu’on soit
mélangés fait qu’on se raccroche à quelque chose qui avait une durée. Et cela ne passe
pas avec le temps. E1 est elle même la conséquence d’une fusion et disaient cela aussi.
On se rend compte qu’elle existait quand elle a disparu. On peut comparer cela avec les
Parisiens qui ne se parlent que quand ils sont au bout du monde. Le fait d’être dans un
univers différent fait qu’on se raccroche à quelque chose qu’on connaissait. Je pense que
les gens n’en ont pas besoin tant qu’ils sont dans un univers connu.
Pourriez-vous caractériser la culture de l’entreprise E2 ?
C’était un modèle très individualiste, un peu comme un modèle politique très libéral
qui fait que si chacun travaille au mieux pour soi même, collectivement, cela va donner un
résultat alors que la culture de E1 était fondée sur un modèle plus collectif. Il y avait aussi
cette culture du chef, de hiérarchie qui faisait que le modèle un peu socialiste de collectivité
selon lequel ce qui est pour l’ensemble… Ce qui a provoqué certains chocs de culture à
la fusion.
Pensez-vous qu’il existe un lien entre la forte culture d’entreprise et la motivation des
salariés ?
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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Je pense que les choses ont un peu changé. Les années quatre vingt dix sont passées
par là. Quand je suis sorti de l’école, on vendait des carrières. Beaucoup de choses se sont
passées, que ce soit des fusions, des plans sociaux, des fortes pressions… On entrait dans
ce type d’institutions en se disant qu’on allait y faire une carrière toute la vie. Je pense que
l’appréciation a complètement changé. On a plus cette même vision et c’est flagrant quand
on recrute des jeunes qui fonctionnent sur le modèle américain du « Fair Contract » : « tu
me donnes tant je travaille, tu me donnes moins je travaille moins et tu me donnes plus
je travaille plus. » C’est un contrat individuel. On a besoin dans ce cas d’une forte culture
d’entreprise pour motiver les gens. Depuis 10-15 ans, les choses ont changé, il n’y a plus
du tout le même niveau de confiance de la part des employés vis à vis de la maison. Cette
notion de « Fair Contract » a complètement modifié les choses. Je n’ai pas le souvenir que
dans les années quatre vingt on avait ces valeurs et on cherchait la culture d’entreprise car
je pense que d’une certaine manière elle existait, elle s’imposait et on n’avait pas besoin
de l’exprimer . Aujourd’hui, tout est plus individualiste. Personne, parmi les jeunes que
j’ai recruté récemment, ne dit « je suis content d’être dans l’entreprise E, je vais y rester
toute ma vie » à la limite, ça m’inquiéterait. Si on l’exprime autant maintenant c’est parce
que l’on se rend compte que l’on a besoin de resserrer les liens qui sont très distendus et
que l’approche, à l’intérieur de la maison est beaucoup plus individualiste qu’elle ne l’était
auparavant.
Pensez-vous que la motivation des employés dépende de leur autonomie et de leur
marge de manœuvre ?
Pour caricaturer, il y a deux sortes de personnes. Il y a des personnes qui se satisfont
de ce rôle d’exécutant, qui sont très heureuses avec ça et puis il y a les autres qui ont
besoin de beaucoup plus d’autonomie et de responsabilité pour pouvoir s’épanouir et donner
le meilleur d’eux-mêmes au profit de l’entreprise. Sans caricaturer, les cadres supérieurs
ont besoin de cette autonomie et qui ressentent de plus en plus le fait qu’ils ont de moins
en moins d’autonomie sans doute car on est dans une industrie qui est beaucoup plus
structurée qu’avant. Il y a aussi de plus en plus de perméabilités entre les produits. C’est
un peu l’histoire de la fusée. Il n’y a plus aucun ingénieur aujourd’hui qui est capable de
comprendre le fonctionnement d’Ariane , personne n’a de vision globale. Dans la banque,
c’est pareil car les marchés et les produits sont très complexes. Les métiers sont assez
différents mais il y a en même temps des perméabilités. On est obligé de fonctionner à
plusieurs sur des projets, on ne peut plus fonctionner seuls. Cette autonomie là existe
donc de moins en moins et c’est ressenti comme une certaine frustration. Sauf exception,
on est obligé de partager son projet donc cette autonomie, de facto, ne peut plus exister.
C’est lié à l’industrie. Les banques américaines misent beaucoup plus sur l’autonomie et la
responsabilité avec les conséquences que ça a. On individualise beaucoup plus, à la fois
la performance mais aussi la faiblesse.
Essaye t’on d’inculquer les valeurs a posteriori ou bien essaye t’ on de recruter des
gens qui vont mieux que d’autres s’adapter ?
On communique pas mal sur la marque vis-à-vis de l’extérieur. C’est important pour
attirer les meilleurs et le fait que la marque ait une valeur financière forte, c’est une manière
de dire « si vous venez chez nous, vous acquérrez une certaine valeur également de
reconnaissance sur le marché. » Ce n’est pas fait au travers de la culture de l’entreprise,
on est sur des considérations presque financière. C’est la valeur de la marque. Mais je n’ai
pas le sentiment que ce soit au delà de cette valeur financière. Récemment il y a eu pas
mal de publicités sur la gouvernance, l’éthique, les recrutements, c’est lié à la campagne
électorale aussi. Je ne suis pas sûr que ce soit la culture d’entreprise qu’on veuille vendre
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henriet claire_2007

