INTELLIGENCE

ARTIFICIELLE ET

CAPITAL HUMAIN

QUELS DÉFIS POUR LES ENTREPRISES ?


The Boston Consulting Group (BCG)
Le BCG est un cabinet international de conseil en management et le leader mondial du conseil en stratégie d’entreprise. Nous
travaillons avec des clients de tous les secteurs partout dans le monde pour identifier ensemble les meilleures opportunités,
les aider à affronter leurs défis et faire évoluer leurs activités. A travers une approche personnalisée, nous leur apportons notre
vision de la dynamique des entreprises et des marchés ainsi que notre expertise à chaque niveau de leur organisation. Nous
leur garantissons ainsi un avantage concurrentiel durable, des organisations plus performantes et des résultats pérennes.
Fondé en 1963, le BCG est une entreprise privée présente dans 48 pays avec 85 bureaux. Plus d’informations sur www.bcg.fr
BCG GAMMA est l’entité mondiale du BCG dédiée à la Data Science et à l’Intelligence artificielle. BCG Gamma construit et
déploie des solutions algorithmiques innovantes à fort impact business pour les directions générales des entreprises.

Malakoff Médéric
Malakoff Médéric est un acteur majeur de la protection sociale complémentaire, qui exerce deux métiers (chiffres au 31
décembre 2016) :
›› L’assurance de personnes (santé, prévoyance, épargne retraite), avec 3,8 Mds€ de chiffre d’affaires récurrent, 4,9 Mds€
de fonds propres et une marge de solvabilité supérieure à 2 fois l’exigence réglementaire Solvabilité 2. Malakoff Médéric
assure la santé et la prévoyance de 212 000 entreprises, et couvre 4,8 millions de personnes au titre d’un contrat collectif
et 1,8 million au titre d’un contrat individuel.
›› La gestion de la retraite complémentaire avec 10,8 Mds€ de cotisations encaissées et 16,5 Mds€ de prestations versées,
une mission d’intérêt général menée pour le compte de l’Agirc-Arrco auprès de 207 000 entreprises, 2,8 millions de salariés
cotisants et 2,9 millions de retraités.
Le Groupe étant paritaire, mutualiste et à but non lucratif, sa gouvernance garantit la prise en compte et la défense des
intérêts des entreprises et des salariés. Plus d’informations sur www.malakoffmederic.com

Le comptoir MM de la nouvelle entreprise
Malakoff Médéric mène depuis une dizaine d’années une politique de partenariats et d’études sur les déterminants de la
santé et du bien-être au travail. En 2017, Malakoff Médéric va plus loin et crée le Comptoir mm de la nouvelle entreprise
pour analyser et décrypter les mutations du travail et accompagner les entreprises qui placent l’humain au cœur de la
stratégie. Tous les résultats, les travaux de recherche, les témoignages, les bonnes pratiques… sont diffusés sur le site dédié.
Plus d’informations sur www.lecomptoirmm.com #comptoirmm

INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE ET
CAPITAL HUMAIN
QUELS DÉFIS POUR LES ENTREPRISES ?

mars 2018

résumé
20 ans se sont écoulés entre la victoire de
l’ordinateur Deep Blue contre Garry Kasparov
en 1997 et celle d’Alpha Go contre le champion
du monde de go en 2017. Quelques mois plus
tard, le système Alpha Zero de DeepMind
devenait un champion des échecs en moins de
24h, sans apprentissage humain supervisé, sur
la seule base du livre de règles du jeu d’échecs.
L’impressionnante progression des performances
de l’Intelligence artificielle (IA)1 a suscité une
effervescence croissante. La « 4ème révolution
industrielle », reposant sur la donnée, a démarré
par la « révolution mobile » du digital et se
poursuivrait par la « révolution cognitive » de l’IA.
Le décollage actuel de l’IA est le fruit de
la convergence récente de trois facteurs :
technologiques (la disponibilité des données
a explosé et le rapport coût/performance des
technologies pour les traiter s’est effondré,
permettant l’essor du marché de l’IA),
économiques (l’IA est perçue comme un facteur
de compétitivité), et enfin humains (dans la
continuité des usages digitaux, le grand public
est aujourd’hui au contact de l’IA). 2018 sera
l’année du passage à l’échelle industrielle de l’IA.
Tous les secteurs ont aujourd’hui intégré cette
perspective. Certaines entreprises visent un
horizon de moins de 5 ans, malgré des disparités
fortes entre les organisations.
Le premier accueil spontané de l’IA est favorable
dans la société et les entreprises. La perspective
du salarié « augmenté », dont les capacités
d’action seraient démultipliées par l’interaction
avec la machine, est aujourd’hui dans les esprits.
Cependant, dirigeants et salariés prennent
progressivement conscience de l’ampleur
et de la complexité du déploiement de ces
technologies dans le monde du travail. Au-delà
des enjeux technologiques et financiers, les
questions sur l’impact humain sont au cœur des

1

débats. L’IA impactera toutes les dimensions du
capital humain dans notre économie : évolution
de la structure de l’emploi, de la nature des
emplois, des organisations de travail, de la
notion de responsabilité, des qualifications et
compétences…
Dans l’ensemble, les entreprises sont encore peu
préparées à accompagner les transformations
qui vont en découler.
L’expérience des entreprises les plus avancées
révèle l’ampleur des défis pour l’action des
dirigeants. Les Directions des Ressources
Humaines (DRH), notamment, seront sollicitées
pour permettre de concrétiser les opportunités
de l’IA en anticipant ses impacts humains :
›› L’urgence de comprendre les défis de l’IA et
d’en faire un objet de discussion au sein des
équipes de direction, mais aussi de débat
collectif et de dialogue social dans l’entreprise.
Donner du sens à la transformation sera
nécessaire pour déployer une « IA pour tous »,
dans le respect du contrat social de chaque
entreprise ;
›› Le besoin de créer la confiance avec les
clients et les salariés, en mettant en place
les conditions d’une éthique de l’IA au
quotidien, dans les comportements : sécurité
et transparence des algorithmes et des
données seront bien plus qu’un sujet de
règlementation ou de conformité ;
›› Le défi d’une évolution des compétences
d’une ampleur inédite, par son volume, sa
nature et la variété des fonctions et profils
concernés ;
›› La nécessité d’anticiper et d’accompagner
l’évolution des organisations de travail et
de leur fonctionnement, qu’il s’agisse des
« activités historiques » en transformation,
ou des nouvelles activités fondées sur l’IA qui
pourraient être créées ;

Voir définition proposée de l’IA en partie 1 du rapport

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

5

›› La nécessité pour la fonction RH de se saisir
elle-même des opportunités de l’IA : le « DRH
augmenté » devra prendre en compte la
généralisation du binôme homme-machine,
et devra intégrer l’apport des machines pour
remplir efficacement son nouveau rôle.
Les incertitudes sur le rythme de déploiement
des solutions d’IA ont pu ralentir l’implication
des DRH dans les premières étapes. Elles en
renforcent aujourd’hui le besoin : le pilotage de
cette (r)évolution longue de l’IA sera complexe
et l’anticipation clé. Le rythme diffèrera par
secteur, fonction, voire par entreprise, sans
que des effets disruptifs puissent être exclus
en cas d’emballement du calendrier, ou si un
grand nombre de compartiments de l’entreprise
étaient touchés simultanément.
Si l’entreprise sera le lieu essentiel de ces
transformations, leur ampleur et leur impact
sociétal nécessiteront une coordination avec
toutes les parties prenantes. Gérer les impacts de
l’IA sur l’emploi, la formation initiale et continue et
la protection sociale mobilisera pouvoirs publics,
branches, filières et organisations patronales
et syndicales. Ces acteurs ont commencé à
s’emparer du sujet, et les enseignements de
notre étude peuvent contribuer à nourrir leur
réflexion. Quatre chantiers sont d’ores et déjà
identifiés :
›› La recherche des trajectoires d’emploi les
plus adaptées ;
›› La formation et la requalification ;
›› Le cadre juridique, éthique et règlementaire ;
›› L’accompagnement des TPE / PME, qui devra
faire l’objet d’une attention spécifique pour
que ces entreprises ne deviennent pas des
« déserts de l’IA ».

2 Voir la note méthodologique

6

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Notons que la présente étude a été menée en
interrogeant des acteurs du secteur privé, mais
les conclusions s’appliquent également à la
sphère publique.

Cette étude sur l’impact du déploiement des
technologies d’IA sur le capital humain des
entreprises est réalisée conjointement par
Malakoff Médéric et The Boston Consulting
Group2. Elle se base sur une étude quantitative
menée par l’institut Harris auprès de salariés,
cadres et dirigeants entre novembre et décembre
2017. Sauf mention contraire, les chiffres
mentionnés dans ce document proviennent de
cette étude. Une série d’entretiens qualitatifs a
été menée en face à face auprès de dirigeants
de grandes entreprises de secteurs variés. En
complément, les derniers rapports nationaux
et internationaux ont été mobilisés. L’étude a
été réalisée avec le soutien du Conservatoire
National des Arts et Métiers (CNAM) et de
l’Observatoire Social International (OSI). Le
CNAM a réalisé un état des lieux de l’état des
technologies et de leur perception et interviewé
des experts académiques. L’OSI a interviewé les
partenaires sociaux et représentants patronaux.

sommaire

1. UNE ACCÉLERATION SPECTACULAIRE DE L’IA, DONT LES CONSÉQUENCES SONT ENCORE PEU
COMPRISES ET ANTICIPÉES
1.1

Le marché de l’IA a aujourd’hui une réalité industrielle après plus de 50 ans de travaux structurants

14

1.2

L’IA est perçue comme un facteur de compétitivité dans tous les secteurs

17

1.3

L’IA fait partie aujourd’hui du quotidien personnel et professionnel, et sa perception est positive

18

1.4

La perception des bénéfices de l’IA s’accompagne de vigilance quant aux risques possibles

21

1.5

L’impact emploi de l’IA au niveau sociétal sera conséquent mais est complexe à analyser

23

1.6

Vers le « collaborateur augmenté » : une transformation profonde de l’emploi

25

1.7

Face à cette réalité, des niveaux de préparation contrastés et dans l’ensemble modestes

27

2. DU COLLABORATEUR AUGMENTÉ AUX NOUVELLES ORGANISATIONS DE TRAVAIL, LES PRIORITÉS
D’UN ACCOMPAGNEMENT RÉUSSI, À ADAPTER SELON LA TAILLE DE L’ENTREPRISE
2.1

Le DRH partenaire du métier pour mettre en place le cadre d’adoption de l’IA
2.1.1
2.1.2
2.1.3

2.2

2.3

Préparer dirigeants, collaborateurs et parties prenantes aux spécificités de la transformation liée à
l’IA pour en faciliter l’adoption
Garantir la qualité des emplois de demain dans un contexte d’interaction homme-machine
Organiser une « tour de contrôle » interne et externe sur les questions d’éthique liées aux données
et aux algorithmes pour garantir la confiance

33
33
33
35

Le DRH garant des compétences, face au défi de l’IA

37

2.2.1
2.2.2

37

Recruter et fidéliser les nouveaux talents nécessaires à l’IA
Anticiper les évolutions de l’emploi et des compétences, voire des identités professionnelles, dans
l’entreprise – adapter les outils de formation pour faire face à une accélération des volumes et une
évolution des contenus de formation

Le DRH stratège pour anticiper et éclairer les évolutions de l’organisation
2.3.1
2.3.2
2.3.3

Adapter les organisations et leur gouvernance à un nouvel équilibre entre centralisation et
décentralisation des décisions
Accompagner les nouveaux modes de fonctionnement induits par l’IA, notamment transversalité et
transparence
Accompagner des évolutions majeures dans le rôle des managers aux différents niveaux

37

40
40
40
41

2.4

Le DRH animateur du dialogue social et sociétal pour garantir la responsabilité sociale de
l’entreprise dans la mise en place de l’IA

42

2.5

Le DRH augmenté pour faire de la DRH un laboratoire et un modèle du déploiement de l’IA

48

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

7

auteurs
DAVID GIBLAS

SYLVAIN DURANTON

Directeur Innovation, Partenariats
Santé, Digital et Data Malakoff Médéric

Directeur Associé Senior au BCG
Gamma

dgiblas@malakoffmederic.com

Duranton.Sylvain@bcg.com

ANNE-SOPHIE GODON

JEAN-CHRISTOPHE GARD

Directrice de l’innovation Malakoff
Médéric

Directeur Associé Senior au BCG
Gard.Jean-Christophe@bcg.com

asgodon@malakoffmederic.com

MARC FARGEAS

AGNÈS AUDIER

Responsable veille, prospective et
études stratégiques Malakoff Médéric

Directrice Associée au BCG
Audier.Agnes@bcg.com

mfargeas@malakoffmederic.com

JEAN-MICHEL CAYE
Directeur Associé Senior au BCG
Caye.Jean-Michel@bcg.com

PIERRE-EMMANUEL BUFFARD
Principal au BCG
Buffard.PierreEmmanuel@bcg.com

Cette étude a été réalisée par Malakoff
Médéric et le Boston Consulting Group, avec
le soutien de Malakoff Médéric Innovation
Santé (MMIS), le Conservatoire National des
Arts et Métiers et de l’Observatoire Social
International :

MANUEL ZACKLAD

Professeur en Sciences de l’Information et de la
Communication au CNAM
Directeur du laboratoire DICEN-IDF, Dispositifs
d’Information et de Communication à l’Ère du
Numérique en Ile de France

JEAN KASPAR
Vice-Président de l’OSI. Consultant en stratégies sociales

DOMINIQUE BAILLY

Prospectiviste et expert en transformation sociale des
organisations. Membre du Bureau de l’OSI, en charge
du pilotage du projet stratégique

8

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

contributeurs
Les auteurs souhaitent
remercier les personnes
suivantes pour leur
contribution à ce
rapport :

JACQUES ADOUE

FRÉDÉRIQUE GIAVARINI

Directeur Général des Ressources
Humaines et Responsabilité
Sociétale, Edenred

Directrice des Ressources Humaines,
FNAC DARTY

SOPHIE GRUGIER

FABRICE ANGEI

Membre du Bureau Confédéral, CGT

Directrice Ressources Humaines
supply chain, Schneider Electric

AGNÈS BENSOUSSAN

ALEXIS MASSE

Directrice des Ressources Humaines,
General Electric France

RAPHAELLE BERTHOLON

ALICE-ANNE MÉDARD

Déléguée nationale confédérale à
l’économie, CFE-CGC

Directrice des Ressources Humaines,
Aéroports de Paris

JEAN-SÉBASTIEN BLANC

Directeur des Ressources Humaines,
Plastic Omnium

AUGUSTIN BOURGUIGNAT

Secrétaire confédéral en charge
de la politique industrielle, de la
recherche et de l’innovation, CFDT

ODILE MENNETEAU

Directrice de Mission - Direction
Générale des Affaires Sociales,
MEDEF

DIDIER MOATÉ

Directeur des Ressources Humaines,
La Banque Postale

BERTRAND BRAUNSCHWEIG

SOPHIE PÈNE

Directeur du centre de recherche
Saclay - Île-de-France, INRIA

Professeur en Sciences de
l’Information et de la Communication,
Université Paris Descartes /
Directrice master Ed Tech

ETIENNE BUREAU

Directeur Stratégie et Innovation,
Devoteam

CATHERINE PERRET

Secrétaire confédérale, CGT

ADRIEN CIPEL

VP Sales EMEA, Workfusion

SÉBASTIEN PIALLOUX

Directeur Data & IoT, SNCF

BÉATRICE CLICQ

Déléguée Centrale Adjointe Orange,
Force Ouvrière

GODEFROY DE BENTZMANN

VICTOR PIETRIGA
Force Ouvrière

Président, Syntec Numérique / CoPrésident, Devoteam

CARLO PURASSANTA

CÉCILE DEJOUX

JEAN-BAPTISTE RUDELLE

JEAN-PHILIPPE DESBIOLLES

ROLAND SCHARRER

Président, Microsoft France

Professeur des Universités en
Ressources Humaines, CNAM

Les auteurs remercient
également pour leur
contribution importante au
projet :

Secrétaire confédéral en charge
de l’IA, de la robotique et du
numérique, CFDT

Président exécutif et Co-Fondateur,
Criteo

Vice-Président, IBM Watson

Chief Technology and Innovation
Officer, Axa

CHRISTOPHE DES DORIDES

FRÉDÉRIC TRINEL

VP Alliances & Channels sales,
FINALCAD

Co-fondateur et Co-Président,
Ecovadis

Gauthier Lalande, Data & AI
product manager et Isabelle
Mosneron-Dupin, chargée de
mission, Malakoff Médéric ;

MICHEL ESTIMBRE

Augustin Saby et Lucie
Robieux, consultants au BCG.

Senior Partner AI@BCG initiative,
BCG / fellow, BCG Henderson Institute

Directeur Général Délégué, Malakoff
Médéric

PHILIPP GERBERT

ALEXANDRE VIROS

Vice-Président en charge du digital et
du marketing, FNAC DARTY (aujourd’hui
Directeur Général, OUI.sncf)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

9

zoom
vademecum du DRH augmenté

15 actions à lancer maintenant !
Parce qu’il y a urgence à se préparer et à agir, 15 actions pour tous les DRH qui ne sont pas encore
totalement impliqués dans les projets IA de leur organisation :

Comme partenaire du métier pour créer le cadre de déploiement de l’IA (en appui)

1.

Accompagner la prise en compte de l’IA, de ses enjeux et de ses impacts par les
responsables de l’entreprise

2.

Participer à la construction d’une pédagogie de l’IA pour l’ensemble des collaborateurs,
donner du sens à son déploiement

3.

Favoriser les approches pilotes et les expérimentations pour diminuer les appréhensions

4.

