LES AVIS
DU CONSEIL
ÉCONOMIQUE,
SOCIAL ET
ENVIRONNEMENTAL

Le fait religieux
dans l’entreprise

Edith Arnoult-Brill
Gabrielle Simon
Novembre 2013

Les éditions des
JOURNAUX OFFICIELS

2013-25
NOR : CESL1100025X
Mardi 26 novembre 2013

JOURNAL OFFICIEL
DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Mandature 2010-2015 – Séance du mardi 12 novembre 2013

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE

Avis du Conseil économique, social et environnemental

présenté par

Mmes Edith Arnoult-Brill et Gabrielle Simon, rapporteures

au nom de la

section du travail et de l'emploi


Question dont le Conseil économique, social et environnemental a été saisi par décision de
son bureau en date du 11 juin 2013 en application de l’article 3 de l’ordonnance no 58-1360 du
29 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au Conseil économique, social et
environnemental. Le bureau a confié à section du travail et de l'emploi la préparation d’un avis sur
Le fait religieux dans l'entreprise. La section du travail et de l’emploi, présidée par Mme Françoise
Geng, a désigné Mmes Edith Arnoult-Brill et Gabrielle Simon comme rapporteures.

Sommaire
■ Avis ______________________________________ 4






Introduction

4

Un cadre juridique protecteur de la liberté religieuse
qui gagnerait à etre clarifié

5

Une liberté fondamentale

5

Une liberté fondamentale protégée par de nombreux textes
Ê Une liberté restreinte par exception

5

Ê



Un dispositif juridique qui mériterait
des clarifications sur certains points

6
8

Quelles sont les limites précises à la manifestation des
croyances ou des convictions religieuses dans l’entreprise ?
8
Ê Un questionnement sur la frontière entre le secteur privé régi
par le principe de liberté religieuse et le secteur public soumis
au principe de neutralité
8
Ê Le débat sur la notion d’entreprise « de tendance »
est-il clos ?
10
Ê La liberté religieuse peut-elle être encadrée
sur le seul fondement juridique du règlement intérieur ?
10
Ê





En pratique, la prise en compte du fait religieux
dans l’entreprise progresse mais elle peut se heurter
toutefois à certaines difficultés
11
Une liberté religieuse
mieux prise en compte dans l’entreprise
Ê
Ê
Ê
Ê
Ê
Ê

Une expression plus large du fait religieux
mais peu de contentieux
Diversité des requêtes religieuses : signes, repas,
lieux de prières…
Des réponses adaptées
Des difficultés qu’il ne faut pas sous-estimer
La méconnaissance des règles applicables dans l’entreprise
en matière de liberté religieuse
Des stratégies d’entreprises très différentes :
du déni à la complaisance

2  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

11
11
12
14
15
15
15

Ê

Des managers insuffisamment formés à la prise en compte
du fait religieux ?

17

Recommandations

17

Pour une meilleure lisibilité du cadre juridique
de la liberté religieuse dans l’entreprise

18



Pour une mobilisation des acteurs

21



Conclusion

23





■ Déclaration des groupes __________________ 25
■ Scrutin __________________________________ 41
Annexes ____________________________________ 43
Annexe n° 1 : composition de la section du travail et de l’emploi ___________ 43
Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnées __________________________ 45
Annexe n° 3 : liste des personnes rencontrées ___________________________ 47
Annexe n° 4 : le cadre juridique de la liberté religieuse dans l’entreprise ____ 48
Annexe n° 5 : le principe de laïcité dans le cadre du service public __________ 67
Annexe n° 6 : la détermination de l’existence d’un service public ___________ 75
Annexe n° 7 : les propositions de lois sur le fait religieux en entreprise _____ 76
Annexe n° 8 : les guides pratiques sur la diversité religieuse _______________ 81
Annexe n° 9 : table des sigles __________________________________________ 84