Annexes

à l’extérieur. C’est plutôt le côté« nous sommes une banque avec une forte gouvernance et
une forte éthique, nous recrutons beaucoup… » C’est améliorer l’image de la banque plus
vis-à-vis de ses clients que vis-à-vis des futurs recrutés. L’image de E est forte et bonne
à l’étranger mais on ne recrute pas en disant « Regardez nos valeurs » et les jeunes ne
viennent pas pour les valeurs. Ils viennent pour les perspectives, le salaire, … mais je n’ai
pas de souvenir de quelqu’un qui m’ait dit « je viens chez vous pour telle et telle raison et
au-delà de cela, pour vos valeurs, ce qui pourrait être une argument.
Existe-t-il des sous-cultures d’entreprises ?
Oui, on est vraiment sur des sous-cultures d’ entreprises aujourd’hui. Il faudrait réfléchir
au niveau du management sur l’organisation qu’on met en place. On est plutôt en silos
et l’existence de ces silos participe à la création de sous-cultures. Il faudrait réfléchir à la
création de structures qui s’approchent plus qu’en structures qui s’éloignent et on s’organise
de plus en plus en structures qui s’éloignent et à mon avis cela correspond à des réalités de
marché mais cela fait qu’on renforce les sous-cultures d’entreprise. Les sous-cultures c’est
la capacité que l’on a de ne pas se parler et de se comprendre car on partage les mêmes
choses, la même vision globale, la même approche et cela existe à l’intérieur des différents
pôles même si c’est à géométrie variable. Le pôle 1 est une petite entité (environ 13-14000
personnes) et il existe vraiment une sous culture au sein de ce pôle 1 relativement forte et
elle se renforce par différence. On représente 10%. C’est un regroupement pour se protéger
aussi. Comme les pôles sont sur les mêmes territoires et à la fois à différents endroits.
Il y a donc plus un renforcement des sous-cultures malgré les efforts du management
qui ressasse sans arrêt. J’ai du mal à comprendre comment on peut créer une culture
d’entreprise entre quelqu’un qui est en back-office au Maroc et quelqu’un de New-York. Je
pense qu’ils ne pourront jamais fonctionner ensemble. Pourquoi est-ce que l’on veut créer
cette culture d’entreprise ? Les mauvaises langues diront que c’est pour payer un peu moins
les gens en leur disant « C’est une belle maison, on partage des choses importantes, il n’y
a pas que l’argent… »