Mettre en place les mécanismes, instances et comportements éthiques garantissant
la bonne utilisation des données et algorithmes pour créer le cadre de confiance

comme garant des compétences (en responsabilité)

10

5.

Adapter la gestion de l’emploi et des compétences pour prendre en compte l’IA /
mettre sous contrôle les recrutements

6.

Identifier les compétences nécessaires à la production d’IA, en sécuriser le sourcing

7.

Intégrer des scénarii de développement de nouvelles activités liées à l’IA dans votre
entreprise

8.

Anticiper l’effort de requalification pour accompagner la transformation des emplois,
repérer ou faire naître des formations adaptées à vos enjeux, revisiter votre processus
de formation dans la perspective d’un décollage de l’IA dans votre entreprise

9.

Identifier les enjeux d’identités professionnelles de votre organisation

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

comme stratège (en appui)

10.

Faire entrer les machines et les données dans le champ du DRH, en lien avec les
opérations, la DSI : s’impliquer dans les pilotes existants pour éclairer les réflexions
sur les enjeux de l’IA

11.

Faire ajouter un volet d’analyse des impacts de l’IA sur le capital humain aux pilotes
lancés ou en cours de lancement quand il n’existe pas, y compris dans ses aspects
de qualité de vie et santé au travail

comme animateur du lien social et sociétal (en responsabilité)

12.

Intégrer l’IA dans le dialogue social

13.

Travailler avec les branches et les territoires pour participer à une gestion collective
de la transformation

comme responsable de la fonction RH (en responsabilité)

14.

S’assurer que la DRH soit pilote de l’utilisation de l’IA dans ses propres modes de
fonctionnement : recrutement, formation, mobilité…

15.

Mettre en place des évaluations des impacts emploi et compétences, mesurer les
transferts de tâches

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

11

Chapitre 1

UNE ACCÉLÉRATION SPECTACULAIRE DE L’IA,
DONT LES CONSÉQUENCES SONT ENCORE PEU
COMPRISES ET ANTICIPÉES

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

13

Il n’existe pas de définition univoque de l’IA. Nous reprenons dans cette étude la définition de Marvin
Lee Minsky (1927-2016), qui fait assez largement consensus, et positionne l’IA comme relevant d’un
champ de l’informatique dédié à « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des
tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles
demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation
de la mémoire et le raisonnement critique ».

Reconnaissance de l’écriture
Reconnaissance d’images et de vidéos
Reconnaissance faciale
Reconnaissance de la voix

Robotique physique
Robotique logicielle
Robotique systèmes complexes

IA
Interface en langage naturel
Traduction machine
Analyse de sentiments

Analytique descriptif
Analytique prédictif
Analytique prescriptif

1.1 Le marché de l’IA a aujourd’hui une réalité industrielle
après plus de 50 ans de travaux structurants
Le terme d’intelligence artificielle n’est pas
nouveau : c’est en 1956 que Mac Carthy et Minsky
l’ont proposé dans le cadre de leurs recherches.
Bertrand Braunschweig, de l’INRIA, rappelle que
les technologies correspondantes ont suscité
deux vagues d’intérêt, dans les années 60
puis 80. Ces phases ont été interrompues par
ce que l’on a appelé les « hivers de l’IA » : un
premier hiver de 1974 à 1980 face aux limites
technologiques, un second de 1987 à 1993,
les premières applications industrielles autour
des systèmes experts n’ayant pas tenu leurs
promesses.

3

« Data Age 2025 », IDC, avril 2017

14

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Les technologies développées durant ces deux
premières phases sont toujours pour une part
celles à l’origine du décollage actuel, mais le
contexte a considérablement évolué.
Les données sont largement disponibles et
accessibles.
›› Entre 2013 et 2016 le volume de données
mondial aura été multiplié par plus de 4,
passant de 4 à 16 zettabits (milliers de
milliards de gigabits), et devrait atteindre 163
zettabits en 20253 ;

›› Le volume de données créé par seconde
pourrait atteindre 60 000 gigaoctets en
2020 ; il était de 100 gigaoctets par jour en
19924 ;
›› Le nombre d’utilisateurs connectés a triplé
de 2003 à 20155, et le nombre des objets
connectés émettant de la donnée devrait
atteindre 26 milliards en 20206.
La technologie a connu des progrès
exponentiels. Les limites qui expliquaient les
déceptions des « hivers » précédents de l’IA
ont reculé à mesure que les performances
technologiques s’accroissaient et que les coûts
baissaient :
›› Essor des puissances de calcul, avec un coût
divisé par 50 en 10 ans7 ;
›› Essor du web, avec un coût de bande
passante divisé par 40 en 10 ans8 ;
›› Division par 10 en 10 ans du coût de stockage
des données9 ;
›› Sur une base 1 en 2008, le rapport
performance / prix des robots industriels
était en 2013 de 20, et celui des capteurs de
tout type de 50010.
La recherche progresse rapidement. Le nombre
de publications sur l’IA a été multiplié par 9 en
une décennie pour atteindre 20 000 publications
en 201611, la Chine prenant la première place du
classement devant les Etats-Unis, avec plus de
6 000 publications.
Parmi les progrès récents, l’apprentissage
automatique et notamment l’apprentissage
profond (ou Deep Learning) est clé. Ces nouveaux
algorithmes s’appuyant sur des architectures
neuronales empruntées à l’architecture du cerveau,
permettent aux machines d’apprendre par ellesmêmes en mode supervisé ou semi-supervisé.

Dans plusieurs domaines, les résultats obtenus
par les machines sont désormais égaux ou
supérieurs à ceux des humains12 : lors de la
compétition annuelle ImageNet, qui teste la
reconnaissance des images, les machines ont
surpassé l’acuité humaine en 2015. De même,
des programmes talonnent les humains dans la
reconnaissance vocale, avec plus de 90 % de
phrases reconnues, y compris celles de longueur
supérieure à 40 mots. En janvier 2018, des
solutions d’intelligence artificielle de Microsoft
et Alibaba ont réalisé de meilleurs scores que les
humains au test de lecture SQuAD de l’université
de Stanford13.
Majeures, ces avancées restent cependant le
fait de machines spécialisées, dans des champs
délimités et indépendants, que l’on appelle dans
le débat public des IA « faibles ». Ce terme
s’oppose à celui d’IA « forte », une machine qui
serait capable d’appliquer de façon autonome
de l’intelligence à tout type de problème et de
concurrencer l’esprit humain. Pour Manuel Zacklad
du CNAM et Bertrand Braunschweig de l’INRIA, la
peur d’une IA « forte » n’est pas d’actualité dans
un horizon proche, et aucune preuve empirique ne
démontre qu’elle le soit un jour.
Le marché et les investissements se
développent. Le marché mondial des solutions
de big data et analytics, estimé à 150 milliards de
dollars en 2016, pourrait atteindre 210 milliards
à l’horizon 202014. Complexe, l’écosystème
n’est pas stabilisé et compte de nombreux
acteurs : intégrateurs, agrégateurs de données,
fournisseurs de plateformes ou de solutions
analytiques…

EIU Market Data, IHS, Cisco VNI 2016, « Data never sleeps 5.0 », Domo, 2017
Id.
6
Id.
7
Blackblaze, Indeed.com, IDC Worldwide Big Data and Analytics Software Forecast 2017
8
Id.
9
Id.
10
Interview experts, analyse BCG
11
Artificial Intelligence Index 2017, aiindex.org
12
Id.
13
https://rajpurkar.github.io/SQuAD-explorer/
14
Worldwide semiannual big data and analytics spending guide, International Data Corporation (IDC), mars 2017
4

5

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

15

Domaine

Cas d’usages emblématiques
Perception
et vision par
ordinateur

›› Véhicules autonomes
›› Diagnostics médicaux par analyse d’images
›› Systèmes d’inspection (ex. détection de défauts)

Langage
naturel

›› Assistants personnels (Google home, Alexa)
›› Chatbots - service client, vente
›› Analyse automatisée de documents, traductions

Robotique

›› Optimisation de la production
›› Optimisation de la logistique (ex. entrepôts)
›› Centres de services partagés robotisés

Support à la
décision

›› Personnalisation des offres et recommandations
›› Analyse prédictive (ex. maintenance)
›› Prévention et détection de la fraude

Les « GAFAM » américains15, auxquels s’associe
IBM, dominent le paysage de l’AI. Ces groupes
sont les principaux acteurs des multiples
rachats de start-ups dans le domaine de l’IA16, et
investissent dans la recherche : la solution d’IA
Watson d’IBM est soutenue par plus de 10 000
chercheurs par exemple, dont 800 en France.
Facebook a récemment annoncé le doublement
de taille de son laboratoire de recherche IA (FAIR)
à Paris. Google a annoncé que son troisième
centre de recherche fondamentale sur l’IA serait
basé sur son campus parisien. Ces acteurs
offrent en open source aux entreprises et aux
partenaires des plateformes cloud proposant
des solutions d’IA complètes, facilitant ainsi la
diffusion de leurs produits. Ils sont talonnés de
plus en plus par les acteurs chinois, en particulier
les BATX17. En 2017, pour la première fois, plus
d’investissements dans le domaine de l’IA ont
été réalisés en Chine qu’aux Etats-Unis18.

GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft
« The race for AI », CBInsights, juillet 2017
17
BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi
18
« Top AI trends to watch in 2018 », CBIsights, 2018
19
« The state of artificial intelligence », CBInsights, 2017
20
https://franceisai.com/
21
« The artificial intelligence rush », Serena Capital, 2017
22
La Tribune, 08/12/2017, « Intelligence artificielle : le nouvel Eldorado »
15
16

16

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

A l’autre extrémité du spectre, 5 milliards de
dollars ont été investis mondialement dans des
start-ups d’IA en 2016, contre 600 millions en
201219. L’initiative FranceisAI20 recensait plus
de 250 startups spécialisées en IA à fin 2016
en France, et le fonds spécialisé privé Serena
Capital liste 38 startups ayant levé des fonds
sur le sujet en 201621 pour un total de 118M€
(+230 % en nombre, +70 % en valeur).
Les cas d’usage se répandent. Ils s’inscrivent
dans la continuité des cas d’usage de la
transformation digitale des années 2014-2018.
Au fur et à mesure des progrès, de nouveaux
champs et cas d’usage sont identifiés, le coût ne
représentant plus un obstacle : « À partir de 50
000 euros pour le traitement des mails entrants
dans une grosse PME. Idem pour un modèle
prédictif de maintenance industrielle... » pour
Christophe Tricot, de Kynapse22.

1.2 L’IA est perçue comme un facteur de compétitivité dans
tous les secteurs
De nombreux secteurs ont été confrontés
de longue date aux problématiques de
robotisation et d’automatisation. L’IA démultiplie
les perspectives, en se combinant avec
l’automatisation de nouvelle génération, qu’elle
soit physique ou logicielle : la robotisation
fournit le bras, l’IA le cerveau. Les bots rendent
de vastes sources de données accessibles à l’IA
et automatisent les tâches simples, l’IA apprend
à imiter et améliorer les processus existants
grâce aux données de l’automatisation.
On peut distinguer 4 logiques, non exclusives,
d’adoption de l’IA :
›› Productivité : optimisation, efficacité des
processus (ex. traitement robotisé de
factures) ;
›› Revenu : nouvelles offres, nouveaux produits
et services (ex. véhicule autonome) ;
›› Relationnel : service, satisfaction client (ex.
chatbots, personnalisation des offres) ;
›› Décisionnel : appui expert à la prise de
décision (ex. évaluation des risques en
banque-assurance) grâce à une meilleure
utilisation et analyse des données.

23
24

Cet effet de l’IA comme facteur de compétitivité
est perçu par les dirigeants, qui citent d’abord la
productivité (41 %), devant le relationnel client
(28 %) et l’accroissement du chiffre d’affaires
grâce à l’innovation et à la diversification des
activités (17 %).
A titre d’exemple, de premiers pilotes d’IA
appliqués à des parties de processus de back
office dans le secteur bancaire ont montré des
gains possibles de 60 % des délais de traitement,
70 % de la charge de saisie des données et de
contrôle et de 80 % des resaisies23.
Nos entretiens n’ont pas immédiatement mis
en évidence de différence de calendrier de mise
en œuvre entre les secteurs pour les grandes
entreprises, rejoignant ainsi les études menées
au niveau mondial sur le sujet24.
Les secteurs pour lesquels la donnée est au
cœur de l’activité (télécommunications, banque/
finance, assurance), ainsi que les entreprises
ayant déjà mis en œuvre une stratégie et une
gouvernance de la donnée partent avec un
temps d’avance dans leur réflexion IA, et a
fortiori les « digital natives ».

Illustration d’un cas concret mentionné par l’une des entreprises interviewées
« Reshaping Business With Artificial Intelligence », MIT Sloan Management Review & BCG, automne 2017

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

17

Les secteurs ayant vécu une phase de
robotisation physique, même si celle-ci n’était
pas appuyée par de l’IA, ont le sentiment d’avoir
accumulé une expérience de l’interface hommemachine sur laquelle s’appuyer dans cette

nouvelle phase. Ce sont souvent également des
secteurs ayant fait l’expérience des efforts de
productivité par le biais de l’automatisation.

1.3 L’IA fait partie aujourd’hui du quotidien personnel et
professionnel, et sa perception est positive
Les solutions d’IA sont de plus en plus
présentes dans le quotidien. Quelques années
après l’assistant vocal Siri d’Apple, les enceintes
intelligentes comme Alexa d’Amazon et Google
Home ont intégré en 2017 le top 3 des cadeaux
technologiques25. 74 % des salariés participant à
notre enquête indiquent avoir déjà utilisé dans leur
vie personnelle des traducteurs automatiques,
63 % des applications d’optimisation de trajet,
32 % des assistants virtuels et 19 % des solutions
de reconnaissance faciale. Si les usages sont
aussi nombreux, c’est parce que les nouveaux
produits et services, très convaincants, se sont
inscrits dans la dynamique des innovations liées
au digital, sans revendiquer, sauf exception, un
contenu particulier en IA.

En entreprise, l’IA est connue, mais une
certaine confusion règne encore sur sa
nature. Les ¾ des dirigeants et 8 salariés sur 10
déclarent connaître l’IA. Revers de la médaille,
seuls 12 % des dirigeants et 24 % des salariés
indiquent savoir précisément de quoi il s’agit.
Les managers se distinguent en étant 49 % à
indiquer avoir une connaissance précise de l’IA.
Le développement de l’IA est dans l’ensemble
perçu positivement. Plus de 70 % des managers
et des dirigeants considèrent l’IA positivement
pour eux-mêmes et leur travail. Plus de 75 %
considèrent qu’il s’agit d’une « bonne chose »
pour leur entreprise. Ces pourcentages sont
respectivement de 41 % et 46 % pour les salariés,
dont un tiers ne se prononce pas sur ces questions.

DIRIEZ-VOUS QUE LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EST UNE TRÈS BONNE, ASSEZ BONNE,
ASSEZ MAUVAISE OU TRÈS MAUVAISE CHOSE…
Dirigeants

Managers
TOTAL

Pour votre entreprise

Pour vous-même, votre travail

5 % 14
5%

4%
4%

%

10 %

65 %

62 %

79 %

72 %

Très bonne

25

« Top 10 Cadeaux de Noël High-Tech 2017 », Institut GfK 20.11.17

18

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Salariés
TOTAL

8%

24 %

10 %

22 %

Bonne

53 %

48 %

77 %

70 %

TOTAL

32 %

29 %

9%

7%

37 %

34 %

Ne sait pas

46 %

41 %

QUAND VOUS PENSEZ AU DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE EN
GÉNÉRAL, QU’EN DIRIEZ-VOUS EN TANT QUE CITOYEN ?
Total Optimiste - 43 %

Total Optimiste - 63 %

Total Optimiste - 35 %

Total Pessimiste - 47 %

Total Pessimiste - 24 %

Total Pessimiste - 43 %

13 %

9%

30 %

20 %

26 %

43 %
19 %

23 %

Dirigeants

Managers

11 %

10 %

22 %
13 %

24 %

Enthousiaste

Salariés

Confiant

24 %

13 %

Indifférent

Reflet de ces perceptions, plus de 70 % des
dirigeants et managers se disent prêts à travailler
avec une IA, contre 44 % des salariés (dont 24 %
ne se prononcent pas). Dirigeants et managers
sont d’ailleurs plus de 60 % à souhaiter que l’IA
traite une partie de leurs tâches, contre 36 %
des salariés (dont 21 % ne se prononcent pas).

Sceptique

Inquiet

d’optimistes contre 47 %), quand les managers
sont plus volontaristes, avec 63 % d’optimistes.

La prudence domine quand la question est
posée en tant que citoyen. 35 % des salariés
sont optimistes quant ils envisagent l’impact du
déploiement de l’IA dans la société française,
contre 43 % pessimistes (et 22 % d’indifférents).
Les dirigeants rejoignent ce constat (43 %

Cette prudence citoyenne est partagée par
les experts universitaires et les ONG à l’origine
d’un rapport26 mettant en évidence les risques
d’utilisation malveillante de l’IA : sécurité des
personnes, cybersécurité et équilibre politique
pourraient être menacés grâce aux progrès de
l’IA par des attaques « particulièrement efficaces,
finement ciblées et difficiles à attribuer » dans
les prochaines années.