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  3

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE1

Avis
Introduction
Le Conseil économique, social et environnemental se saisit, en ce début du XXIè siècle,
de la question du fait religieux dans l’entreprise dans un contexte sociétal marqué par la
diversité culturelle et cultuelle ainsi que par la recherche de repères. Le compromis laïque
institué en France entre 1880 et 1905 a été passé essentiellement avec une religion, alors
très majoritaire. La société française s’est depuis lors considérablement transformée. Cette
transformation s’est encore accélérée et approfondie dans la période récente. La diversité
de notre environnement humain et relationnel, aujourd’hui sans précédent, constitue une
marque d’ouverture et une source d’enrichissement culturel. Cette diversité se retrouve dans
le monde du travail et se traduit dans le champ des convictions et des pratiques religieuses
des employeurs et des salariés. Une affirmation de demandes en lien avec les convictions et
les pratiques religieuses est aujourd’hui perceptible sur les lieux de travail. Cette évolution
nécessite des adaptations parfois difficiles. Un tel phénomène est encouragé par la quête
de reconnaissance d’individus éprouvés par un monde en pleine mutation sous l’effet de
facteurs divers (politique, économique et social, climatique…) qui interagissent entre
eux. Selon Gilles Kepel, certaines revendications exprimées dans un vocabulaire religieux
émanent de milieux sociaux qui jusqu’alors n’ont pas accédé à la parole civique. Dans
certains cas, cela peut conduire à une instrumentalisation identitaire.
Le CESE considère qu’une prise en compte positive de la diversité dans les entreprises
constitue une voie essentielle pour apporter une réponse efficace et durable à ces difficultés.
A ce titre, il rappelle que la prévention des discriminations et le traitement égalitaire des
personnes sont un enjeu important pour les entreprises et constituent d’ores et déjà un
objet de négociation.
Cet avis s’inscrit aussi dans une actualité judiciaire et dans un contexte législatif
particulier qu’il convient brièvement de rappeler.
Contexte judiciaire d’abord : deux arrêts de la Cour de Cassation rendus le 19 mars
2013 - l’un sur la crèche associative Baby Loup, l’autre concernant la CPAM de Seine-SaintDenis - ont relancé le débat sur le port des signes religieux sur le lieu de travail.
Contexte législatif ensuite : à la suite de l’arrêt Baby Loup, les pouvoirs publics ont
annoncé leur intention de légiférer dans ce domaine. Plusieurs propositions de loi ont
également été déposées récemment sur ce thème sans pour l’instant aboutir. Une résolution
a été adoptée par l’Assemblée nationale le 31 mai 2011 (résolution n° 672), mais elle est, par
nature, dépourvue de force contraignante.
Par ailleurs, un Observatoire de la laïcité (présidé par Jean-Louis Bianco, ancien ministre)
a été mis en place par décret du Premier ministre en début d’année. A la demande du
président de cet Observatoire, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme,
1 L’ensemble du projet d’avis a été adopté au scrutin public par 172 voix contre 1 et 13 abstentions
(voir le résultat du scrutin en annexe).
4  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

a rendu le 26 septembre 2013, un avis dans lequel elle écarte l’hypothèse d’une extension
du champ d’application du principe de laïcité au-delà de ses limites actuelles et considère
toute intervention du législateur sur le sujet comme inutile en l’état actuel des choses.
Le CESE s’efforce de cerner, dans la première partie de son avis, la réalité de la notion de
fait religieux dans l’entreprise tant à partir des règles juridiques applicables qu’à partir des faits
et des pratiques rapportés et analysés par les acteurs de terrain et différents observateurs. Il
consacre la deuxième partie de cet avis à des recommandations visant à faciliter l’accès aux
règles de droit en vigueur et à promouvoir de bonnes pratiques s’appuyant sur l’implication
des acteurs de l’entreprise.
Il envisage le fait religieux dans sa globalité, c’est-à-dire en considérant toutes les
religions.
Il s’appuie sur l’analyse du fait religieux dans le secteur privé des entreprises, des
associations et des structures agissant pour le compte des collectivités publiques. En
conséquence, l’avis prétend couvrir l’ensemble des situations de travail. La Fonction
publique n’entre pas dans le champ de cette réflexion.

Un cadre juridique protecteur de la liberté religieuse
qui gagnerait à être clarifié

Une liberté fondamentale
La liberté de religion est une liberté fondamentale imbriquée dans la liberté de
conscience. Elle inclut aussi la liberté d’exprimer ses convictions religieuses. Ainsi définie,
elle est protégée par de nombreux textes en droit international, communautaire et interne.
Les restrictions qui peuvent lui être apportées, en particulier dans le champ du travail et de
l’emploi, constituent l’exception et sont soumises à un contrôle très strict.

Une liberté fondamentale protégée par de nombreux textes
ٰ Les traités internationaux
Les normes internationales comme le Pacte international relatifs aux droits civils et
politiques de 1966 et la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 protègent
la liberté de religion et de conviction et n’envisagent de limites que celles posées par la loi
et rendues nécessaires par la sécurité, l’ordre, la santé et la moralité publiques, les libertés et
droits fondamentaux d’autrui.
A l’échelle de l’Europe, l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) constitue le fondement de la liberté de
pensée, de conscience et de religion :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  5