ANNEXE 2
Entretien réalisé le 22 février 2007 avec Monsieur D., cadre de l’entreprise A
Qu’est ce que la culture d’entreprise ?
C’est un peu le fruit de son histoire et de ses évolutions présentes. C’est une
combinaison entre la fidélité à ses racines et à son passé en même temps que sa
confrontation à ses challenges d’aujourd’hui.
Est-il important pour une entreprise d’avoir une culture d’entreprise ?
C’est un vaste sujet… Nous avons maintenant déterminé un certain nombre de valeurs
que nous considérons comme primordiales au sein de l’entreprise. Très honnêtement, je ne
suis pas sûre que les gens s’y réfèrent de façon très explicite. C’est un peu une approche
anglo-saxonne ou américaine de la vie de l’entreprise mais je ne suis pas sûre qu’elle soit
profondément ressentie en tant que telle ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un certain
nombre de communautés d’approche et de pensée au sein de gens qui participent à la
formation du corps social.
Ce sont donc des valeurs qui constituent une culture ?
henriet claire_2007

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Des valeurs, une histoire et une vie commune.
Comment cette culture est-elle ressentie concrètement ?
Je dirais d’abord que quand des gens ont une histoire commune, ils se comprennent
plus facilement. C’est une culture. Je connais moins le sujet de E2 mais chez E1, la plupart
des cadres supérieurs de la banque passaient par l’inspection générale ce qui était une
façon d’avoir une approche commune pour être sûr de parler le même langage et donc de
se comprendre très rapidement sachant qu’une entreprise repose d’abord et avant tout sur
ses hommes.
Quel est ce langage ?
C’est un langage clair, précis, structuré, reposant sur une même appréhension
professionnelle des sujets divers de la banque. Aujourd’hui on a une culture de
professionnalisation plus intense que ce qui existait autrefois où l’on était plus généraliste.
Elle repose sur des aspects de spécialisation et de connaissance intime de certains types
d’opération peut être supérieur à ce qu’on faisait autrefois car on était plus transverses.
La culture de E est-elle différente de la culture de E1 ?
Incontestablement. Nous sommes passés d’un monde global à un monde plus
spécialisé en sachant que nous restons transverses mais que chacun à, au sein de la
banque, une responsabilité plus précise. C’est un plus mais peut être aussi parfois un moins.
On a perdu sur l’aspect transverse et par certains côtés c’est un peu dommage mais on a
certainement gagné dans le côté pointu de la professionnalisation de nos collaborateurs.
Auriez-vous des exemples de valeurs ? Comment sont-elles véhiculées ?
Il y a des chartes, des séminaires qui sont faits pour essayer de développer et
de se référer à ces valeurs. Lors du congrès annuel des cadres supérieurs, elles sont
régulièrement rappelées. Les occasions sont nombreuses pour essayer de s’y référer. De
là à dire que les gens eux-mêmes, dans leur comportement, s’y réfèrent précisément, je
ne suis pas sûr.
Est-ce que les valeurs sont simplement constatées ou peut-on agir dessus ?
On ne les changera pas tout de suite car c’est depuis une date récente que l’entreprise
a choisi ces valeurs mais on peut bien sûr influer sur certains accents portés sur tel ou tel
aspect de ces valeurs.
D’autre part, existe t’il des sous cultures d’entreprise ?
Oui, bien sûr. D’abord il y a une petite sous-culture d’entreprise par le fait que nous
sommes diverses ne serait-ce que par les fusions diverses qui ont transformé le corps
social. Mais je crois que ces différentes cultures sont aujourd’hui arrivées à un niveau de
maturité que je trouve satisfaisant et où finalement les gens s’intègrent dans un ensemble
qui s’appelle E. Maintenant, je crois quand même que les collaborateurs de la banque sont
fiers et responsables par rapport à l’identité globale de E et en même temps ils sont quand
même très attachés et c’est un peu le défaut de l’évolution du jour à leur corps professionnel
qui est plus particulièrement identifié et à leur spécialité et je pense qu’il faudrait qu’on
ait un meilleur brassage entre chacune de ces spécialités. C’est important d’avoir des
cultures déclinées de façon différente. Je crois que plus elles vont être brassées et plus
elles s’identifieront à la culture globale sans parler des entités régionales, géographiques…
Pensez-vous qu’il existe un lien entre la motivation du personnel et une forte culture
d’entreprise ?
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henriet claire_2007