DANS LES 5 ANS À VENIR, LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE VA-T-IL AU SEIN DE VOTRE
ENTREPRISE PLUTÔT AMÉLIORER, PLUTÔT DÉGRADER OU NI AMÉLIORER NI DÉGRADER LES ITEMS SUIVANTS ?
Dirigeants

La performance

75 %

La rapidité, la fiabilité de la prise de
décision
L’organisation du travail, la manière de
travailler
L’organisation de l’entreprise :
fonctionnement, pilotage et gouvernance
Les pratiques managériales

22 %

61 %

36 %

64 %

28 %

57 %

37 %

34 %

49 %

Va plutôt améliorer

26

Managers

51 %

2 %211%%
%

2 %21%
%
1%

2 %%
66%%2

55% %
44 %%

11 % 33 % %

Salariés

35 %

48 %

43 %

39 %

32 %

Va ni améliorer ni dégrader

37 %

42 %

43 %

9% 6%

30 %

9% 6%

29 %

12 % 6 %

44 %

35 %

9% 5%

16 %

8%

Va plutôt dégrader

25 %

14 %

27 %

31 %

29 %

32 %

37 %

8%

30 %

10 %

29 %

15 %

27 %

14 %

19 %

29 %

30 %

Ne sait pas

« The Malicious Use of Artificial Intelligence », février 2018, https://maliciousaireport.com/

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

19

LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT ENGENDRER UN CERTAIN NOMBRE DE BÉNÉFICES
DANS LE TRAVAIL DES SALARIÉS. LESQUELS SELON VOUS, DANS VOTRE ENTREPRISE ?

Dirigeants

Managers
Total Oui

Réduire les risques d’erreur

26 %

83 %

57 %

Total Oui
7%

25 %

• 500 salariés et + (94 %)

Développer les compétences des
salariés et leur en apprendre de
nouvelles

Réduire les tâches dangereuses /
Améliorer la sécurité

20 %

2%

19 %

2%

77 %

57 %

62 %

43 %

Salariés

44 %

69 %

Total Oui
28 %

10 %

37 %

27 %

10 %

33 %

31 %

47 %

• Plus de 250 salariés (73 %)

69 %

7%

22 %

47 %

6%

26 %

41 %

67 %

26 %

11 %

44 %

67 %

27 %

7%

43 %

42 %

• 500 salariés et + (71%)

Améliorer l’intérêt des tâches,
donner plus de valeur ajoutée au
travail

1%

Offrir de nouvelles opportunités
en termes de métier et de
parcours professionnels

2%

Améliorer le bien-être / la qualité
de vie des salariés

2%

Permettre plus d’ouverture sur
l’extérieur et plus de collaboration
avec les partenaires

Renforcer la capacité
d’adaptation, l’agilité des salariés

1%

2%

36 %

16 %

50 %

66 %

6%

16 %

49 %

65 %

8%

24 %

43 %

67 %

29 %

9%

27 %

36 %

62 %

8%

22 %

45 %

67 %

29 %

8%

29 %

37 %

60 %

9%

22 %

45 %

67 %

31 %

8%

23 %

43 %

23 %

29 %

• 500 salariés et + (77%)

12 %

2%

4%
4%

50 %

13 %

47 %

8%

29 %

37 %

• 500 salariés et + (71 %)

2%

2%

8%

54 %

46 %

66 %

29 %

7%

31 %

38 %

• Encadre + de 10 collaborateurs (71 %)

Diminuer la charge de travail

1%

Donner plus d’autonomie aux
salariés

2%

1%

2%

13 %

6%

42 %

55 %

41%

35 %

6 % 20 %

8%

20 %

42 %

46 %

62 %

66 %

24 %

28 %

11 %

8%

27 %

28 %

38 %

36 %

• 500 salariés et + (54%)

Ne sait pas

Les bénéfices de l’IA pour l’entreprise et les
salariés sont mis en avant par les dirigeants
et managers. Une majorité de dirigeants estime
que l’IA va plutôt améliorer la performance de
l’entreprise (75 % des dirigeants), la rapidité
et fiabilité de la prise de décision (61 %),
l’organisation/la manière de travailler (64 %),
l’organisation, le pilotage de l’entreprise (57 %).
La perception des managers est plus réservée.
Une grande majorité des dirigeants estime que
l’IA va également engendrer des bénéfices pour
le travail des collaborateurs : réduction des
risques d’erreur (83 % des dirigeants), montée

20

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Oui tout à fait

Oui plutôt

en compétences (77 %), réduction des taches
dangereuses (62 %), amélioration de l’intérêt des
tâches et de la valeur ajoutée du travail (66 %),
nouvelles opportunités en termes de parcours
professionnels (65 %), amélioration du bien-être
et de la qualité de vie au travail des salariés
(62 %).
Plus de 65 % des managers partagent cette
vision positive. Les salariés sont plus réservés et
ont du mal à se positionner sur ces effets.

1.4 La perception des bénéfices de l’IA s’accompagne de
vigilance quant aux risques possibles
Craintes sur l’emploi et le lien social. Salariés
et dirigeants sont conscients des risques
humains dont l’IA pourrait être porteuse :
›› Le risque d’une déshumanisation du travail,
de perte du lien social (56 % des répondants
salariés) ;
›› Les problèmes éthiques (respect de la vie
privée, protection des données personnelles,
non-discrimination… pour 51 % des
répondants salariés) ;
›› La baisse des volumes de travail et d’emploi
(50 %).

volume du travail (57 %). Les managers partagent
les risques sur le reporting et la déshumanisation
du travail, et y ajoutent les questions d’éthique
(64 % pour les trois items).
S’agissant de l’emploi dans leur organisation,
39 % des dirigeants ayant répondu à notre
enquête sont pessimistes quant à l’impact de
l’IA, contre 17 % qui estiment que l’effet sera
positif. Les proportions sont très similaires chez
les salariés : 34 % contre 11 %.
Pour les dirigeants, les réponses à cette question
de l’impact sur l’emploi varient sensiblement
selon la taille de l’entreprise, ceux des plus
petites étant les plus pessimistes.

Pour les dirigeants, c’est la crainte de générer
plus de reporting et de contrôle qui est le risque
principal (70 %), devant la déshumanisation et le

LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE PEUT ENGENDRER DES RISQUES DANS LE TRAVAIL DES
SALARIÉS. LESQUELS SELON VOUS, DANS VOTRE ENTREPRISE ?
Dirigeants

Managers

Salariés

Total Oui
Générer plus de reporting et de
contrôle

4%

4%

Déshumaniser le travail, créer une
perte de lien social

1%

Baisser le volume de travail, engendrer
des suppressions de postes ou métiers

1%

Soulever des problèmes éthiques :

respect de la vie privée, protection des données
personnelles, renforcement des discriminations…

2%

1%

1%

2%

27 %

20 %

18 %

19 %

Total Oui

70 %

43 %

8%

20 %

44 %

39 %

37 %

57 %

5%

25 %

39 %

57 %

6%

24 %

7%

22 %

31 %

50 %

Ne sait pas

37 %

42 %

Total Oui

64 %

31 %

64 %

61 %

64 %

14 %

34 %

24 %

25 %

26 %

22 %

28 %

28 %

20 %

31 %

Oui tout à fait

31 %

48 %

56 %

50 %

51 %

Oui plutôt

DANS LES 5 ANS À VENIR, COMMENT LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE VA-T-IL IMPACTER
L’EMPLOI AU SEIN DE VOTRE ENTREPRISE ?

Dirigeants

17 %

42 %

Va plutôt améliorer

Managers

39 %

2%
2%

25 %

Va ni améliorer ni dégrader

41 %

Salariés

28 %

11 %

6%
6%

Va plutôt dégrader

29 %

34 %

26 %

Ne sait pas

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

21

IMPACT DE L’IA SUR L’EMPLOI EN FONCTION DE LA TAILLE DE L’ENTREPRISE

18 %

17 %

39 %

41 %

43 %

50-99 salariés

18 %

19 %

Va plutôt améliorer
Va ni améliorer ni dégrader
Va plutôt dégrader

59 %

56 %

23 %

25 %

250-499 salariés

500 salariés et plus

42 %

100-249 salariés

Chiffres en proportion du nombre de
dirigeants s'étant prononcés sur
cette question

AU GLOBAL, DIRIEZ-VOUS QUE LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE DANS VOTRE ENTREPRISE VA AVOIR
UN IMPACT TRÈS POSITIF, ASSEZ POSITIF, PLUTÔT NÉGATIF OU TRÈS NÉGATIF SUR LA SANTÉ DES SALARIÉS AU TRAVAIL ?

8%

Total Positif - 67 %

Total Positif - 70 %

Total Positif - 41 %

Total Négatif - 25 %

Total Négatif - 20 %

Total Négatif - 28 %

4%

5%

17 %

36 %

2%

23 %

Dirigeants

63 %

10 %

53 %

31 %

Managers

Salariés

6%
8%

14 %

Très positif

Assez positif

Plutôt négatif

Impacts ambivalents sur la santé au travail.
67 % des dirigeants et 70 % des managers
anticipent un impact plutôt positif sur la santé
au travail. Les salariés sont réservés : 41 %
seulement voient un impact positif.
60 % des dirigeants (69 % des managers)
estiment que l’IA va permettre de développer la
prévention santé grâce aux objets connectés.
64 % (66 % des managers) pensent que l’IA risque
d’engendrer de nouveaux risques psychologiques
pour la santé. Cette crainte est partagée par la
moitié des salariés (jusqu’à 56 % chez les 50 ans
et +).
Importance des défis RH à relever. Pour 56 %
des dirigeants (37 % des managers et 37 %
des salariés), le 1er défi à relever en termes

22

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Très négatif

20 %

Ne sait pas

de ressources humaines est de « repenser
l’organisation du travail, la répartition des
tâches entre humains et IA ». Viennent ensuite
pour les dirigeants la formation culturelle
des collaborateurs (36 %) et la montée en
compétences (35 %).
Les salariés citent ces défis dans le même ordre.
A égalité avec la montée en compétence, les
managers sont 34 % à y ajouter « trouver les
garanties éthiques sur les usages de l’IA ».
En regard, 30 % des managers et 37 % des
salariés se disent insuffisamment accompagnés.
Pour Bertrand Braunschweig de l’INRIA, ce sont
pourtant bien ces défis qu’il va falloir surmonter,
sinon « le troisième hiver de l’IA pourrait être
humain et social ».

PENSEZ-VOUS QUE LE DÉVELOPPEMENT DE L’IA DANS VOTRE ENTREPRISE VA IMPACTER LES SUJETS SUIVANTS DE
SANTÉ AU TRAVAIL ?
Dirigeants

Managers

Salariés

Total Oui
Améliorer le pilotage des indicateurs de
santé au travail
Développer la prévention et les actions de
santé individuelles et collectives grâce
notamment à l’émergence des objets connectés
Diminuer les risques d’accidents et les
maladies professionnelles

12 %

4%
4%

3%
3%

2%
2%

Diminuer la pression psychologiques dans le
travail

1%

Engendrer de nouveaux risques
psychologiques pour la santé

1%

1%

1%

10 %

60 %

50 %

11 %

6%

57 %

45 %

50 %

39 %

24 %

30 %

16 %

Total Oui
7%

21 %

7%

20 %

5%

26 %

6%

64 %

48 %

Ne sait pas

6%

65 %

44 %

69 %

49 %

70 %

44 %

20 %

38 %

26 %

Total Oui
Question non posée aux salariés

58 %

66 %

40 %

8%

35 %

43 %

25 %

10 %

36 %

46 %

27 %

7%

28 %

25 %

16 %

Oui tout à fait

31 %

24 %

51 %

35 %

Oui plutôt

EN TERMES DE MANAGEMENT ET DE RESSOURCES HUMAINES, QUELS SONT SELON VOUS LES 3 PRINCIPAUX DÉFIS
À RELEVER POUR VOTRE ENTREPRISE AVEC LE DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ?
Dirigeants

Repenser l’organisation du travail, la répartition des
tâches entre les humains et les solutions d’IA
Adapter et renforcer les compétences des salariés

35 %

34 %

Trouver des moyens efficaces de contrôle et les
garanties éthiques sur les usages de l’IA
Imaginer, mettre en place d’autres modes de gestion
prévisionnelle de carrière, d’emplois, et de
compétences

1

56 %

Renouveler les modes de formation professionnelle :
formation continue tout au long de la carrière
Former culturellement les collaborateurs à travailler
avec des solutions d’IA

Managers

36 %

3

2

Recruter / fidéliser des salariés formés aux nouveaux
métiers

27 %

34 %

2

33 %

25 %

31 %

1

37 %

2

35 %

30 %

24 %

27 %

1

37 %

28 %

Repenser le rôle et les missions des managers

Salariés

3

23 %

3

27 %

23 %

22 %

25 %

21 %

27 %

20 %

1.5 L’impact emploi de l’IA au niveau sociétal sera conséquent
mais est complexe à analyser
Le débat sur le volume d’emplois concernés
n’est pas tranché. Souvent citée, une étude de

27

201327 estimait à 47 % la part des emplois aux
Etats-Unis à risque élevé d’automatisation.

« The future of employment: How susceptible are jobs to computerization? », C.B. Frey, M.A. Osborne, 2013

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

23

Elle a depuis été complétée et relativisée par
d’autres études (en particulier de l’OCDE28) :
›› Automatiser une partie des tâches d’un emploi
n’amène pas nécessairement à automatiser
l’emploi lui-même, une réallocation du temps
peut avoir lieu
›› Toute tâche théoriquement automatisable n’est
pas nécessairement automatisée dans les faits,
d’autres facteurs entrant en jeu : faisabilité
technique,
contraintes
réglementaires,
acceptation sociale, rentabilité économique…
›› Plusieurs études rappellent également que
les pays les plus automatisés sont également
ceux ayant conservé la plus forte base
industrielle et les emplois correspondants
La proportion d’emplois menacés de
substitution
par
la
machine
serait
conséquente mais moindre que les craintes
initiales. Pour la France, le Conseil d’Orientation
pour l’Emploi (COE)29 retient que « moins de
10 % des emplois existants présentent un cumul
de vulnérabilités susceptibles de menacer leur
existence dans un contexte d’automatisation et
de numérisation ».
En regard des postes détruits, de nouveaux
emplois pourraient être créés. La transformation
digitale des entreprises s’est accompagnée du
développement de nouvelles activités pour faire
face aux risques d’« ubérisation ». Le même type
de dynamique va certainement voir le jour avec
de nouvelles activités fondées sur l’IA :
›› Emplois directement liés à l’IA : métiers liés à l’IA
en entreprises (ex. data scientists, analystes
processus), métiers de « production » d’IA (ex.
concepteurs, intégrateurs...) ;
›› Emplois permis par l’IA : liés aux nouveaux
modes de fonctionnement induits par
l’IA (« généralistes », « spécialistes de la
relation humaine, de l’empathie30 »), liés à
des technologies connexes (« designer de
réalité augmentée31... ») et surtout emplois
liés aux nouveaux produits et services que
permettrait l’IA.

La force et la tradition de la France dans
la formation d’experts en mathématiques
appliquées et d’ingénieurs, la puissance de
ses centres de recherche publique dans ce
domaine, les enjeux de croissance des groupes
internationaux français… sont autant de raisons
de croire au développement d’activités liées à l’IA.
L’accompagnement RH de ces activités, à la fois
pour recruter et fidéliser des talents, mais aussi
pour intégrer les activités dans les traditions
existantes, vont être des défis majeurs, à régler
rapidement.
L’analyse
des
précédentes
révolutions
industrielles, ou des décennies récentes,
montrent que les créations d’emplois ont
plus que compensé les destructions liées à
l’automatisation32. Ces études n’ayant pas de
valeur prospective, le volume des emplois qui
pourrait être créé par la « quatrième révolution
industrielle » de l’IA reste incertain.
La maîtrise de l’IA jouera sur la compétitivité
à l’échelle internationale. L’impact de l’IA sur
l’emploi doit s’analyser au regard de scénarios
plus généraux d’une globalisation qui change
de nature sous l’effet de plusieurs facteurs33 :
différenciation des attentes consommateurs,
cycles plus courts, augmentation du coût du
travail dans les pays émergents, contexte
géopolitique, protectionnisme et barrières
douanières, variations du prix des matières
premières, compétitions sur les réglementations...
L’IA permet une meilleure personnalisation
des offres, un meilleur relationnel client et une
meilleure productivité et sera un facteur de
compétitivité pour les pays qui sauront s’en
saisir. Un scénario noir pour les pays de l’OCDE
verrait la délocalisation des emplois de service
après celle des emplois industriels, quand un
scénario favorable permettrait la relocalisation
d’activités y compris industrielles.
Au niveau sociétal, les scénarios sont donc
complexes, surtout en y ajoutant les incertitudes sur
l’horizon de temps dans lequel s’inscrivent ces impacts.