Les Etats parties à la Convention sont donc tenus de protéger et respecter la liberté
de pensée, de conscience et de religion qui est entendue largement et s’étend au droit
d’exprimer ses convictions religieuses ou autres « en public ou en privé ». Les restrictions à
cette liberté doivent être justifiées par un intérêt supérieur et formalisées par la loi.
ٰ Les textes de l’Union européenne
Les dispositions de la CEDH ont pratiquement été intégrées telles quelles dans la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000. Celle-ci interdit en
outre toute discrimination, notamment celles fondées sur la religion. Le traité de Lisbonne
signé en 2007 a conféré une force juridiquement contraignante à ce texte.
Mais c’est surtout la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 qui fonde au sein de
l’Union européenne le cadre général de la lutte contre les discriminations. Ce texte aborde
la liberté religieuse par le respect de l’égalité de traitement et par l’obligation de ne pas
discriminer.
ٰ Les textes de droit interne
En droit interne, la liberté religieuse, étroitement liée à la liberté de conscience, fait
partie des libertés fondamentales protégées par des normes que le Conseil constitutionnel a
placées au plus haut niveau de la hiérarchie juridique. La Déclaration des droits de l’Homme
et du Citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 constituent ainsi les
fondements, dans notre droit national, de la liberté de conscience et de religion.
En conformité avec ces normes supérieures, deux articles du code du travail imposent
le respect des libertés dans l’entreprise :
L’article L. 1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à
accomplir ni proportionnées au but recherché. »
L’article L. 1321-3 qui précise, en son 2ème alinéa, les dispositions que ne peut contenir le
règlement intérieur de l’entreprise :
« Le règlement intérieur ne peut contenir : (…) 2) Des dispositions apportant aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées
par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Trois autres articles du Code du travail (L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3) assurent la
transposition des dispositions européennes susvisées sur l’égalité de traitement dans
l’emploi et le travail. Les convictions religieuses sont citées comme l’un des quatorze motifs
de discrimination à l’encontre du salarié.

Une liberté restreinte par exception
ٰ Des restrictions possibles mais qui doivent être justifiées et proportionnées
En dehors des services publics auxquels s’applique en France le principe de laïcité,
l’employeur ne peut imposer à ses salariés un strict devoir de neutralité religieuse ou
interdire toute manifestation des opinions religieuses dans l’entreprise. La liberté religieuse
ne s’arrête pas aux portes du lieu de travail. Toutefois, la directive du 27 novembre 20002
2 Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de
traitement en matière d’emploi et de travail.
6  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

transposée dans le Code du travail admet des restrictions aux libertés fondamentales à
condition qu’elles soient « justifiées par la nature de la tâche à accomplir », qu’elles répondent
« à une exigence professionnelle essentielle et déterminante » et soient « proportionnées au but
recherché ».
ٰ Des restrictions placées sous le contrôle du juge
Le juge, sur le fondement de ces textes, apprécie la justification et la proportionnalité
des restrictions apportées par l’employeur dans un souci d’équilibre entre la liberté religieuse
des individus et la poursuite des buts légitimes de l’entreprise.
Par exemple, dans l’arrêt Baby Loup rendu le 19 mars 2013, la Cour de cassation a invalidé
la clause du règlement intérieur de la crèche imposant à son personnel une obligation
de neutralité parce qu’elle était rédigée en termes trop généraux et, par là même, portait
atteinte de manière injustifiée et disproportionnée à la liberté religieuse. En revanche, si
l’employeur avait pu justifier qu’en l’espèce le port du voile était incompatible avec les
fonctions de la salariée, le juge aurait pu décider autrement et éventuellement considérer le
licenciement comme fondé.
En effet, la jurisprudence qui a dégagé plusieurs motifs légitimes de restriction à la
liberté religieuse n’ignore pas l’intérêt des entreprises.
ٰ La jurisprudence précise les motifs pour lesquels la liberté religieuse peut être restreinte
Des considérations de sécurité et d’hygiène peuvent constituer une restriction objective
justifiée par la nature des tâches à effectuer.
Le salarié ou l’employeur ne peuvent se soustraire à leurs obligations contractuelles
au motif de leurs convictions religieuses. Les convictions religieuses d’une des parties ne
sauraient non plus créer à l’encontre de l’autre partie des obligations supplémentaires
au-delà de celles figurant au contrat de travail.
Les dispositions légales et réglementaires prennent évidemment toujours le pas sur
le respect des interdits religieux. La Cour de cassation a ainsi rappelé à plusieurs reprises, à
propos de la visite médicale obligatoire, que le salarié ne pouvait se soustraire à l’application
de dispositions impératives.
L’interdiction du prosélytisme fait l’objet d’une construction jurisprudentielle à partir de
l’encadrement de la liberté d’expression tant de la part du Conseil d’Etat que de la Cour de
cassation. Si le règlement intérieur n’a pas à censurer les discussions politiques et religieuses,
les salariés ne doivent pas non plus être exposés à des pressions politiques ou religieuses de
la part de leurs collègues et « les propos injurieux, diffamatoires ou excessifs » constituent
des abus de la liberté d’expression qui doivent être sanctionnés.
Sur la question des autorisations d’absence quel qu’en soit le motif (religieux ou
non), l’employeur dispose en principe d’une assez grande latitude à condition de fonder
sa décision sur des impératifs tenant à l’organisation du travail et de la production. Il doit
en effet, dans l’examen des demandes de ses salariés, respecter un principe de « bonne foi
contractuelle », ce qui signifie que s’il n’existe pas d’inconvénient réel à ce que la demande
soit satisfaite, l’employeur doit lui donner une suite favorable.
Le juge admet d’autres motifs de restriction à la liberté religieuse dans l’entreprise.
Ainsi, le motif du respect de l’usager ou celui de la sensibilité commerciale du public
peuvent être invoqués. Des restrictions imposées aux salariés dans le choix de leur tenue
vestimentaire, qu’elle ait ou non une connotation religieuse, peuvent être envisagées dans
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  7