Annexes

Je pense que oui, c’est à dire que le personnel est très sensible à des directives qui
sont données à son action et à partir du moment où ces directives sont claires je crois qu’on
avance mieux et que rien n’est pire que de ne pas savoir fondamentalement où le corps
social veut vous orienter. On ne demande pas forcément qu’il prenne en compte tout ce
que vous même, à titre individuel vous préfériez faire mais qu’on vous indique dans quelle
direction on va.
Pensez-vous qu’une culture d’entreprise trop forte peut nuire à l’entreprise ?
Je dirais que ça dépasse le sujet de l’entreprise. Je pense qu’aujourd’hui, le péril de nos
sociétés, c’est le clonage et nous avons beaucoup trop de gens qui raisonnent de la même
façon. Cela simplifie le dialogue sans doute mais ça ne favorise pas vraiment l’innovation
et nos sociétés ne peuvent évoluer que si elles innovent.
Existe t’il un lien entre l’autonomie des salariés et leur degré d’identification à
l’entreprise ?
C’est très important. Je crois qu’il faut laisser une marge d’initiative significative aux
personnes si on veut qu’elles soient heureuses dans leur travail car je crois que quand on
est pas heureux dans son travail, on ne produit pas non plus et donc c’est l’enthousiasme et
l’investissement personnel qui font l’entreprise. Cependant, tout investissement personnel
doit être canalisé dans une approche globale d’entreprise, il est nécessaire qu’il y ait des
valeurs à condition qu’elles ne soient pas paralysantes.
Le recrutement des individus est-il dépendant de leur capacité à « se fondre dans le
moule » ?
La banque n’a pas assez ouvert son mode de recrutement à la diversité. La richesse de
personnalités diverses et d’histoires différentes est quelque chose auquel on a pas donné
encore tout à fait droit de cité dans nos approches de recrutement.

ANNEXE 3
Entretien réalisé le 22 février 2007 avec Monsieur V., cadre de l’entreprise A
Qu’est ce que la culture d’entreprise ?
C’est un ensemble de choses informelles qui sont à la fois des valeurs, des pratiques,
des rites qui différencient une entreprise d’une autre. On a pas la même culture d’entreprise
que des entreprises d’univers voisins bien que l’on ait les mêmes règles de droit du travail,
les mêmes conventions collectives, qu’on travaille sur les mêmes zones géographiques et
quand on embauche des gens venant d’autres sociétés, ils ne rentrent pas forcément tout
de suite dans le moule. C’est donc un ensemble de choses un peu informelles et qui ne
se met pas en équation.
On la constate, on la vit et elle est portée par des anciens comme moi et on est des
transmetteurs de quelque chose. On a embauché un directeur industriel de haut niveau et
à la fin d’une réunion, il est venu me voir en me disant : « Est-ce que j’ai été dans la ligne
du parti en parlant comme cela ? »
Les valeurs suffisent-elles à former une culture d’entreprise ?