« The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries », M. Arntz, T. Gregory, U. Zierahn, OCDE mai 2016
« Automatisation, numérisation et emploi », COE, 2017
30
« The Future of Professions », Richard Susskind, 2015
31
« Future proof yourself », Microsoft, 2016
32
OCDE : sur la période 1999-2010 dans 27 pays européens, impact du «Routine Replacing Technological change» chiffré à 9.6M emplois
substitués, compensés par 21.1M de nouveaux emplois, pour un effet net positif de 11.6M emplois («Racing with or against the machine?
Evidence from Europe», Gregory, Salomons et Zierahn, juillet 2016)
33
« The new globalization : going beyond the rhetoric », BCG Henderson Institute, avril 2017
28
29

24

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

1.6 Vers le « collaborateur augmenté » : une transformation
profonde de l’emploi
Même si les travaux sont encore partiels dans ce
domaine, il est important de connaître l’état de
la réflexion, fondée à la fois sur les observations
de la transformation digitale et sur les travaux
parfois plus anciens sur l’introduction de la
robotique dans les organisations industrielles.
L’IA étend le domaine potentiel de l’interaction
homme-machine. Bien que les emplois moins
qualifiés restent proportionnellement plus
susceptibles d’automatisation34, les emplois
qualifiés sont de plus en plus concernés. C’est
par exemple le cas d’emplois centrés sur des
tâches cognitives répétitives (logiques de RPA,
Robotics Process Automation), ou d’emplois dont
la valeur tient à l’accumulation d’expérience
(progressivement prise en charge par l’IA).
Cette évolution est majeure, et porteuse de
conséquences qui ne sont pas encore toutes
perçues.
Pour les entreprises, l’enjeu quantitatif
majeur serait la transformation des emplois :
environ 50 % des emplois existants sont «
susceptibles d’évoluer de façon significative à
très importante » (COE). Il est clair que derrière
les chiffres moyens se cachent des situations
très contrastées, avec des impacts majeurs pour
la plupart des organisations. Outre la logique
« substitutive », Manuel Zacklad, du CNAM35,
distingue les logiques « rationalisante » (dans
laquelle le travail est piloté par les algorithmes)
et « capacitante » (dans laquelle le collaborateur
voit ses compétences accrues par l’appui de la
machine).
Il n’existe pas de consensus sur le scénario
homme-machine du futur. Selon une enquête
Teradata, si 21 % des répondants estiment
que l’IA remplacera les hommes pour un grand
nombre ou la plupart des tâches en entreprise,
45% voient plutôt se profiler un scénario de
coexistence, chacun réalisant une partie des
tâches. Enfin 29 % pensent qu’hommes et

machines seront intégrés, les capacités du
collaborateur humain s’en trouvant accrues.
L’interaction avec l’IA verra l’émergence
du « collaborateur augmenté ». Celuici bénéficierait de l’appui expert de l’IA en
proximité, et verrait la partie la plus répétitive
et/ou pénible de ses tâches reprises par l’IA,
lui permettant de se concentrer sur des tâches
à plus forte valeur cognitive ou relationnelle. Il
verrait son opérationnalité renforcée tout au
long de sa carrière, et bénéficierait grâce à l’IA
d’un appui à l’acquisition/au maintien de ses
compétences.
L’impact pourrait être sensiblement différent
selon les fonctions de l’entreprise :
›› Les fonctions de conception (au sens large :
offres, produits et services, stratégie...)
seraient majoritairement augmentées par
l’IA ;
›› Pour les fonctions de production, déjà touchées
depuis longtemps par l’automatisation
physique, l’IA permettrait d’aller beaucoup
plus loin, y compris sur des tâches comme le
codage, et donc de substituer des machines à
une partie des équipes ; mais l’IA contribuerait
également à faire émerger des collaborateurs
augmentés.
Cette évolution est déjà à l’œuvre dans les
logiques de l’industrie 4.0, au sein d’usines
où l’on combine toutes les technologies
disponibles, et notamment celles reposant
sur les données, pour viser l’automatisation
complète et l’auto-optimisation continue. Elle
est intégrée dès le démarrage de l’activité
dans les start-ups interrogées. Elle touchera –
et c’est un point majeur – directement au
cours des prochaines années les fonctions
de production des entreprises de service
intellectuel : juridique, comptable, conseil…

34
OCDE : emplois à fort risque d’automatisation pour 40 % des travailleurs ayant un niveau inférieur au bac, contre 5 % pour les diplômés de
l’enseignement universitaire (Etude OCDE « The Risk of Automation for Jobs in OECD Countries: A Comparative Analysis » Arntz M., Gregory T.
et Zierahn U., 2016)
35
« Intelligence Artificielle : représentations et impacts sociétaux », Manuel Zacklad, CNAM, 2017

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

25

Augmentables

Traduction en impacts sur les emplois actuels :
des emplois qui se transforment

Substitution
potentielle

Nature tâches

Pas d’impact
Substituables

Transformation profonde, « augmentation »

Impact limité

Tâches restantes à
forte valeur ajoutée

Emplois
susceptibles
d’automatisation

Emplois à faible
VA rendus moins
pénibles

Emplois recentrés
sur leur valeur
ajoutée

Emplois
renforcés

Emplois peu
impactés

Accompagnement
vers de nouveaux
emplois

Risque
ubérisation,
déqualification

Compétences
distinctives
valorisables

Collaborateurs
plus performants,
plus pertinents, etc

Apports IA
ponctuels

Ex. opérateur
back-office

Ex. ouvrier industrie
de process

Ex. contrôleur
financier

Ex. conseiller
clientèle, analyste

Ex. artisan

Logique
substitutive

Logique
rationalisante

Répartition des tâches de
l’emploi selon leur nature

Tâches restantes à
faible valeur ajoutée

›› Pour les métiers de distribution/vente/
relation client, un effet d’augmentation des
collaborateurs est anticipé, permettant plus
de temps de meilleure qualité passé avec le
client, et une relation enrichie et personnalisée
grâce aux conseils en temps réel de l’IA. Mais
la substitution ne peut être exclue pour ces
fonctions, selon :
• Les
habitudes
de
consommation
(préférence pour les canaux en ligne) ;
• L’acceptabilité sociale plus ou moins forte
et rapide du relationnel homme/machine ;
• La capacité des organisations à faire
payer au client le relationnel créé, ou à en
tirer un bénéfice en terme de fidélisation ;
• La capacité à innover et créer, grâce à
l’IA mais pas uniquement, de nouveaux
produits et services.
›› Pour les fonctions support enfin, l’effet serait
d’abord une automatisation renforcée avec

36

Logique capacitante

des impacts directs sur les effectifs, même
si les collaborateurs employés en cible dans
ces fonctions s’en trouveraient augmentés.
Au sein de ces fonctions, le transactionnel,
souvent regroupé dans des centres de services
partagés, serait une cible directe pour l’IA,
quand les logiques de business partners
(juridiques, RH, Finance…) s’en trouveraient
renforcées. A titre d’exemple pour les Centres
de Services, l’ancien dirigeant du prestataire
spécialisé Infosys estimait qu’à terme, l’IA
permettra d’automatiser 50 à 70 % des
tâches réalisées.
Qu’il s’agisse de l’évolution des collaborateurs
dont l’emploi disparaîtrait, ou de la capacité
de ceux en interaction avec l’IA à adopter ce
nouveau mode de fonctionnement, il s’agira
selon les termes du World Economic Forum d’une
« révolution de la requalification »36 à grande
échelle.

« Towards a Reskilling Revolution, A Future of Jobs for All”, World Economic Forum, Janvier 2018

26

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

1.7 face à cette réalité, des niveaux de préparation contrastés
et dans l’ensemble modestes
L’IA n’est pas encore partout une priorité.
Dans notre étude, seuls 20 % des dirigeants
déclarent faire à l’heure actuelle de l’IA une
priorité stratégique. Ce pourcentage monte à
37 % à un horizon de 5 ans.
Dans la majorité des organisations rencontrées
durant les entretiens, des pilotes existent
aujourd’hui. Ils sont la plupart du temps confiés
aux structures existantes d’innovation ou aux
Directions data et/ou digital, rarement au sein
des DSI, sans qu’une feuille de route spécifique
IA n’ait été tracée pour l’entreprise. Dans la
majorité des cas, la Direction des Ressources
Humaines n’est pas encore partie prenante de
la réflexion sur l’IA.
Des différences fortes existent en fonction
de la taille et du périmètre de l’entreprise.
Sur la question de la priorité stratégique à 5 ans,
53 % des entreprises de plus de 250 salariés
répondent par l’affirmative contre seulement
32 % des autres. Plusieurs de nos interlocuteurs
mettent en lien ce chiffre avec la difficulté
pour les PME d’accéder aux compétences IA et
préviennent contre le risque d’un « désert de
l’IA » pour les petites entreprises. Cette question
de la priorité à 5 ans dépend également du

DEGRÉ DE PRIORISATION DE L’IA EN FONCTION DE LA TAILLE DE
L’ENTREPRISE ET DE L’HORIZON DE TEMPS

périmètre de l’entreprise, avec 13 points d’écart
entre les entreprises internationales et celles
uniquement françaises.
Ces réponses dessinent en creux les écarts qui
pourraient rapidement se créer dans l’adoption
de l’IA selon les types d’organisation.
Au sein même des organisations, les
perceptions sont hétérogènes. A la question
de savoir si leur entreprise envisage d’utiliser l’IA
dans les 5 ans, les salariés sont 41 % à ne pas
se prononcer, signe de leur manque de visibilité.
28 % ne savent pas situer leur entreprise par
rapport à la concurrence sur le sujet de l’IA.
On retrouve ces écarts de perception entre
dirigeants et managers : ces derniers sont 17 %
à penser que leur entreprise est « en retard » sur
le sujet de l’IA, contre 38 % des dirigeants.
Enfin, quel que soit le statut, la perception
de l’IA est liée à l’âge, avec jusqu’à 15 points
d’écart entre moins de 35 ans et plus de 50 ans
sur ces questions. Seuls 12 % des plus de 50 ans
se sentent suffisamment accompagnés par leur
entreprise sur le sujet, contre 41 % des moins de
25 ans.

DEGRÉ DE PRIORISATION DE L’IA EN FONCTION DU CARACTÈRE
INTERNATIONAL DE L’ENTREPRISE ET DE L’HORIZON DE TEMPS

+15 pts

+21 pts
Priorité donnée à l’IA

Priorité donnée à l’IA

+12 pts

+9 pts

+11 pts

+4 pts

48 %

53 %
33 %

27 %

32 %
19 %

18 %
À l'heure actuelle

Moins de 250 salariés

Dans les 5 ans à venir

Plus de 250 salariés

23 %

À l'heure actuelle
Entreprise en France uniquement

Dans les 5 ans à venir
Entreprise internationale

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

27

Meneurs

Compréhension de l’IA

Investigateurs

Comprennent et adoptent
l’IA dans leurs processus
et offres

Comprennent l’IA mais
niveau d’adoption faible

Expérimentateurs

Passifs

Testent ou adoptent
l’IA sans compréhension
approfondie

Pas d’adoption ni de réelle
compréhension de l’IA

Adoption de l’IA

L’expérimentation permet la prise de
conscience des défis. Différents profils de
maturité apparaissent parmi les entreprises
rencontrées, en fonction de leur degré de
compréhension et d’adoption de l’IA.
Les « meneurs » et les « expérimentateurs »
partagent 4 constats :
›› L’expérimentation et la mise en œuvre
de pilotes permettent de diminuer
rapidement les craintes. Dans notre
enquête, les salariés déclarant bénéficier d’un
bon accompagnement par leur entreprise
ont à 89 % une perception positive de l’IA,
contre 46 % pour ceux qui estiment qu’un tel
accompagnement n’est « pas nécessaire » ;
›› Les dirigeants ont besoin de forger leurs
convictions sur le sujet. Plus de 85 % des
« meneurs » sont familiers de la logique
« algorithmes – données – entraînement »,
contre moins de 10 % des « passifs »37. Cette
prise de conscience va le plus souvent de
pair avec l’existence d’une stratégie et d’une
gouvernance de la donnée, ainsi qu’avec
un niveau plus élevé de sensibilisation à la
cybersécurité ;

37

›› La mise en œuvre de l’IA est un projet
de transformation. Facteurs humains,
éparpillement des tâches à automatiser,
inadéquation des systèmes d’information
actuels font que mettre en œuvre l’IA à grande
échelle n’est pas immédiat et nécessite
une adaptation du modèle opérationnel de
l’organisation ;
›› L’IA a un caractère potentiellement
disruptif sur l’organisation et les business
models. 78 % des entreprises utilisant déjà
des solutions d’IA estiment que son impact
sera fort, contre seulement 44 % pour la
moyenne d’ensemble.
Les entreprises
les plus avancées ont également plus
fortement conscience de la possibilité d’une
disruption par un nouvel entrant utilisant ces
technologies.

« Reshaping Business With Artificial Intelligence », MIT Sloan Management Review & BCG, automne 2017

28

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

PERCEPTION DE L’IA DANS L’ENTREPRISE EN FONCTION DU
NIVEAU DE CONNAISSANCE SUR LE SUJET*
Perception

PERCEPTION DE L’IA DANS L’ENTREPRISE EN FONCTION DU
SENTIMENT D’ACCOMPAGNEMENT PAR L’ENTREPRISE*
Perception

11 %

24 %

25 %

41 %

46 %

89 %

76 %

75 %

59 %

⋍ 90 % de
l’échantillon

Connaissance de l'IA

54 %

Pas de connaissance de l'IA

⋍ 10 % de
l’échantillon

⋍ 40 % de
l’échantillon

Suffisant

Positive

Négative

* Chiffres portant uniquement sur les répondants salariés s’étant prononcés sur leur perception de l’IA

Au-delà des enjeux technologiques de cette
phase de démarrage, l’expérience des groupes
les plus avancés montre que les enjeux humains
seront les clés du succès d’une adoption
réussie de l’IA. Celle-ci va se déployer dans des
organisations qui ne sont pas encore sorties de la
vague digitale et n’ont pas encore pris la mesure
complète des nouveaux enjeux de compétences
et d’organisation du travail. Compte tenu de
l’ampleur et de la complexité d’adaptation,

Insuffisant
⋍ 40 % de
l’échantillon

Connaissance de l’IA

Positive

Non nécessaire

⋍ 20 % de
l’échantillon

Accompagnement par l’entreprise sur l’IA

Négative

* Chiffres portant uniquement sur les répondants salariés s’étant prononcés sur leur perception de l’IA

les Directions Générales et en particulier les
Directions des Ressources Humaines vont devoir
engager rapidement les travaux préparatoires
pour accompagner ces évolutions.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

29

Chapitre 2

DU COLLABORATEUR AUGMENTÉ AUX
NOUVELLES ORGANISATIONS DE TRAVAIL :
LES PRIORITÉS D’UN ACCOMPAGNEMENT RÉUSSI,
À ADAPTER SELON LA TAILLE DE L’ENTREPRISE

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

31

Au travers de nos entretiens, deux grands types
d’enjeux apparaissent :
›› Comprendre
les
spécificités
des
transformations dues à l’IA pour chaque
entreprise, en fonction également de leur
taille et de leur maturité sur le digital et la
data, et prendre en compte l’ampleur des
ruptures envisagées. Le nombre d’activités
touchées, l’ampleur des changements dans
le métier et l’ampleur des changements RH
dépendront de chaque entreprise, et restent
incertains : il faut savoir travailler en scénarii,
avec des invariants qui permettent de prendre
des décisions.
›› Anticiper, car la multiplicité des impacts va
poser une question de cohérence d’ensemble
au niveau des sites, des entreprises, des
branches, des territoires comme au niveau
national : ampleur des mouvements en
moyenne, guerre des talents qui se prépare
sur certains profils, désertification de
certaines compétences en région, ampleur
des restructurations sur des profils peu ou
moyennement qualifiés… Les entreprises qui
auront anticipé seront celles qui profiteront
de la transformation IA.
Ce niveau d’enjeu fait de l’IA un sujet de Direction
Générale, dont les DRH seront le bras armé. Ces
derniers prennent conscience du vaste chantier
qui s’ouvre pour leurs équipes : éclairer les
domaines respectifs des tâches humaines et des
tâches de l’IA, mettre en place les garde-fous
pour encadrer la collaboration homme-machine,
renforcer les aspects relationnels des emplois
impactés, mettre en place les indicateurs qui
permettront de comprendre finement les impacts
de la généralisation de l’IA dans le travail... Plus
fondamentalement encore, il s’agira de donner du
sens au déploiement de l’IA : adapter la culture
de l’entreprise, accompagner les évolutions des
identités professionnelles, mais aussi réinventer
l’expression des salariés, notamment mais
pas uniquement par le dialogue social, pour
accompagner des formes d’organisation plus
plates, plus transparentes, moins hiérarchiques
et plus coopératives.

32

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Répondre à ces enjeux suppose de lancer très
vite un nombre important d’actions, dans des
domaines variés. Nous en avons dressé une
première liste, à adapter par organisation et
selon la taille de l’entreprise, qui concerne toutes
les facettes de l’activité des DRH :
›› Le DRH partenaire du métier, qui doit
contribuer à faire comprendre les enjeux
et à créer le cadre de confiance pour le
déploiement de l’IA. Le DRH n’est pas en
responsabilité, mais doit être étroitement
associé à toutes les initiatives (2.1) ;
›› Le DRH garant des compétences : les actions
relatives à la formation, à la reconversion, au
recrutement. Le DRH doit assurer sa mission
d’accompagner et adapter le capital humain
de l’entreprise (2.2) ;
›› Le DRH stratège qui doit, en lien avec le métier,
éclairer et anticiper les transformations de
l’organisation (2.3) ;
›› Le DRH animateur du dialogue social,
responsable du volet RH de la politique
RSE de l’entreprise, acteur des travaux au
niveau des branches professionnelles et des
territoires (2.4) ;
›› Le « DRH augmenté », qui doit assurer la
transformation de la fonction RH, grâce aux
outils fournis par l’IA (2.5).