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Elles y contribuent mais elles ne suffisent pas. Entre des valeurs de solidarité chez E1
et des valeurs individualistes chez E2, on a pris un autre registre de valeurs pour ne vexer
personne, on s’est mis à un niveau beaucoup plus en amont mais ça ne suffit pas à donner la
culture d’entreprise. Le reste est constitué de rites pour partie, une autre partie de pratiques
diverses. Par exemple, on ne dit pas bonjour de la même façon le matin. Les anciens
membres de E1 serrent la main alors que les anciens membres de E2 disent simplement
bonjour. Ce sont des trucs tout bêtes. Il y a également des différences dans la manière
dont on définit les métiers… Une autre différence réside dans la manière dont la direction
générale transmet ses messages et leur application. Une différence forte entre E1 et E2.
Les membres de E2, quand un message arrivait du président se demandaient comment
ils allaient pouvoir le contester. Chez E, on l’applique et on ne pense même pas qu’il est
éventuellement contestables. Ce qui m’avait frappé au moment de la fusion, c’est le poids
du PDG dans les lettres de nomination. Si c’était signé de sa main, cela avait une valeur
très forte, sa légitimité n’était pas la même en tout cas a ses propres yeux. Mon homologue
chez E1 au moment de la fusion me racontait qu’un des exercices imposés ; c’était, chaque
année, au moment de la convention annuelle avec dîner, de faire en sorte d’être dans le
champ de vision du PDG à chaque dîner en allant voir les gens qui s’occupaient de la
communication. J’aurais personnellement eu tendance à me dire, plus je suis loin, mieux
c’est. C’est peut-être aussi lié à des différences de personnalité mais c’est quand même
révélateur…
Quel a été le rôle de la fusion dans la prise de conscience de l’existence d’une culture
d’entreprise ?
Et les anciens membres de E1 et les anciens membres de E2 se sont aperçus que les
autres ne fonctionnaient pas de la même façon. Cela se constatait dans toute une série de
détails du quotidien. On n’avait pas les mêmes méthodes de travail, la même façon d’animer
une réunion. C’est plus dans le quotidien.
Au niveau plus général, dans l’entreprise E1, il y avait un pacte social qui a été maintenu
au moment de la fusion qui est « il n’y aura pas de départs contraints. » Il peut y avoir des
plans de départ volontaire mais on ne peut pas faire partir un salarié qui refuse de partir.
Dans l’entreprise E2, on avait fait des plans de licenciement dans le réseau d’agences en
province pour 50 personnes. Le DRH de E1 m’a dit « j’avais 1000 personnes par an à faire
partir du réseau d’agence et je n’en ai jamais licencié un » et cela grâce à un pacte social.
Dans les 1000 personnes, il y en a un certain nombre qu’on a recyclé ailleurs alors qu’ils
n’étaient pas faits pour faire cela. Ils ont accepté de dégrader la qualité de service dans
d’autres endroits pour qu’il n’y ait pas de départs. Mais en contrepartie, il y avait une sorte
de pacte social chez E1 qui faisait que le sentiment d’appartenance était très fort, qu’on
avait confiance dans la maison.
Comment les valeurs sont-elles véhiculées ?
Elles ont été élaborées en 2000 par une convention des cadres puis elles ont été
proclamées dans des revues internes. Au bout d’un an quasiment tout le monde les avait
oubliées ou plutôt personne ne les savait. Le truc que l’on a trouvé, c’est de les faire
connaître par le biais de l’entretien d’appréciation. C’est un truc tout simple qu’on a trouvé
au niveau RH. On demande d’apprécier chacun sur son engagement, son ambition, sa
créativité, sa réactivité dans son métier en déclinant cela sur des rubriques. Ca a permis que
tout le monde mes voit mais c’est la partie la moins pertinente de l’entretien parce qu’elles
sont tellement générales que entre la personne qui encaisse des chèques à Avignon et celle
qui fait de la « corporate finance » ici, il n’y a aucun rapport donc employer les mêmes mots,
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henriet claire_2007