2.1 Le DRH partenaire du métier pour mettre en place le cadre
d’adoption de l’IA
2.1.1 Préparer dirigeants, collaborateurs
et parties prenantes aux spécificités de la
transformation liée à l’IA pour en faciliter
l’adoption
Peu d’entreprises semblent pour l’instant avoir
pris le parti d’une sensibilisation large des
collaborateurs aux enjeux de l’IA. Le Cigref
notait dès 201638 une initiative de la Société
Générale en ce sens, et notre étude a mis en
évidence quelques initiatives complémentaires,
comme la mise en ligne par la SNCF d’articles de
sensibilisation sur le sujet.
Plusieurs phénomènes se conjuguent :
›› Des dirigeants encore mal à l’aise avec l’IA,
son champ et ses impacts ;
›› Une communication large auprès des salariés
qui n’a pas encore eu lieu, les entreprises étant
dans l’incertitude quant aux développements
de leurs tests en cours. Pour l’un de nos
interlocuteurs « tous mes clients sont en
ébullition sur le sujet mais aucun n’a encore
communiqué faute de visibilité » ;
›› L’implication encore limitée des Directions
des Ressources Humaines dans les pilotes en
cours ;
›› Un sujet qui n’est pas encore entré dans
le champ de la négociation sociale. Seuls
quelques DRH, travaillant plutôt sur des
logiques de productivité, avaient entamé un
dialogue sur le sujet de l’IA lors de l’étude.
La plupart estiment pourtant que par sa
nature, l’IA fait partie des sujets sur lesquels
la co-construction avec les partenaires
sociaux sera capitale pour insuffler une
véritable dynamique d’accompagnement du
changement.
Le besoin de préparation porte sur la
compréhension
des
nouvelles
notions
introduites par l’IA (apprentissage automatique,
apprentissage profond, entraînement, biais,
explicabilité, etc.) mais également sur les

38

nouveautés dans la façon de gérer les projets
dans le domaine IA (agilité, faible distinction
entre les phases build et run, maintenance des
algorithmes…). Il s’étend au besoin de créer
une « culture de la donnée et de l’algorithme »
à tous les niveaux de l’organisation, et recouvre
également la nécessité d’apprendre à faire
confiance à l’algorithme, pour intégrer les apports
cognitifs d’une IA dont les recommandations
seront parfois perçues comme intrusives.
Les dirigeants sont 36 % à considérer que
« former culturellement les collaborateurs à
travailler avec des solutions d’IA » est un des
principaux défis humains de la transition (juste
après l’organisation du travail). En regard, le
déficit d’alignement et d’information actuel
est susceptible d’alimenter les inquiétudes des
salariés.
La réussite du déploiement de l’IA passera par
un dialogue ouvert sur ses bénéfices, ses risques
et ses conditions de déploiement. Elle passera
aussi par la capacité qu’auront les organisations
à donner du sens à cette transformation, audelà de la seule dimension technologique.

2.1.2 Garantir la qualité des emplois de
demain dans un contexte d’interaction
homme-machine
Dans une vision positive de l’IA, un des Directeurs
des Ressources Humaines rencontré estime
que la machine va paradoxalement « remettre
de l’humain dans le travail » : suppression de
tâches pénibles ou répétitives, recentrage sur
les aspects relationnels et à valeur ajoutée du
travail, plus grande autonomie dans la décision…
Par analogie avec les précédentes révolutions
industrielles, « la disparition des liftiers et des
pools de secrétaires » et « l’impact de l’arrivée
de la micro-informatique sur les services
comptables » sont évoqués sans nostalgie.

« Gouvernance de l’Intelligence Artificielle dans les entreprises », CIGREF, 2016

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

33

Mais cette vision positive n’est pas une donnée :
elle dépend de la façon dont l’IA se déploiera
dans les organisations et des scénarios
d’interaction entre l’homme et la machine, qui ne
sont encore que partiellement instruits.
Le rapport homme/machine n’est pas nouveau.
Ce qui est nouveau, c’est que jusque-là l’homme
maîtrisait et conduisait la machine. Avec l’IA,
on entre dans une nouvelle phase de la relation
homme-machine, dans laquelle cette répartition
n’est plus évidente : dans certains cas, la machine
dicte les gestes et les tâches à accomplir (par
exemple pour les opérateurs de picking dans
les entrepôts). Le contenu et l’organisation du
travail s’en trouvent modifiés, avec de possibles
conséquences : individualisation renforcée,
perte des savoir faire, développement du microcontrôle...
Trois risques pour la qualité des emplois seront à
prendre en compte :
Le risque de la polarisation des tâches, qui
verrait les emplois transformés par l’IA se répartir
fortement entre emplois à très forte ou à très
faible valeur ajoutée :
›› Pour une partie des emplois, la prise en
charge d’une partie des tâches par l’IA ne
sera pas synonyme d’augmentation pour
le collaborateur, mais de complexification
des tâches restantes. Celles-ci pourraient
aussi être cantonnées à des opérations de
contrôle ne présentant pas plus d’intérêt que
les précédentes ;
›› L’IA pourrait réduire l’aspect distinctif et
valorisant des compétences et contribuer à
une déqualification de certains opérateurs.
En accélérant la montée en compétences,
par exemple en facilitant la formation et
la prise de poste d’un ouvrier sur une ligne
ou d’un analyste, en les assistant dans la
compréhension des modalités de réalisation
des tâches, l’IA les rend aussi paradoxalement
plus facilement remplaçables ;
›› A l’extrême, par la flexibilité qu’elle permet,
l’IA pourrait être un des facteurs contribuant
à la montée constatée des formes d’emplois
précaires, CDD ou free-lance par exemple.
Sans qu’il soit possible de faire un lien de

39
40

cause à effet, une étude réalisée en 2017
aux Etats-Unis39 montre que les travailleurs
en free-lance anticipent plus que les autres
un impact de l’IA et de l’automatisation dans
leur secteur (66 % contre 34 % pour les autres
salariés). 58 % pensent que leur travail sera
fortement ou totalement réalisé par des
machines dans les 20 ans à venir, contre 19 %
des autres salariés.
L’impact incertain de l’IA en termes de Qualité
de Vie et Santé au Travail. La durée et l’échelle
des pilotes d’IA réalisés ne permettent pas de
tirer de conclusions dès maintenant sur les
impacts de l’IA dans ce domaine, cependant nos
interlocuteurs pressentent un certain nombre
d’évolutions.
Le binôme robot / IA devrait contribuer à réduire
la pénibilité de nombreux emplois et la répétitivité
des tâches, donc les syndromes associés, dont
les troubles musculo-squelettiques (TMS). Les
ergonomes notent cependant que l’interaction
avec une machine peut conduire à l’émergence
de nouveaux gestes répétitifs.
L’impact sur les risques psycho-sociaux (RPS) est
moins clair : positif pour les emplois réellement
augmentés, il serait plus incertain pour les
emplois à faible valeur ajoutée, dont les tâches
restantes ne gagneraient pas en intérêt et
devraient être réalisés au rythme accru imposé
par l’IA et sous le « contrôle » de celle-ci. Sophie
Pène40 rappelle en particulier l’importance
d’associer les opérateurs au paramétrage des
solutions d’IA qui conditionnent leur activité sous
peine d’occasionner des situations de souffrance
professionnelle. Enfin, la poursuite des progrès
de la technologie pourrait accroître encore la
zone de substituabilité et conduire une portion
des salariés à vivre dans l’anxiété d’être « les
prochains à disparaître ».
Le risque sur l’engagement des salariés d’une
interaction homme-machine mal pensée. La
déshumanisation des relations de travail est le
premier risque perçu par les salariés participant à
notre étude (56 % des salariés interrogés). Cette
déshumanisation pourrait prendre plusieurs
formes : déqualification, appauvrissement des

Freelancing in America 2017, Edelman intelligence, septembre 2017
Professeur en Sciences de l’Information et de Communication, Université Paris Descartes, Directrice du master Ed Tech

34

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

interactions sociales… Elle peut aussi résulter
d’un sentiment de déresponsabilisation : l’IA
pose en effet la question de l’autonomie de
l’acteur humain et de sa légitimité à prendre
des décisions. A mesure que se multiplieront
les champs où l’IA prendra ou suggèrera une
décision, la pression grandira sur l’opérateur
pour se conformer à cette préconisation. Définir
précisément les champs de responsabilité sera
clé, de même que donner aux collaborateurs les
clés de fonctionnement de cette interface revue
avec la machine. Cela supposera qu’ils aient
les compétences transversales, analytiques et
relationnelles leur permettant cette prise de
recul.
Risque
d’isolement,
moindre
autonomie,
responsabilité plus floue : on retrouve là certains
des principaux facteurs pouvant conduire au
désengagement des salariés. Mal accompagnée
ou mal utilisée, l’IA pourrait renforcer ce
phénomène. Comme le note Sophie Pène en
s’appuyant sur sa rencontre avec Gregory
Renard, co-fondateur d’xBrain, « tout l’enjeu est
d’avoir le courage de supprimer des postes pour
réinventer des métiers augmentés, en travaillant
sur la période de transition » et en associant les
salariés à ce travail.
Ces inquiétudes sont autant d’obstacles
potentiels au déploiement de l’IA dans les
entreprises et à l’efficacité du collectif. Mieux
comprendre et mesurer les risques est clé pour
les DRH qui devront les anticiper. L’inclusion
des équipes de la RH dans les pilotes en
cours ou futurs est une des clés pour ce faire,
ainsi que l’adaptation des indicateurs de la
fonction RH pour bien cerner le phénomène. Audelà, une réflexion sur la place de la machine
et les conditions de son interface avec les
collaborateurs s’impose.

2.1.3 Organiser une « tour de contrôle »
interne et externe sur les questions
d’éthique liées aux données et aux
algorithmes pour garantir la confiance

41
42

Les principaux risques posés par l’IA à court
terme sont éthiques. Dès 2015, cinq risques de
court terme étaient identifiés pour les solutions
d’IA41, en lien avec les conséquences que ces
technologies peuvent avoir sur l’humain :
›› Le fonctionnement des logiciels d’IA, avec les
risques de bugs et d’opacité pouvant générer
des fonctionnements imprévus
›› La cybersécurité et la protection des données
›› « L’apprenti sorcier », ou la tentation de
donner la capacité aux systèmes d’IA de
comprendre ce que veulent les utilisateurs au
lieu d’interpréter littéralement leurs ordres
›› L’autonomie partagée, c’est-à-dire la
nécessité d’assurer une coopération fluide
des systèmes d’IA avec les utilisateurs de
façon que ceux-ci puissent toujours reprendre
le contrôle en cas de besoin
›› Les impacts socio-économiques de l’IA, pour
qu’elle soit bénéfique pour l’ensemble de la
société
La sensibilité individuelle aux usages des
données augmente, et nuit à la confiance en
l’IA. Une étude de 201542 mettait en évidence
deux tendances sur la protection des données
personnelles : une dégradation du niveau de
confiance des citoyens (86 % des personnes
interrogées déclaraient devoir prendre des
précautions pour protéger leurs données en 2015,
contre 83 % deux ans plus tôt), et un niveau de
méfiance élevé dans toutes les tranches d’âge
même si un effet de génération existe (91 % de
méfiance pour les plus de 60 ans, mais 79 % pour
les 18-24 ans, tranche d’âge pour laquelle ce
taux connait la plus forte progression).
Plusieurs cas récents très médiatisés sont venus
renforcer ces interrogations du grand public :
le piratage, tardivement révélé, des données
personnelles de 57 millions d’utilisateurs d’Uber
par exemple, ou bien les avertissements de
la CNIL en décembre 2017 à l’encontre de
fabricants de jouets connectés susceptibles de
collecter des données des enfants à l’insu de leur
famille. En entreprise, notre enquête révèle que
les problèmes éthiques sont pour les salariés le
deuxième risque de l’IA (pour 51 % d’entre eux).

Dietterich, Thomas G. and Horvitz, Eric J., Rise of Concerns about AI: Reflections and Directions, Communications of the ACM, octobre 2015
« Big Data and Trust Consumer Survey » et « BCG Big Data and Trust Enterprise Survey », BCG, 2015

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

35

L’éthique de l’IA est entrée dans le champ du
débat public et de premières réponses ont
été apportées. Comme le remarque Laurence
Devillers, « L’IA porte en elle les biais de ses
concepteurs »43. Trois grands types d’enjeux font
actuellement l’objet d’un débat citoyen, auquel
les entreprises ne pourront rester étrangères :
l’éthique de la responsabilité (responsabilité
des décisions des algorithmes financiers par
exemple), la protection de la vie privée et des
libertés (face à la diffusion des systèmes de
reconnaissance faciale par exemple, ou à la
multiplication des émissions de données par
les objets du quotidien) et la transparence de
la décision (non-discrimination et caractère
explicable de décisions telles que l’embauche,
l’attribution d’un prêt ou la détermination d’une
prime d’assurance).
Face au déficit de confiance, les acteurs de
l’IA ont tenté d’apporter des réponses. Les
« GAFAMI » (GAFAM plus IBM) sont par exemple
à l’origine du « partenariat pour l’IA au bénéfice
des individus et de la société »44. S’y ajoutent
plusieurs initiatives visant à utiliser la technologie
elle-même pour plus de transparence : projet
X.AI (« Explainable AI ») de la DARPA, projet
Michelangelo d’Uber pour la visualisation des
données… En France, l’INRIA propose la création
de Transalgo, plateforme pour le développement
de la transparence et de la responsabilité des
systèmes algorithmiques. Des comités d’éthique
voient le jour, comme la Commission de réflexion
sur l’éthique de la recherche en sciences et
technologies du numérique (Cerna) de l’alliance
Allistene, dont une publication récente porte sur
l’ « Ethique de la recherche en apprentissage
machine », ou l’initiative Ethik IA sur les
algorithmes en santé lancée par la chaire Santé
de Sciences Po Paris.
Les pouvoirs publics, en Europe en particulier,
se sont saisis du sujet. Depuis 1995, de la
Directive sur la protection des données jusqu’au
Règlement général sur la protection des
données qui sera mis en oeuvre en mai 2018, 3
vagues de règlementation sur la protection et
la localisation de la donnée se sont succédées.

43
44

« Des robots et des hommes », Laurence Devillers, Plon 2017
https://www.partnershiponai.org/

36

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Concilier efficacité du cadre éthique et
souplesse est un exercice délicat. Comme le
remarque Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente
de la CNIL, nous sommes « face à des objets
technologiques extrêmement évolutifs qu’on
ne peut pas analyser une fois pour toutes ».
Un équilibre est à trouver entre le cadre de
confiance à créer pour faciliter l’adoption des
solutions d’IA et la souplesse nécessaire pour
bénéficier des avantages de ces solutions en
termes de nouveaux produits et services et de
meilleure compétitivité.
La CNIL, dans son rapport de décembre
2017, retient les principes clés de loyauté
et de vigilance / réflexivité et formule 6
recommandations opérationnelles : former à
l’éthique, rendre les systèmes algorithmiques
compréhensibles, travailler le design des
systèmes algorithmiques pour y intégrer
responsabilité et explicabilité, constituer une
plateforme nationale d’audit des algorithmes,
encourager la recherche sur l’IA éthique et
renforcer la fonction éthique au sein des
entreprises.
Pour les entreprises, la complexité sera de
donner une réalité au quotidien à cette éthique.
Une approche par le biais de processus de
conformité et de vérification a posteriori
pourrait s’avérer artificielle et complexe. Le défi
leur semble de s’assurer que les implications
de l’IA sont comprises par les collaborateurs et
intégrées dans leur activité. Selon les cultures
d’entreprise, mettre en œuvre cette éthique de
responsabilité sera plus ou moins naturel et aisé.

2.2 Le DRH garant des compétences, face au défi de l’iA
L’entrée dans l’ère digitale, couplée à la
globalisation et à l’évolution des attentes des
collaborateurs, marquait la nécessité pour les
entreprises de gérer leurs talents. L’irruption de
l’IA va renforcer et accélérer cette nécessité :
de plus en plus, les entreprises vont devoir
développer des stratégies innovantes pour attirer
les talents les plus créatifs et ceux disposant
des compétences les plus pointues dans les
nouveaux domaines technologiques. Elles vont
devoir s’adapter rapidement pour affronter
le choc des compétences que provoquera
la transformation de la plupart des emplois.
Accompagner ce contexte de transformation
permanente va requérir un leadership agile et
adaptatif qui, dans de nombreuses entreprises,
passera par des évolutions conséquentes
dans la façon de gérer et développer les
leaders : mise en place de parcours experts,
promesse employeur attractive, parcours de
développement expérientiels… seront autant
de prérequis dans cette transition.

2.2.1 Recruter et fidéliser les nouveaux
talents nécessaires à l’IA
Concrétiser les promesses de l’intelligence
artificielle suppose de disposer des ressources
adéquates. Pour les interlocuteurs de notre
panel, ce sujet arrive parmi les priorités mais
figure aussi au rang des sources d’inquiétude : la
plupart décrivent un marché en tension pour les
ressources expertes.
L’intelligence artificielle requiert plusieurs types
de compétences spécifiques : d’abord celles
liées à la donnée, data scientists, data analysts
et data engineers au premier chef, mais aussi
spécialistes des plateformes. Ces compétences
sont celles nécessaires au développement et à
la mise en œuvre de nouveaux algorithmes. Mais
pour donner vie à l’IA dans l’organisation, des
compétences d’architecture et d’intégration de
systèmes sont également nécessaires, ainsi que
des compétences en cybersécurité, en ingénierie
des processus.

jeune, les ressources sont rares. Les grands
groupes se retrouvent en concurrence directe
avec d’un côté les start-ups du domaine et leurs
riches perspectives, de l’autre l’attrait et les
moyens des leaders du secteur, au premier chef
les GAFAMI.
Dans une étude de 2017, « The Quant Crunch:
How The Demand For Data Science Skills Is
Disrupting The Job Market », IBM mettait en
évidence la croissance rapide des besoins de
compétences en data science & analytics au
rythme de 15 % annuels, ajoutant que 80 % des
postes proposés requéraient une expérience
professionnelle d’au moins 3 ans : le calendrier
jouera contre ceux qui partiront trop tard.
Il est donc urgent pour les entreprises de
développer une stratégie spécifique en la matière :
identifier leurs besoins, identifier les viviers de
talents qui leur sont accessibles et développer
les logiques de recrutement spécifiques pour
attirer ces nouvelles populations : partenariats
avec les établissements ou filières de formation,
environnements de travail adaptés, valorisation
de leurs compétences propres souvent
distinctes de celles des parcours traditionnels,
perspectives de développement… sont autant
d’éléments d’un cocktail délicat pour ne pas se
priver de ces ressources.