Annexes

c’était un peu hypocrite mais ça permettait que tout le monde, aussi bien les évaluateurs
que les évalués, lisent cela et s’en pénètrent.
On les inculque aussi pendant les séminaires. On l’a fait en 2001-2002-2003 et
on mettait ensemble des gens travaillant dans des univers différents. Des directeurs de
territoires étrangers avec des directeurs de groupe français, des gens de branches plus
juridiques qui ne se seraient jamais parlé et jamais vu et ça a permis que chacun s’aperçoive
que les métiers des autres avaient chacun leur technicité, leur expertise, leur complicité qui
était respectable.
La culture d’entreprise prédomine t’elle sur des sous-cultures ?
Il y a des sous-cultures. Dans nos différents pôles, entre des gens de la banque
d’investissement et des gens du réseau d’agences, la culture n’est absolument pas la même.
Dans le réseau d’agences, tout est beaucoup plus codifié.
Pensez-vous qu’il y a une relation entre la motivation des individus et l’existence d’une
forte culture d’entreprise ?
Oui, probablement. Il y a une fierté d’appartenance qui fait qu’on travaille bien. Dans le
secteur bancaire où on fait tous le même métier et où il n’y a pas de brevets qui protègent,
je pense que la qualité du service rendu dépend de l’implication des personnes et que
c’est le supplément d’âme donné par le plus faible maillon de la chaîne qui va faire la
différence. La force d’une chaîne, c’est la force du maillon le plus faible. C’est grâce à la
fierté d’appartenance.
Pensez-vous que le sentiment d’identification à l’entreprise dépende de la marge de
manœuvre et d’autonomie donnée aux gens ?
Pas forcément, non, car dans un des grands pôles de l’entreprise, très structuré, très
pesant, les gens sont très identifiés à l’entreprise et ils n’ont quasiment aucune autonomie.
Ils sont 30 000, si une individualité fait des «trucs », ça désoriente toute la machine, même si
c’est un « truc » très bien. Il vaut mieux faire comme les autres car le processus prévoit cela.
Quelle est l’utilité d’une culture d’entreprise ?
On ne la décrète pas par note de service. Elle se fait de manière informelle et dans les
boîtes jeunes, elle n’est pas forte. C’est forcément utile pour la fidélisation des collaborateurs
et leur motivation.
Quand on embauche quelqu’un, embauche t’on en tenant compte des valeurs de
l’entreprise ?
Je pense que les recruteurs ont plutôt tendance à prendre des gens qui « rentrent dans
le moule » car on ne fait pas d’erreur. Quelqu’un d’atypique doit vraiment être très bon et
avoir beaucoup de qualités pour compenser le fait qu’il est en dehors du moule. Après, cela
dépend des univers. Si c’est pour le réseau d’agence, il ne faut sûrement pas qu’elle soit
en dehors du moule. Il y a des univers où cela peut se passer. Le corps social a du mal à
absorber quelqu’un de très atypique. Je pense qu’au niveau du recrutement, on a le réflexe
« qui se ressemble, s’assemble. » et que les gens trop atypiques, en particulier ceux qui
ont fait des études comme des langues O par exemple ne rentrent pas dans les critères. En
2002, on avait un mal fou à recruter des téléconseillers pour les plates-formes téléphoniques
et on avait décidé de tester d’autres filières, des diplômés de lettres, de philosophie… et on
a pas fait grand chose. Mais il y a en a de temps en temps quelques uns. Quelqu’un qui a
fait Normale Sup Lettres a normalement un cerveau bien configuré même q’il n’a pas fait
d’économie. Dans les Sciences-Po, on embauchait beaucoup d’Eco-fi et un service public
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Culture d’entreprise et motivation des salariés

était parfois totalement largué car il n’avait jamais fait d’économie alors qu’ils avaient des
qualités très fortes mais face à un bilan d’entreprise, ils ne savaient pas par quel bout le
prendre. Après on a des systèmes de formation qui permettent de l’apprendre mais si ça
n’a pas été fait dans la culture d’origine, on ne compense pas toujours après.