2.2.2 Anticiper les évolutions de l’emploi
et des compétences, voire des identités
professionnelles, dans l’entreprise –
adapter les outils de formation pour faire
face à une accélération des volumes et
une évolution des contenus de formation
Plus même que l’évolution des volumes d’emploi,
c’est le fait que la plus grande proportion des
emplois en entreprise sera profondément
transformée qui préoccupe nos interlocuteurs,
et en particulier les Directeurs des Ressources
Humaines.

Le décollage étant simultané chez l’ensemble
des acteurs et la discipline encore relativement

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

37

En ce qui concerne l’évolution des volumes
d’emploi au niveau de l’entreprise, les
interlocuteurs rencontrés ont dans l’ensemble
une approche pragmatique :
›› Suite aux nombreuses analyses des deux
dernières années, une majorité anticipe
un effet de l’IA sur le volume d’emploi, que
la plupart s’avouent encore incapables de
quantifier ;
›› Les répondants évoquent la nécessité
d’analyses d’impact à grande échelle pour
éclairer les fonctions ou les tâches que
l’intelligence artificielle serait susceptible
d’effectuer à court et moyen terme. Mais peu
semblent avoir effectivement lancé un tel
exercice, à la différence de leurs homologues
nord-américains ;
›› La perception des Directeurs des Ressources
Humaines concernés à ce stade est que l’effet
de l’IA sur l’emploi s’intègrera dans la courbe
de productivité de l’entreprise et sera gérable
s’il est correctement anticipé ;
›› Ce volontarisme est cependant tributaire de
deux conditions : que le calendrier d’impact
de l’IA ne s’accélère pas, et que l’entreprise
ne soit pas touchée simultanément dans ses
différentes fonctions ;
›› Les réponses envisagées varient selon la
situation, le contexte de marché et le contrat
social spécifique des entreprises rencontrées :
accompagnement social, absorption par la
croissance, redéploiement des effectifs…
›› Les leviers évoqués par nos interlocuteurs,
issus en majorité de grands groupes, seraient
moins pertinents pour des TPE / PME.
Comme sur le volet des « talents de l’IA »,
ces entreprises seraient probablement plus
vulnérables à des évolutions fortes de l’emploi
entraînées par l’IA.
La transformation des emplois induite par l’IA
et l’évolution des compétences qui en découle
sont vus comme le défi majeur du déploiement
de ces technologies, nécessitant une adaptation
et un renforcement de la traditionnelle « Gestion
Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences »
pour en faire une véritable GSEC, « Gestion
Stratégique de l’Emploi et des Compétences »
à même de répondre aux besoins métier des
entreprises :

45

›› En regard du chiffre moyen de 50 % du total
des emplois profondément transformés
retenu par le Conseil d’Orientation pour
l’Emploi, nos interlocuteurs estiment que
dans les entreprises, et en particulier dans les
grands groupes, la très grande majorité des
emplois sera impactée ;
›› Le défi sera de deux ordres : développer les
compétences – qui ne seront pas seulement
techniques - des collaborateurs pour leur
permettre de fonctionner efficacement
avec l’IA, et faire évoluer les recrutements
futurs pour qu’ils intègrent ces nouvelles
compétences ;
›› A cela s’ajoutera un impératif de
requalification et adaptation pour une partie
des collaborateurs. D’abord ceux dont le
poste disparaîtrait, et pour qui des parcours
de transferts vers de nouveaux postes
seraient nécessaires (par exemple pour
accompagner des populations de back office
vers des rôles en lien avec la clientèle). Mais
également ceux dont le profil et les capacités
ne correspondraient plus au poste transformé
par l’IA, crainte exprimée par plusieurs de nos
interlocuteurs.
L’émergence de l’IA va accélérer la sophistication
tendancielle des compétences requises par le
marché de l’emploi mise en évidence en 2013 par
Levy et Murnane45 dans « Dancing with robots » :
importance croissante des compétences
interpersonnelles et analytiques, au détriment
des compétences cognitives et manuelles :
›› Les emplois « augmentés » en interaction
avec l’IA se reposeront sur l’IA pour une partie
croissante des compétences techniques et
des connaissances associées ;
›› Inversement, l’efficacité de l’interaction
avec l’IA et de la prise de décision associée
supposeront des compétences analytiques
et de résolution de problèmes renforcées
(curiosité intellectuelle, esprit d’initiative,
persévérance, créativité…) ;
›› Pour la majorité des métiers augmentés,
le temps libéré par l’IA entraînera un
renforcement des aspects relationnels de
l’emploi, nécessitant des compétences
transversales et interpersonnelles également
renforcées (communication, capacité à mener

« Dancing with Robots: Human Skills for Computerized Work », Frank Levy & Richard Murnane, Third Way, 2013

38

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

un groupe / un projet, collaboration, écoute…),
mais aussi capacité à s’adapter et à évoluer.
Pour la plupart des DRH rencontrés, ces
évolutions supposent une inflexion dans les
budgets de formation et de développement.
Mais s’ils reconnaissent que les entreprises
auront probablement un rôle majeur, ils estiment
également que le système éducatif français
dans son ensemble se retrouve face à ses défis :
›› Acquisition de connaissances et travail
individuel valorisés, alors que le besoin portera
sur des compétences plus relationnelles et
comportementales ;
›› Performance contrastée en ce qui concerne
la maîtrise des fondamentaux, reflétée dans
les classements internationaux de type PISA,
rendant plus complexe le développement
ultérieur de compétences analytiques et de
résolution de problèmes ;
›› Proportion de jeunes quittant le système
sans diplôme, posant la question de
leur employabilité dans un contexte de
sophistication des compétences requises ;
›› Limites dans l’acquisition d’une culture
technologique, qu’il s’agisse de compétences
informatiques de base ou de sensibilisation à
l’importance et à la gestion de la donnée.

›› Une obsolescence plus rapide des
compétences métier, mettant l’accent sur la
nécessité de se former de façon continue au
long de la vie
›› La disparition des postes de stagiaires,
assistants ou analystes qui permettaient
un apprentissage progressif du métier (par
exemple dans les métiers du corporate
banking, les cabinets d’avocats…)
Seules les organisations disposant des bonnes
compétences pourront faire de l’IA un facteur de
compétitivité.

Le sujet des compétences métier pose question
à nos interlocuteurs. La plupart des répondants
font de la maîtrise des compétences métier un
élément clé d’une relation « équilibrée » entre
l’homme et la machine, permettant à l’humain
de garder du recul sur les situations et la
responsabilité d’une prise de décision efficace.
Mais dans un contexte où la machine va
progressivement absorber une grande part de
la connaissance métier et du raisonnement voire
du geste associés, quatre risques apparaissent :
›› La possibilité d’un flou grandissant sur la prise
de décision, l’opérateur humain « n’osant » pas
aller contre une proposition de la machine,
même dans un cas complexe ;
›› Une
complexité
grandissante
pour
développer et maintenir les compétences
métier des opérateurs, pouvant conduire à
un appauvrissement de l’interaction, et à la
marge créer un risque. Schématiquement, ce
dilemme est celui des avions autonomes : si
le pilote ne pilote plus, quelle est sa capacité
à « reprendre la main » au moment où cela
s’avèrerait nécessaire ?

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

39

2.3 Le DRH stratège pour anticiper et éclairer les évolutions
de l’organisation
2.3.1 Adapter les organisations et leur
gouvernance à un nouvel équilibre entre
centralisation et décentralisation des
décisions
La première logique de l’IA est la
centralisation. Le besoin de disposer de
données fiables et en quantité va de pair avec
une gouvernance renforcée de ces données et
une stratégie de cybersécurité à l’échelle de
l’organisation. La sélection des algorithmes
appropriés relève de choix stratégiques et d’un
haut niveau d’expertise IA qui sont le fait du plus
haut niveau de l’organisation : les métiers gèrent
ensuite l’intégration de ces algorithmes dans
leurs processus métier.
Cependant, le déploiement des solutions d’IA a
aussi un effet décentralisateur. A l’intérieur de
l’organisation, comme le soulignent plusieurs
de nos interlocuteurs, « le niveau de décision
pourrait baisser d’un ou plusieurs crans » :
encadrée par les algorithmes sélectionnés, la
décision peut être renvoyée à des niveaux plus
locaux de l’organisation.
Plus largement, pour 60 % des dirigeants
interrogés, l’IA va permettre une plus grande
ouverture sur l’extérieur et plus de collaboration
avec les partenaires, ce qui multipliera les
moments et les lieux de décision : les données
seront échangées de façon continue au sein
de l’écosystème selon des systèmes de règles
prédéfinies. La voiture autonome par exemple,
réorganise le modèle collaboratif dans le
secteur automobile : aux partenariats bilatéraux
classiques
succèdent
des
écosystèmes
regroupant les constructeurs, leurs soustraitants, les fournisseurs d’applications
et de l’internet des objets, les plateformes
d’applications, les acteurs du logiciel et ceux de
la connectivité.
Les évolutions technologiques donnent de la
crédibilité à cette tendance décentralisatrice : les
logiques de blockchain permettent une confiance
collective dans une donnée partagée, et 2017 a
vu émerger des solutions d’entraînement collectif

40

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

d’algorithmes (par exemple Federated Learning
de Google) permettant à des organisations de
se partager cette fonction et son contrôle.
C’est la forme même des organisations qui
pourrait être remise en cause. L’IA prendra en
charge un nombre croissant de décisions métier
et organisationnelles. La question de la prise
de décision, de sa responsabilité et du niveau
adéquat pour la porter sera donc rouverte
dans les organisations, avec de profondes
conséquences sur leur gouvernance.
L’entreprise du XXème siècle était construite sur
des processus, succession d’activités permettant
l’obtention d’un résultat avec un certain niveau
de qualité. Pour certains de nos interlocuteurs,
les organisations de demain pourraient être
structurées par la donnée, l’IA permettant
l’obtention d’un résultat directement à partir de
celle-ci. Dans la logique des mouvements de fond
à l’œuvre depuis plusieurs années (organisations
plus plates, relations de travail moins
hiérarchiques, demande d’autonomie et de sens
des équipes, automatisation voire disparition
de certains processus…), le déploiement de
l’IA supposera de repenser l’organisation et
non simplement de chercher à améliorer par la
technologie les processus actuels.

2.3.2 Accompagner les nouveaux modes
de fonctionnement induits par l’IA,
notamment transversalité et transparence
L’IA crée un niveau de transparence inédit
dans l’organisation. Elle permet l’exploitation
de nombreuses données jusqu’ici en parties
inertes, et la mise à disposition de ces données
à l’ensemble des acteurs d’une organisation
pour appuyer leurs décisions. Elle nécessite
une gouvernance de ces données traversant
l’organisation. L’IA est un facteur de partage
vertical, en donnant à chaque niveau la visibilité
sur l’ensemble des activités des différents
niveaux de l’organisation, et horizontal en
agrégeant les données des différentes entités
de l’organisation.

La transparence induite par l’IA s’étend à la
prise de décision. L’IA est le reflet et le révélateur
des critères de la prise de décision humaine.
Elle peut aussi bien permettre de s’affranchir
de certains biais cognitifs pour rationaliser des
décisions que refléter ces biais et les amplifier,
comme dans le cas des décisions de recrutement
par exemple. Sur ces sujets, l’IA questionne les
processus de décision mis en place et force à
revoir certaines convictions par l’efficacité des
algorithmes, sans pouvoir néanmoins l’expliquer
totalement.
Elle peut aussi faire émerger de nouvelles
logiques de pouvoir, et modifie les logiques de
diffusion de l’information et de reporting.
Ces sujets sont complexes et méritent réflexion
et adaptation des processus internes. Ils ne
seront pas sans conséquence sur le rôle, voire
les profils des managers.

2.3.3 Accompagner des évolutions
majeures dans le rôle des managers aux
différents niveaux
Le management de première ligne perd son
rôle de sachant. Pour 66 % des managers
interrogés (et 41 % des dirigeants), l’IA donnera
plus d’autonomie aux équipes dans la prise
de décision (nous parlons ici d’une autonomie
assistée par l’IA). « Cette nouvelle autonomie
implique une évolution assez drastique des
pratiques managériales qui n’est pas sans
soulever des difficultés », selon Manuel Zacklad46.
La transparence permise par l’IA réduit le besoin
de contrôle. En cela, le déploiement de l’IA
vient remettre en cause le rôle « classique »
du management de proximité, et renforcer
l’émergence en cours du manager agile. Celuici développe une nouvelle posture d’entraîneur/
coach/ressource pour l’équipe, en animant le
collectif, en donnant du sens, en pilotant la
performance, en accompagnant le changement
et les transformations organisationnelles
et en s’attachant au développement des
collaborateurs. Plus riche humainement, cette
posture suppose de nouvelles compétences et

surtout un état d’esprit différent : « nous ne
chercherons plus que des managers capables
de déléguer » selon un des Directeurs des
Ressources Humaines rencontré.
L’IA enlèvera au manager une partie de ses
tâches de classement, d’organisation, de
contrôle, de curation, de planification, de gestion
de projet et d’analyse. En regard, développer un
manager augmenté suppose le développement
de nouvelles compétences managériales
stratégiques : des compétences numériques,
des compétences d’agilité, des compétences
de design thinking, pour innover au quotidien et
penser différemment, ainsi que des compétences
d’interaction avec l’IA47.
Le management intermédiaire pourrait être
le frein de la transformation. La transparence
et la transversalité induites par l’IA viennent
bousculer le rôle du management intermédiaire
comme organisateur de la transversalité et
responsable de la performance sur un périmètre.
En termes plus directs, l’IA a le potentiel pour
remettre en cause des silos organisationnels et
faire évoluer des situations de pouvoir : « comme
pour l’introduction du Lean management, c’est de
ce niveau de l’organisation que pourraient venir
les résistances » pour l’un de nos interlocuteurs.
Le déploiement de l’IA ne pourra s’effectuer dans
de bonnes conditions sans un accompagnement
des managers, à la fois pour leur permettre
d’appréhender le phénomène et d’accompagner
leurs équipes, mais également pour leur
permettre d’évoluer eux-mêmes et d’adopter
leur posture dans ce nouveau contexte.

« Intelligence Artificielle : représentations et impacts sociétaux », Manuel Zacklad, CNAM, 2017
Cécile Dejoux, « Learning Lab human change », Cnam; article « Un manager augmenté avec l’intelligence artificielle, c’est possible » 10
décembre 2017, L’Opinion
46
47

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

41

2.4 Le DRH animateur du dialogue social et sociétal pour
garantir la responsabilité de l’entreprise dans la mise en
place de l’IA
Un enseignement notable de nos entretiens est
que les entreprises estiment avoir un rôle central
à jouer dans la gestion de la transition pour
permettre le déploiement de l’IA dans de bonnes
conditions. Ce positionnement renvoie à la fois
à la nécessité de maintenir le contrat social à
l’échelle de l’organisation (alignement avec les
valeurs et la culture d’entreprise, conditions
d’adhésion des personnels au déploiement
de l’IA), et à l’impératif de cohérence avec
les politiques de responsabilité sociale et
environnementale.
Cependant, l’ampleur et la complexité des défis
rendront nécessaire la recherche de solutions
à une échelle plus large (typiquement les
territoires ou les branches professionnelles)
avec des interlocuteurs comme les partenaires
sociaux, les branches et les pouvoirs publics.
Cette concertation sera d’autant plus
nécessaire que le rythme de déploiement de
l’IA sera rapide. L’implication des entreprises
sur la transformation de l’environnement
(réglementaire, formation initiale, formation
continue…), à l’échelle nationale, dans les
branches et dans les territoires, accompagnera
les efforts des pouvoirs publics pour conduire,
avec les bons retours « terrain », la nécessaire
transition économique et sociale induite par la
généralisation des technologies d’IA. Modifier le
cadre réglementaire suppose en effet une bonne
compréhension de ce qui se passe dans la réalité,
compréhension qu’on ne peut complètement
anticiper vu la nouveauté des sujets.
Autre enseignement-clé : les partenaires
sociaux sont en train de se mettre en ordre de
bataille pour construire leur vision et participer
activement au débat sur la diffusion de l’IA, dans
ses dimensions économique, sociale, sociétale,
avec une vision par branche et par secteur. Ils
commencent à construire des bases de faits
et d’expériences, évitant l’écueil d’une posture
purement défensive, ce qui devrait nourrir le
débat public sur l’évolution du fonctionnement
du marché du travail. Quelques points communs

42

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

paraissent les rassembler, qu’il s’agisse des
représentants de salariés ou du patronat :
›› Ils considèrent que le sujet est majeur, et
l’appréhendent comme un des aspects du
« digital » plutôt que séparément ;
›› Ils estiment qu’il faut surmonter des peurs
légitimes en impulsant une démarche positive
qui mette en évidence les opportunités sans
évacuer les risques : l’IA va arriver, il faut
travailler sur les moyens d’éviter que cette
arrivée ne crée des risques ou une pression
supplémentaire sur les équipes. En regard, les
syndicats de salariés pointent le faible niveau
d’information actuel des collaborateurs ;
›› Pour eux, dans le cadre du débat (encore à
ouvrir) sur le partage des gains de productivité
associés à l’IA vont inévitablement être
abordés des sujets comme la sécurisation des
parcours professionnels, voire la réduction du
temps de travail ;
›› Ils lient de façon directe les sujets de
transformation digitale et de réforme de la
formation professionnelle, voire de l’assurance
chômage. Le calendrier de négociation
national accélère sans doute la prise de
conscience. Ils soulignent en particulier
l’importance d’avoir des budgets formation à
la hauteur ;
›› Ils sont vigilants quant aux incertitudes sur
le développement des nouvelles formes de
travail (free-lance, indépendance, contrats
courts…) que pourrait favoriser l’IA ;
›› Ils soulignent la nécessité d’une GSEC
permettant d’anticiper les impacts ;
›› Certains syndicats de salariés s’organisent
pour aider leurs représentants dans les
branches et le CAC40 à avoir des bases de
faits pour nourrir le dialogue.
Les entretiens que nous avons eus avec les
partenaires sociaux rejoignent les constats
d’une conception plus stratégique de la fonction
RH pour aborder le plus en amont possible
le déploiement de l’IA. Ils posent également
la question d’une gouvernance d’entreprise

plus participative et de l’évolution du rôle des
managers pour accompagner la transformation.
Le dialogue social s’en trouverait lui aussi modifié
et évoluerait vers un rôle plus stratégique,
pour contribuer directement à une gestion des
mutations combinant progrès économique et
social, dans une logique de coresponsabilité
entre direction et représentants du personnel.
Par ailleurs, les acteurs du dialogue social ne
se limiteront plus aux acteurs traditionnels :
Direction, syndicats et représentants du
personnel. Il faudra dialoguer avec d’autres
acteurs comme les sous-traitants, les
fournisseurs, les clients, les pouvoirs publics,
les collectivités territoriales, les écoles, etc…
Pour Jean Kaspar48, nous passerions ainsi,
progressivement, de la notion de dialogue social
à celle d’un « dialogue sociétal ».
Au final, c’est la question d’une nouvelle
approche de l’entreprise qui est posée dans ces
entretiens, sujet dépassant bien sûr la question
de la transformation digitale et IA : à l’heure de
l’IA, l’entreprise pourrait encore moins être vue
comme un simple lieu de production d’un produit
ou d’un service, ou encore plus simplement
comme un lieu de production de richesses.
Avec l’IA, qui conduit à faire de l’intelligence le
moteur de l’efficacité, l’entreprise deviendrait
un lieu d’intelligences et de créativités multiples
(artificielles et humaines) pour produire un bien
ou un service et donc de la richesse. Dans une
telle perspective, la place de l’humain dans la
recherche de l’efficacité et de la performance
devient encore plus centrale et stratégique.
Quatre chantiers sont d’ores et déjà nécessaires :
La recherche des trajectoires d’emploi les
plus adaptées, par catégorie d’emploi, avec
les parties prenantes : salariés eux-mêmes,
organisations syndicales, branches, fournisseurs,
etc... L’échelon local sera dans certains cas
la maille la plus pertinente pour imaginer et
mettre en œuvre des scénarios d’évolution des
personnels. Par exemple, la mutualisation de
certaines compétences, au sein des branches ou
des filières, au niveau national et local, peut être
une voie prometteuse pour faciliter l’accès à des
compétences rares.