ANNEXE 4
Entretien réalisé le 12 avril 2007 avec Monsieur C., cadre de l’entreprise A
Qu’est ce que la culture d’entreprise ?
Ce sont des référentiels communs. C’est avant tout des hommes qui ont un mode de
fonctionnement induit par l’entreprise et qui se recrée car on recrute des gens qui nous
ressemblent . Ca n’est d’ailleurs pas toujours positif car recruter des gens différents peutêtre un moyen de se renouveler.
C’est aussi une histoire commune, des événements marquants comme par exemple
des projets de fusions, de nationalisation, des grèves… qui construisent la culture
d’entreprise.
Quelles sont les différences de culture d’entreprise entre les deux entreprises ?
E2 était une sorte de club ce qui avait des aspects positifs mais pas seulement. C’est
agréable de se sentir membre d’un club mais une grande structure ne peut pas fonctionner
de la sorte car c’est aussi source de conservatisme et une culture d’entreprise a besoin
d’évoluer.
Quelles pourraient être des exemples de manifestation de culture d’entreprise ?
Au Japon, les décisions sont prises avant la réunion. C’est la culture du compromis, la
réunion ne sert en fait qu’à informer et on ne fait jamais perdre la face à quelqu’un.
Dans l’entreprise E2, la liberté de parole était très importante, on se devait d’avoir un
avis sur tout, même sur un sujet qui ne nous concernait pas directement. Tout le monde
avait un avis sur la stratégie de l’entreprise. Cependant, le risque de cacophonie était par
voie de conséquence plus important.
Dans l’entreprise E1, le respect de la hiérarchie faisait que de tels attitudes étaient
impensables et que chacun parlait de son domaine.
En résumé, la culture d’entreprise est quelque chose de complètement impalpable fait
de non-dits.
La culture de E2 était très liée à l’humain. Il y avait des mythes au sein du personnel
d’encadrement, certains grands patrons étaient de vrais mythes.
E1, de par sa taille était, elle, davantage une machine au sein de laquelle les individus
étaient plus interchangeables.
Comment les valeurs de la banque sont-elles élaborées ?
Un travail est conduit en ce moment sur les valeurs de la banque privée. Un séminaire
encadré par un cabinet de coaching pour sportifs a été organisé. En effet, le monde du
sport a beaucoup de similitudes avec le monde de l’entreprise. Puis, après que quatre
grandes valeurs ont été choisies, on a constitué un groupe de travail pour chacune de ces
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Annexes

quatre valeurs appelées les « Quatre E » : Ethique, Esprit d’équipe, Esprit de conquête,
Exigence. En ce moment une grande campagne de communication interne sur les valeurs
est organisée par le biais de cartes informatiques qui reprennent, chaque jour, une des
quatre valeurs.
Quelle est, selon vous, l’utilité d’une culture d’entreprise ?
Quand on a des décisions complexes à prendre, on peut se référer aux valeurs. Le but
d’une entreprise est de gagner de l’argent mais pas à tout prix. Les valeurs permettent donc
de contrebalancer et, en garantissant un certain équilibre, permettent de ne pas aller trop
loin. On peut comparer ceci à la pensée de Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique,
qui considère que si la religion n’existait pas, les Etats-Unis auraient disparu. En effet, pour
Tocqueville, la religion permet de contrebalancer la toute-puissance de l’argent.
Comment faire pour diffuser ces valeurs ?
Les séminaires sont importants à cet égard et obligatoires maintenant. Ils sont
organisés une fois par an voire parfois plus et ils permettent de partager des moments forts
en dehors du cadre traditionnel. Ainsi, ils participent à l’instauration d’un véritable esprit de
groupe, d’équipe.