48

Les travaux prospectifs sur l’évolution des
emplois (nationalement, par bassin d’emploi
ou par secteur) sont encore embryonnaires
et restent le fait d’initiatives éparses qui
commencent à se structurer. Ces travaux
gagneraient à être développés, partagés et
débattus entre l’ensemble des parties prenantes
afin d’améliorer leur robustesse et d’envisager
les pistes d’action à mettre en œuvre. Les
travaux comparables menés à l’étranger
pourraient utilement être exploités, par exemple
en lien avec la Confédération Européenne des
syndicats. L’implication des grandes entreprises
sera clé pour structurer ce type de démarche.
La formation et la requalification des
collaborateurs. Les politiques de formation
professionnelle
doivent
accompagner
l’introduction des nouvelles technologies, dont
l’IA, dans les organisations. Compte tenu des
enjeux et des volumes, il est clé d’avoir structuré
et financé une offre de formation efficace qui
maximise les chances de reconversion de tous les
salariés (et travailleurs indépendants). La partie
pédagogique des formations va être complexe,
et méritera des ajustements permanents en
fonction des évolutions et des utilisations de
l’IA. L’implication des entreprises, au-delà de
leur rôle institutionnel dans la gestion de la
formation professionnelle, sera clé pour garantir
l’employabilité de chacun.
Par ailleurs, l’ampleur des enjeux de formation
va poser en termes renouvelés la question des
responsabilités respectives des individus, des
entreprises et de la collectivité pour choisir et
financer la formation tout au long de la vie.
Le cadre juridique et règlementaire sur lequel
viendraient s’appuyer les politiques d’éthique des
entreprises. Posé par les règlements européens
en matière d’usage des données, ce cadre devra
être complété pour permettre de réguler sans
brider.

Vice-Président OSI

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

43

zoom

Quelques verbatims des entretiens avec
les partenaires sociaux

L’IA est une réalité que nos fédérations gèrent déjà, en
particulier dans les secteurs de l’automobile, des banques ou
des assurances. Elle fait déjà l’objet d’une réflexion.
Notre réflexion se développe à partir de notre
expérience au sein de secteurs déjà fortement affectés
par le développement de l‘IA (banques, entrepôts, platesformes, transports notamment) et sous l’angle des impacts
sur l’emploi, les conditions de travail, les repositionnements
professionnels et la formation.
L’IA, la robotique et le numérique nous obligent à
redéfinir l’entreprise. Qu’est-ce que l’entreprise du futur, le
syndicat du futur et les relations sociales du futur ?

Poursuivre l’instruction
des sujets liés à l’IA,
se préparer au débat
collectif

Il est important d’imaginer une GPEC de grande
ampleur, pour faire face à une triple évolution : l’émergence
de nouveaux emplois ; la transformation massive d’emplois
existants ; la suppression d’emplois et la nécessité de
requalifier des salariés.

privilégier une posture
a priori d’ouverture et
d’accueil de l’IA, vue
comme levier de progrès
et refuser une attitude
défensive, nourrie par la
peur du changement

44

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Nous devons éviter deux écueils : celui de la « fascination
technologique » et celui de la « peur technologique ». Nous
devons aborder toutes les dimensions du changement et
imaginer des réponses. Cela nécessite une implication de
l’ensemble des acteurs de la société. La technologie est
neutre, ce qui ne l’est pas c’est son utilisation et ce que l’on
en fait. Il faut donc pouvoir débattre.

Nous sommes ouverts au dialogue, partants pour
participer à un travail collectif aboutissant à un constat
partagé sur les conséquences - économiques, sociales,
culturelles - des mutations liées à l’IA et sur les pistes
d’action à envisager.
La diffusion de l‘IA s’impose aux entreprises si elles
veulent affronter l’avenir d’une façon positive. Cette idée est
plus importante que de se laisser enfermer dans le sentiment
de défiance ou d’inquiétude.
L’impact sur l’emploi et sur la croissance est difficile à
prévoir. Cependant, il faut sortir du discours médiatique et
anxiogène sur la destruction d’emploi et focaliser le débat
sur les opportunités de l’IA et la manière de les saisir.

Favoriser le dialogue
pour dépasser la peur
qu’inspire la diffusion
de l’IA

Ce dialogue collectif doit embrasser largement
l’ensemble des thématiques en lien avec le fonctionnement
du marché du travail, par exemple celle de l’apprentissage et
de la formation professionnelle.

Faire une place aux
salariés dans le dialogue
sur l’adoption de l’IA

La parole des salariés doit être libérée et entendue sur
l’ensemble des dimensions que soulève l’adoption de l’IA. Il
faut imaginer un espace d’intervention des salariés et de
leurs représentants dans les processus de prise de décisions,
dans l’élaboration des choix stratégiques.

Pour l’instant, la question de l’adoption de l’IA, de la
robotique et du numérique est essentiellement abordée sous
l’angle de la concurrence internationale, de la volonté de
conquérir de nouvelles parts de marché et de la productivité.
Les questions liées au capital humain - politiques de
formation, déroulements de carrière, promotions, évolution
des politiques salariales et des qualifications, transformation
du travail et de son organisation – sont absentes du débat.

Considérer les enjeux
humains, sociaux et
sociétaux dans le débat
collectif

Le sens des transformations apparaît essentiellement
sous l’angle de la performance économique et de la
productivité et insuffisamment comme l’occasion d’un
saut qualitatif global, d’un point de vue économique,
organisationnel, social et humain.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

45

Bien sûr, les entreprises ne sont pas en charge de
la régulation. Mais il est clé qu’elles alimentent
les pouvoirs publics avec des analyses et des
comparaisons internationales de qualité qui
permettent de prendre les meilleures décisions
possibles, adaptées à un monde ouvert avec une
compétition réglementaire entre les pays.
L’accompagnement des TPE / PME devra
faire l’objet d’une attention spécifique,
par les pouvoirs publics mais aussi le tissu
économique. Notre étude montre l’écart qui
existe dès aujourd’hui entre grands groupes et
petites et moyennes entreprises sur le sujet de
l’IA : moindre compréhension du sujet et des
enjeux, moindre priorité accordée, préparation
plus limitée. Sont bien sûr concernées des TPE /
PME industrielles, mais aussi des entreprises de
services, à l’exception des entreprises « digital
native » qui sont positionnées sur le digital et/
ou l’IA. Par exemple, les cabinets d’avocats
pourraient être rapidement impactés par l’IA.

la technicité des sujets liés à l’IA peuvent rendre
nécessaire un accompagnement.
Plusieurs expériences ou réflexions méritent
attention. Ainsi, le MEDEF considère que la
situation renforce la nécessité du dialogue
social territorial et local (dialogue décentralisé)
pour construire les réponses nécessaires.
L’organisation patronale avait en 2017, dans ses
propositions pour la digitalisation de l’économie
française49, proposé d’accompagner 100.000
TPE PME et ETI dans leur transformation
grâce au programme Métamorphose, visant
sensibilisation, formation, accompagnement et
financement. Parmi les initiatives existantes,
la Bpifrance propose son Digitalomètre50,
diagnostic de maturité digitale s’adressant plus
particulièrement aux PME et entrepreneurs, qui
n’est pas ciblé spécifiquement sur l’IA.

Cet écart entre grands groupes et TPE / PME
est susceptible de s’aggraver avec le temps, par
manque d’accès à la formation et aux ressources
ou encore de moyens pour suivre la course aux
talents… L’absence de DRH et de DSI n’aide
bien sûr pas.
Les plus grandes entreprises, bien audelà du seul CAC40, peuvent jouer un rôle
d’accompagnement de leurs sous-traitants
et fournisseurs, voire de leurs clients, en leur
donnant accès à de l’information, de l’expertise,
ou encore des outils. Sur ce sujet, il n’y pas en
France de « track record » exceptionnel, mais
l’ampleur des enjeux pourraient conduire à
revisiter ce chantier complexe, probablement
par filière.
En complément les actions des fédérations
professionnelles et pouvoirs publics au sens
large, c’est-à-dire y compris collectivités locales,
réseaux consulaires, BPI… devraient rapidement
investiguer les moyens d’accompagner les
entreprises de toute taille, en s’appuyant si
possible sur les outils existants. S’il ne faut pas
tomber dans le piège de reporter sur la puissance
publique la responsabilité de l’adaptation
technologique des entreprises, la complexité et

49
50

« Accélérer la transformation numérique de l’économie française », MEDEF, mars 2017
https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/Evaluez-votre-maturite-digitale-avec-le-Digitalometre-!-39135

46

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

zoom

un enjeu national

éviter le « désert de l’IA » dans
les TPE/PME
La plupart des enjeux et recommandations mis en avant dans ce
rapport seront communs à l’ensemble des entreprises sans distinction
de taille, mais les TPE / PME, voire parfois les ETI, seront confrontées
à des difficultés spécifiques pour les mettre en œuvre.
La nécessité de sensibiliser dirigeants et collaborateurs aux enjeux
de l’IA, de façon à ne pas se faire distancer par des concurrents plus
rapides à intégrer la puissance de l’IA dans leurs opérations s’imposera
à tous. Il en va de même de la réflexion sur les questions éthiques liées
à l’utilisation des algorithmes.
Cependant, les effets de taille soulèvent plusieurs défis spécifiques
aux TPE / PME et pourraient susciter des difficultés majeures, encore
plus aigües que celles rencontrées au cours de la révolution numérique
ces dernières années : la nécessité par exemple de disposer d’une
politique de la donnée et de bases de données larges et variées, ou la
capacité à attirer et retenir les talents de l’IA. Par ailleurs, en dépit de
la baisse du coût des technologies d’IA, il se peut également que les
TPE / PME aient du mal à financer leur déploiement.
Nous sommes aujourd’hui dans la situation où des structures collectives
(centres de formation, de partage de technologies…) demandent
qu’on leur définisse des objectifs et plans d’action. Mais personne
n’a commencé à agréger et formaliser les besoins. Une mobilisation
rapide est nécessaire pour enclencher les phases de sensibilisation
voire de pilotes.
Si les TPE / PME « digital natives » seront préparées pour tirer le
meilleur parti des technologies d’IA, l’enjeu est d’aider toutes les
autres à les adopter au bon rythme. Une mobilisation à différents
niveaux s’imposera :
›› Dans les grands groupes, avec leurs fournisseurs et sous-traitants,
et au sein de chaque filière dans son ensemble ;
›› Au niveau des branches professionnelles, notamment pour définir
les besoins RH et les enjeux de formation initiale et continue ;
›› Au niveau des territoires avec la mobilisation des collectivités
locales et des réseaux consulaires.
Ces approches devront également intégrer les pôles de compétitivité,
les Centres techniques industriels, et les autres structures dédiées à
la recherche et à l’innovation ou à la compétitivité.
La question de l’adoption de l’IA au sein des TPE / PME françaises est
en soi un sujet de réflexion collective d’une grande complexité : il serait
légitime que cette question fasse l’objet d’une instruction approfondie
et d’un débat public à la hauteur des risques et des opportunités en jeu.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

47

2.5 Le DRH augmenté pour faire de la DRH un laboratoire et un
modèle du déploiement de l’IA
La fonction Ressources Humaines est par
excellence une fonction utilisant de nombreuses
données, notamment celles des collaborateurs,
et ces données sont souvent sous-utilisées ou
peu accessibles. Aussi, l’ensemble de la fonction
RH pourrait voir son mode de fonctionnement
profondément modifié par l’IA. Si l’effet de
substitution risque d’être significatif pour les
tâches administratives des Centres de Service
Partagés, le rôle des RH dans l’accompagnement
des équipes, des dirigeants aux équipes de
terrain, sera renforcé (rôle de business partner).
L’enjeu pour la fonction RH est que l’apport de l’IA
permette de mieux accompagner les dirigeants et
les collaborateurs (par exemple pour avoir le bon
collaborateur au bon endroit au bon moment), et
d’autre part de dégager du temps pour s’occuper
de chacun grâce à l’automatisation de tâches à
faible valeur ajoutée.
La gestion et le développement des talents
bénéficieront de l’IA sur l’ensemble du cycle :
›› Meilleure compréhension des facteurs clés de
succès dans un emploi donné et capacité à
prédire la probabilité de succès à terme d’un
candidat dans un emploi
›› Optimisation du processus de recrutement
grâce au tri préalable des CV
›› Meilleure appréhension de la diversité
grâce à une analyse plus fine des données,
et suppression des biais cognitifs dans
les processus d’entretiens grâce à une
programmation adéquate de l’IA
›› Meilleure rétention des talents clés grâce à
des indicateurs prédictifs
L’IA, par le biais par exemple de chatbots
conversationnels, pourra faciliter l’accès
de chaque collaborateur à une information
personnalisée.

51

Professeur des Universités en Ressources Humaines, CNAM

48

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Dans le domaine de la formation, l’IA devrait avoir
un double apport : une meilleure personnalisation
des parcours de développement, et probablement
à terme de nouveaux canaux de formation,
comme le montre le développement dans l’IA
des « Edtechs », les start-ups du secteur de
l’éducation.
L’IA aura également un impact sur l’efficacité
organisationnelle, que ce soit en rendant plus
efficaces les outils de gestion prévisionnelle
de l’emploi, ou en permettant une meilleure
anticipation de l’allocation emplois-ressources.
Enfin, l’IA permettra une meilleure exploitation et
un meilleur partage des données RH, au bénéfice
des décideurs et des managers. Cécile Dejoux51
cite l’exemple de l’absentéisme, dont le lien avec
la qualité de vie au travail pourra être beaucoup
plus finement analysé.
Saisir les opportunités offertes par l’IA
permettrait à la fonction RH d’en mesurer les
défis : évaluation de la répartition des tâches
entre l’homme et la machine, fonctionnement
de l’interaction, montée en compétences…
Autant de domaines sur lesquels les DRH auront
à réfléchir à l’échelle de l’entreprise et pour
lesquels ils pourraient être pilotes.

zoom

Impact de l’IA sur le fonctionnement des
administrations publiques
En France, l’arrivée à maturité des technologies
d’IA coïncide avec le lancement d’un nouveau
programme de modernisation de l’action publique,
dont les orientations (nature des chantiers,
séquence, calendrier, gouvernance) font
l’objet d’un large débat politique et technique.
L’ambition d’un tel programme est d’apporter un
service public de qualité aux citoyens, dans une
enveloppe de coûts globalement en diminution,
tout en améliorant l’adhésion des agents
(condition de travail, parcours de carrière, sens
des missions). Les technologies d’IA, dans ce
contexte, pourrait constituer un formidable
moteur de modernisation de l’action publique.
L’enjeu est double :
Comme dans le secteur privé, l’IA ouvre de
multiples possibilités de fournir certains services
publics, soit de plus grande qualité (par exemple
grâce à la dimension prédictive de l’IA qui peut
permettre un ciblage pertinent), ou à un meilleur
coût (gains d’efficience). Son intégration mérite
donc d’être examinée sérieusement.
Du point de vue RH, en tant qu’employeurs, les
managers et responsables RH de la fonction
publique ont un devoir d’exemplarité par rapport
à leurs homologues du secteur privé ; ils sont
ainsi en charge de faciliter et d’accompagner
l’adoption de l’IA par les agents publics.

Les multiples possibilités qu’ouvre l’IA
pour les services publics
Les technologies d’IA sont pertinentes pour
délivrer de nombreux types de services publics,
dans l’ensemble des secteurs (services régaliens,

52

santé, éducation, infrastructures etc.). Par
ailleurs, en prenant un angle transversal (et non
plus sectoriel), les technologies d’IA peuvent
être utilisées à chaque étape du processus de
production de l’action publique, de l’identification
des attentes des citoyens, à la production de
l’action menée (gestion de dossiers, intervention
sur le terrain etc.) et à l’évaluation (incluant la
communication avec les citoyens, de manière
personnalisée ou ciblée par segment). A titre
d’illustration, les technologies d’IA permettent52 :
›› L’automatisation
des
tâches
administratives
répétitives, dont la
gestion est centrale dans plusieurs types
d’administrations ; impôts, prestations
sociales, assurance maladie, délivrance de
permis et titres de séjours etc.
›› Les analyses prédictives, favorisant les
politiques et actions opérationnelles de
prévention (lutte contre certaines pathologies ;
lutte contre la récidive, maintenance et
logistique), la personnalisation des services
ou de la communication, une focalisation plus
efficace de l’action publique sur les zones/
segments les plus prioritaires.
Par exemple, le FBI et les forces de polices
des villes de Los Angeles, de Chicago et
de New-York exploitent depuis plusieurs
années des technologies IA (« PredPol »,
« CrimScan ») pour identifier en temps réel
les lieux où les actes de délinquance sont les
plus susceptibles de survenir.
Les
analyses
prédictives
permettent
également d’aboutir à une action plus fiable
(que celle résultant de traitements manuels)

Joël Tito (2017) Rapport « Destination unknown: exploring the impact of artificial intelligence on government », Centre for Public Impact

50

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

à travers : une plus grande exhaustivité des
données exploitées et la possible élimination
des biais cognitifs, une capacité qui s’avère
utile par exemple dans le champ de la justice
pour mieux prévenir la récidive et ainsi limiter
la population carcérale (méthode utilisée
aux Etats-Unis en Arizona, au New-Jersey, à
Chicago et Pittsburg, validée par des travaux
universitaires à Harvard et à l’Université de
Pennsylvanie).
Les analyses prédictives sont évidemment
centrales pour améliorer diagnostic et
traitements médicaux, aux échelles locales
(établissements) et nationale (surveillance
sanitaire).
›› La détection d’anomalies, pertinentes
par
exemple
pour
identifier
des
dysfonctionnements
opérationnels
(inadéquation entre procédures et résultats),
ou bien sûr des fraudes (protection sociale,
fiscalité).
La collecte, le traitement et l’analyse
d’images, utiles par exemple dans la gestion
du trafic routier et dans les activités de police
(exploitation d’images vidéo). Sont également
concernées
de
nombreuses
missions
d’inspections d’installations techniques ou de
bâtiments.
›› Le traitement du langage (« natural
language processing ») qui peut servir dans
l’interface avec les citoyens-bénéficiaires,
pour comprendre leurs besoins/attentes et
leur évaluation du service fourni avec par
exemple des analyses fondées sur les données
des réseaux sociaux ou des conversations
téléphoniques (le gouvernement britannique
entend systématiser cette approche) ; il
peut aussi servir dans le cadre d’activités de
surveillance ou d’identification (biométrique).

dans un environnement concurrentiel privé :
l’immobilisme ou la lenteur de démarrage peut
faire peser différents risques – par exemple
éthiques, juridiques – à la collectivité. Elle peut
en particulier participer à saper la légitimité
de l’action de l’Etat53 s’il se laisse distancer
involontairement par l’offre d’acteurs privés
comme Google ou Facebook, ou même
associatifs comme la Khan Academy dans
le secteur éducatif, avec, potentiellement,
des répercussions majeures sur la cohésion
sociale.
Notons que si beaucoup d’applications de
l’IA venant du secteur privé peuvent inspirer
le secteur public, l’adoption de l’IA par les
acteurs publics soulève différentes questions
qui se posent aux acteurs publics de manière
spécifique, comme la neutralité des algorithmes
en alignement avec le mandat public, et bien
sûr tout le champ de la régulation des données,
privées et publiques.

Du point de vue RH
L’action à mener est pour une large partie
similaire à celle que s’apprêtent à mener les
DRH du secteur privé, avec cependant des
spécificités comme la nécessité d’accompagner
la transition à très large échelle (pour rappel,
la fonction publique française emploie 5.5 M
de fonctionnaires54 : l’administration (1.1 M),
l’éducation (1.1 M) et la santé (0.8 M) représentent
les contingents les plus nombreux). Compte
tenu du caractère massif de l’impact IA sur les
sujets RH, les DRH du secteur public devraient
s’investir, sans délai, dans différents chantiers,
dont les plus prioritaires parmi les sujets listés
pour le privé dans ce rapport sont sans doute :

L’enjeu de rapidité d’anticipation et d’adoption
de l’IA se pose avec autant d’acuité – si ce
n’est davantage – dans le secteur public que

La légitimité de l’action de l’Etat repose au moins autant sur la qualité de l’action publique que sur celle du système de représentation
collective à travers le modèle électoral (Rothstein B., 2009)
54
Sources : DGAFP-DREES-INSEE : « Chiffres clés de la fonction publique, 2015 »
53

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

51

zoom
›› 1er axe - La préparation de l’adoption de
l’IA à large échelle, ce qui repose sur la
sensibilisation des agents :
aux usages de l’IA et à l’évolution des
métiers : cette sensibilisation devra
s’attacher en particulier à rassurer les agents
sur la conservation du sens de leurs missions
dans ce nouveau contexte technologique.
La diffusion des technologies IA doit aller
dans le sens d’une modernisation du service
public et d’une augmentation de sa qualité :
ces technologies déchargeront les agents de
tâches répétitives et impersonnelles et leur
permettront de se consacrer à la délivrance
de services plus complexes et personnalisés,
éventuellement en interface directe avec les
usagers, particuliers comme entreprises. Ceci
est d’autant plus important que l’on sait que
le traitement des situations particulières
complexes,
dans
lesquelles
plusieurs
domaines administratifs voire législatifs se
croisent, embouteillent les administrations.
aux enjeux de l’IA - techniques, humains,
éthiques – dont certains sont particulièrement
aigus pour les organisations publiques,
notamment : transparence et acceptabilité
des modèles de décision et d’action dont
l’Etat est redevable pour assurer l’égalité
de traitement entre agents et citoyens,
protection des données personnelles
etc. L’enjeu est de rendre les algorithmes
compatibles avec les choix et valeurs collectifs
(principes d’efficacité et/ou d’éthique).
›› 2ème axe - L’accompagnement de
l’évolution des compétences nécessaires,
sur le fondement d’une GPEC prenant en
compte la survenue de l’IA.
Une GPEC devrait être conduite rapidement,
par secteur et par fonction, selon différents
scénarios (notamment sur le rythme de montée
en maturité de diverses technologies d’IA). Cet
exercice permettrait de calibrer les politiques
de formation et requalification, de mobilité
(sectorielle/géographique), de rétention et
de recrutement des agents. En particulier,
cette GPEC permettrait d’identifier quelles

52

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

régions seraient massivement touchées par
les impacts de l’IA et ainsi de prioriser les
actions d’accompagnement spécifiques pour
éviter des effets négatifs. Des actions au
niveau de bassins d’emploi, a minima entre
employeurs publics et parapublics, devraient
être imaginées.
Les efforts formation et requalification
s’annoncent massifs et coûteux eu égard
aux conclusions des dernières estimations de
l’impact de l’IA sur le volume et la nature des
emplois. Il est prévisible, par exemple, que les
besoins d’emplois de « back-end » (gestion
administrative) décroissent au profit de ceux
de « front-end », en interface avec les usagers.
En dépit de ce constat, l’investissement dans
la formation est bienfondé dans la mesure où :
• Une large partie des agents sont sous
statut, inclus dans les effectifs de manière
durable ;
• Les agents disposent d’une large palette
de talents et d’expertises, souvent
sous-estimée et sous-exploitée dans la
réalisation de leurs missions quotidiennes
et qui peuvent être mis au service de
nouvelles missions avec un effort moyen
de formation ;
• La reformation participe de la qualité du
service rendu autant que du sens de la
mission des agents (car elle est un levier
d’engagement et de motivation).
La politique de formation – requalification
devrait faire l’objet d’une attention importante
pour définir : son contenu (technique, types
de compétences à développer), les cibles
d’agents prioritaires, son calendrier de
déploiement, ses moyens, l’équilibre entre
prestataires externes et internes etc.
Par ailleurs, le recrutement et la rétention
des talents nécessaires à la production d’IA
nécessitent un effort spécifique, dans un
contexte :
• De rareté de ces talents ;
• D’attractivité RH moyenne du secteur
public (toutes fonctions confondues) ;
• De
grande
fragmentation
des
organisations.

En effet, l’attraction et la fidélisation des
talents les plus pointus en matière d’IA
repose largement sur la qualité des projets
proposés, qui elle-même dépend de plusieurs
critères : techniques (ambition des attentes),
organisationnels (rapidité des boucles de
test et de décision, fluidité/qualité de la
coordination entre les différentes parties
prenantes, adaptabilité des dispositions
contractuelles dans un cas de recours à
des sous-traitants etc.), financiers (volume
et pérennité des investissements). Le
secteur public est, sauf quelques exceptions
rares, très en retrait dans sa capacité de
gestion de tels profils, comparés à d’autres
environnements (entreprises dont le modèle
opérationnel est centré sur les données, et
bien sûr start-ups). La puissance publique ne
pourra gagner la guerre des talents IA sans
un travail approfondi sur sa politique RH.
›› 3ème axe – L’accompagnement de
l’évolution des organisations et des
pratiques managériales.
La diffusion des technologies d’IA devrait
redessiner les organisations : périmètre des
organisations, structure des organigrammes,
probable expansion du recours à des
prestataires externes sur certaines fonctions
mais possibilité d’internationalisation sur
d’autres, modèles de coopération internes
et externes. Pour les DRH, l’enjeu est
d’anticiper et d’accompagner l’évolution des
organisations et des modes de travail.

tant que tel, dans un contexte où leur rôle
sera largement redéfini, au profit des tâches
de coordination des équipes et de « gardefou » éthique.
›› 4ème axe - Le test et le déploiement
d’outils IA au service d’une plus grande
efficacité des services RH.
Ici, l’enjeu consiste à exploiter l’IA pour réaliser
les gains de productivité sur les tâches les plus
répétitives ou celles requérant le traitement
d’un large nombre de données personnelles
ou collectives, par exemple l’administration
de la paie, des mobilités / détachements,
l’aide à la gestion de carrières sur la base des
données personnelles etc.

Ces différents chantiers devraient faire l’objet
d’un dialogue rapide, ouvert, approfondi (c’està-dire technique, structuré par problématiques
comme les politiques de formation et de
requalification, les nouvelles organisations du
travail etc.) avec les organisations syndicales.
Il est par ailleurs important que les DRH soient
impliquées très en amont dans l’ensemble des
expérimentations d’utilisation de l’IA dans la
sphère publique, et que ces expérimentations
intègrent une dimension RH (compétences,
identité professionnelle, organisation, culture…).

Par ailleurs, la formation et l’appui aux
manageurs intermédiaires est un chantier en

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

53

glossaire

Agent cognitif

Logiciel qui agit de façon autonome et intelligente.

Algorithme

Description d’une suite finie et non ambigüe d’étapes ou d’instructions permettant
d’obtenir un résultat à partir de données fournies en entrée.

Algorithme adaptatif

Algorithme capable de modifier ses réponses ou les données traitées en
fonction de l’évolution de son environnement (par opposition à un algorithme
déterministe) : deux exécutions du même algorithme adaptatif peuvent donner
des choix différents.

Analyse et exploration de
données, « data mining »

Analyse prédictive

API, « Application
Programming Interface »,
interface de programmation
applicative

Extraction de connaissances à partir de données.

Type d’analyse statistique extrayant l’information des données pour extrapoler
des tendances futures.

Ensemble normalisé de méthodes et fonctions par lequel un logiciel offre des
services à d’autres logiciels. Permet l’assemblage de briques de différents
logiciels.

Apprentissage machine,
ou « apprentissage
automatique », « machine
learning »

Techniques et algorithmes fournissant des capacités d’apprentissage aux
ordinateurs. Branche de l’intelligence artificielle, fondée sur des méthodes
d’apprentissage et d’acquisition automatique de nouvelles connaissances par
les ordinateurs. Il peut être supervisé (utilisation de données déjà étiquetées)
ou non supervisé (l’algorithme apprend à partir de données brutes et élabore sa
propre classification, qui peut évoluer vers n’importe quel état final).

Apprentissage profond,
« deep learning »

Système d’apprentissage et de classification, fondé sur des « réseaux de
neurones artificiels » numériques, utilisé par exemple pour la reconnaissance
visuelle et vocale.

« Big data »
(données massives)

Conjonction entre les immenses volumes de données devenus difficilement
traitables à l’heure du numérique et les nouvelles techniques permettant
d’analyser ces données et d’en tirer des corrélations.

54

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

Chatbot ou bot
conversationnel

Un bot est un logiciel chargé d’effectuer automatiquement une tâche spécifique.
Un chatbot est un robot conversationnel programmé pour simuler une
conversation en langage naturel.

GSEC

Gestion Stratégique de l’Emploi et des Compétences, approche par laquelle une
organisation bâtit une vue prospective de ses besoins afin d’anticiper au mieux
leur évolution sans perturber le corps social.

Intelligence artificielle (IA)

Théories et techniques « consistant à faire faire à des machines ce que l’homme
ferait moyennant une certaine intelligence » (Marvin Minsky). On distingue
IA faible (IA capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche bien
déterminée) et IA forte (IA générique et autonome qui pourrait appliquer ses
capacités à n’importe quel problème, de façon similaire à l’intelligence humaine).

Réseaux neuronaux

Technique d’analyse de données reposant sur un programme composé
d’algorithmes reliés à la manière du cerveau humain. Ces réseaux sont
notamment au cœur des techniques de deep learning.

Système expert

Système permettant de résoudre des problèmes en s’appuyant sur un ensemble
de règles préalablement enregistrées dans une base de connaissances et
relatives à un domaine restreint. Lorsque le système ne dispose pas de règles
concernant le cas à traiter, il est inopérant. Les systèmes experts ont fait leurs
preuves dans des domaines très ciblés où les bases de connaissance suffisent à
traiter tous les cas possibles.

Test de Turing

Proposé par le mathématicien britannique Alan Turing en 1950, il est destiné à
évaluer l’intelligence d’une machine ou d’un système en éprouvant sa capacité
à tenir une conversation en langage naturel. Un opérateur humain fait face de
façon anonyme à un autre humain et à une machine ; il doit déterminer, à travers
des échanges textuels, lequel de ses interlocuteurs est la machine.

Traitement automatique du
langage naturel

A mi-chemin entre l’informatique et la linguistique, les applications de
traitement automatique du langage naturel désignent la capacité des machines
à reconnaître le langage humain, qu’il soit écrit ou oral.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

55

note méthodologique
Cette étude sur l’impact du déploiement des technologies d’IA sur le capital humain des entreprises est réalisée
conjointement par Malakoff Médéric et The Boston Consulting Group. Elle repose sur trois approches apportant
des perspectives complémentaires : une étude quantitative, des entretiens qualitatifs en face à face et l’analyse
des rapports récents sur le sujet. L’étude a été réalisée avec le soutien du Conservatoire National des Arts et
Métiers (CNAM) et de l’Observatoire Social International (OSI).
L’analyse de rapports sur le sujet du déploiement de l’IA couvre plus de 60 documents publics, français
et internationaux, sur la période 2013-2017. Ces rapports sont de diverses natures : organisations publiques
(ministères, agences, Parlement, organisations syndicales, organismes de recherche…) et privées (entreprises,
cabinets de conseil, analystes…), presse, travaux universitaires (articles ou ouvrages) et entretiens d’experts.
En complément, le CNAM a réalisé un état des lieux des technologies et de leur perception.
Les entretiens qualitatifs ont été menés entre novembre 2017 et janvier 2018. La liste des organisations et
personnes rencontrées figure sous l’intitulé « contributeurs » dans cette note.
S’agissant des entreprises, le panel couvre une variété de secteurs économiques et de maturité sur le sujet de
l’IA. Il comprend des grandes entreprises et des start-ups, représentées par des dirigeants de diverses fonctions,
avec une prédominante Ressources Humaines pour plus de la moitié d’entre eux.
Le CNAM a interviewé des experts académiques. L’OSI a interviewé un panel de partenaires sociaux et
représentants patronaux.
L’enquête quantitative a été menée par l’institut Harris entre novembre et décembre 2017. Sauf mention contraire,
les chiffres mentionnés dans ce document proviennent de cette étude. Trois populations ont été interrogées :
Volet Salariés/Managers
Echantillon de 988 salariés et 512 managers, représentatif de la population active française salariée du secteur
privé, travaillant dans des entreprises d’au moins 50 salariés.
Pour les managers, 60% encadrent moins de 10 personnes, 30% entre 10 et 50 personnes et 10% plus de 50
personnes.
La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas : par un redressement sur les variables
de sexe, âge, profession de l’interviewé, secteur d’activité et taille de l’entreprise, après stratification par
région.
Mode de recueil : questionnaire auto administré en ligne (CAWI)
Volet Dirigeants
Echantillon de 252 personnes, représentatif des dirigeants d’entreprises entreprises d’au moins 50 salariés.
L’échantillon comprend 63% de DRH, 25% de profils Direction Générale et DSI et 12% de profils variés (DAF,
Directeur Commercial, etc…)
La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas : par un redressement portant sur
les variables de secteur d’activité et taille de l’entreprise, après stratification par région.
Recueil : par téléphone (CATI), du 28 novembre au 19 décembre 2017.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET CAPITAL HUMAIN

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