ANNEXE 5
Entretien

réalisé le 22 février 2007 avec Monsieur F., cadre de l’entreprise E

Qu’est ce que la culture d’entreprise ?
La culture relève du qualitatif. C’est un ensemble de valeurs durables et partagées qui
fabriquent le résultat de l’entreprise à moyen et long terme.
Quelle définition donneriez-vous aux valeurs ?
Ce sont les comportements et attitudes attendus pour que la stratégie de l’entreprise
s’applique.
Les valeurs sont nécessaires à un moment donné pour une certaine catégorie de
personnes même si bien cela ne signifie bien sûr pas qu’elles doivent changer tous les
quinze jours. Par exemple les valeurs du « Middle Management » étaient à un moment
donné :
« Think globally »
Il s’agissait d’encourager le personnel à raisonner en terme d’impact à l’étranger et non
plus dans un cadre franco-français.
« Team works »
Il fallait montrer que le travail en équipe fait progresser.
“Looking forward”
Il s’agissait de mettre en valeur l’anticipation
“Our people are our asset”

henriet claire_2007

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Culture d’entreprise et motivation des salariés

Il s’agissait de prêter davantage attention à la gestion de la carrière des individus, de
revoir la politique de recrutement des jeunes et enfin de promouvoir l’équité dans le domaine
des rémunérations.
Les valeurs correspondent donc à un besoin à un moment donné. Elles ne doivent pas
être proclamées mais acquises.
C’est le Middle Management qui avait créé ces valeurs afin de mieux se les approprier
et non pas les instances dirigeantes qui les avaient décrétées.
Tient-on compte de l’adaptabilité du candidat au moment de l’embauche ?
Oui, on regarde si le candidat pourra s’approprier les valeurs.
Pensez-vous qu’il existe un lien entre la motivation et la culture d’entreprise ?
Non, je ne pense pas, l’important est de présenter un plan de carrière. Je ne pense
pas que la culture ait un grand rôle au plan individuel, elle appartient juste à la stratégie
de l’ entreprise.

ANNEXE 6
Entretien réalisé le 22 février 2007 avec Madame H. Assistante dans l’entreprise A
Existe t’il une culture d’entreprise au sein de l’entreprise E ?
Une culture existait au sein de E2 mais elle a disparu. Je n’ai pas l’impression qu’il y
ait une vraie culture d’entreprise à l’heure actuelle. Elle existe peut être mais je n’y adhère
pas, je n’en ai pas connaissance. Je pense que l’on a en partie démotivé les gens au lieu
de les tirer vers le haut.
Qu’est ce qu’une culture d’entreprise ?
C’est être fier d’appartenir à une entreprise. Cela permet de ne faire qu’un, de travailler
dans le même but, de s’identifier à l’entreprise.
Y a t’il des sous-cultures d’entreprise ?
Oui. Un des pôles de l’entreprise est presque exclusivement constitué d’ex membres
de E1 alors qu’un autre pôle est presque exclusivement constitué d’ex membres de E2. On
a vraiment l’impression de ne pas faire partie de la même entreprise tellement ces deux
pôles constituent des mondes à part. C’est l’état d’esprit, la façon de travailler qui changent.
La motivation dépend- elle du degré d’autonomie des individus ?
Oui, clairement. Cela pose d’ailleurs des problèmes quand une assistante venant de
l’entreprise E2 travaille avec un cadre issu de l’entreprise E1. En effet, dans l’entreprise
E2, on était beaucoup plus autonomes et notre marge de manœuvre était beaucoup plus
importante.
Quelle est, pour vous l’utilité d’une culture d’entreprise ?
La culture d’entreprise permet de motiver les individus afin que ceux ci aillent tous dans
la même direction, vers un même but.

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henriet claire_2007

Résumé :

Résumé :
Ce mémoire se propose d’étudier les liens existant entre la culture d’entreprise et la
motivation des salariés. Il montre que la culture, en tant qu’outil principal de la socialisation
des individus au sein de l’entreprise, peut être considérée comme un outil de motivation.
La culture d’entreprise est par la suite considérée en tant que cadre d’action dont le
respect est une condition de la motivation des salariés.

Mots-clés :
CULTURE D’ENTREPRISE, IDENTITE AU TRAVAIL, MOTIVATION, SOCIALISATION,
VALEURS

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