l’intérêt de l’entreprise. Cependant, en l’absence d’arrêt de la Cour de cassation sur le port
d’un vêtement religieux, les décisions des Cours d’appel ne vont pas toutes dans le même
sens. Par exemple, celle de la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion du 9 septembre
1997 a admis le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’une salariée refusant d’adopter
une tenue conforme à l’image de marque de l’entreprise, en l’occurrence une boutique de
mode. En revanche, le 19 juin 2003, la Cour d’appel de Paris a confirmé la réintégration,
ordonnée en référé, d’une salariée licenciée travaillant dans un centre d’appel et portant un
foulard cachant les cheveux, les oreilles, le cou et la moitié du front. Les juges retiennent que
la salariée avait été embauchée avec ce même voile et que son contrat de travail comportait,
dès sa conclusion, une clause de mobilité lui permettant d’aller directement chez les clients.
La matière est délicate car les arguments de la sensibilité de la clientèle et de l’image de
marque de l’entreprise n’ont parfois pas d’autre objet que de dissimuler des préjugés.

Un dispositif juridique qui mériterait
des clarifications sur certains points
Quelles sont les limites précises à la manifestation des
croyances ou des convictions religieuses dans l’entreprise ?
Si la liberté de conscience ne pose pas de difficulté au plan juridique, il en va
différemment de la libre manifestation des croyances dans l’entreprise dont les limites ne
sont pas précisément détaillées dans le Code du travail, dans lequel est posé un principe
général de justification et de proportionnalité. La jurisprudence, nous l’avons vu, complète
le travail du législateur. Mais il ressort des auditions conduites par la section que les acteurs
de terrain éprouvent souvent des difficultés à appréhender les règles de droit applicables.
La complexité du droit, son insuffisante lisibilité ne permettent pas aux employeurs et aux
salariés de disposer des repères indispensables à la conciliation de la liberté religieuse avec
le bon fonctionnement de l’entreprise et le respect des autres libertés individuelles.

Un questionnement sur la frontière entre le secteur privé régi
par le principe de liberté religieuse et le secteur public soumis
au principe de neutralité
La Cour de cassation, par son arrêt CPAM de Seine-Saint-Denis du 19 mars 2013, inscrit
sa jurisprudence dans la droite ligne de celle, antérieure du Conseil d’Etat (CE, 31 janvier
1964, CAF de l’arrondissement de Lyon), en jugeant, pour la première fois, que le principe de
laïcité et l’obligation de neutralité qui lui est associée, sont applicables à tout service public
quelle que soit la nature juridique de son gestionnaire, en l’espèce une personne morale de
droit privé. Des entreprises privées dans l’exercice des missions de service public qui leur
sont déléguées seraient ainsi appelées, avec leurs salariés, à respecter la règle de neutralité
qui est attachée au principe de laïcité. Aucune distinction ne pourrait être faite entre les
personnels selon qu’ils sont ou non en relation avec les usagers, qu’ils assument ou pas des
responsabilités susceptibles de les amener à représenter le service public.
Simultanément, l’arrêt de la Cour de Cassation du 19 mars 2013 sur la crèche Baby
Loup a pour conséquence de maintenir en-dehors du périmètre de la règle de neutralité
8  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

des organismes privés poursuivant, en collaboration avec des acteurs publics, une mission
d’intérêt général impliquant une relation constante avec un public dépendant.
Dans ces circonstances, si le critère du service public consacré par le juge apparaît d’une
clarté et d’une simplicité remarquables, des doutes ont pu s’exprimer sur les conditions et
les conséquences de son application.
ٰ Pour les salariés employés dans des Services publics industriels et commerciaux (SPIC)
Après l’arrêt CPAM, le principe de laïcité s’applique aux opérateurs privés poursuivant
une mission de service public sans qu’il y ait lieu de distinguer s’il s’agit d’un SPIC ou d’un
service public administratif. Les salariés d’une société privée délégataire d’un service public
de traitement et de distribution d’eau ou ceux d’un producteur et distributeur d’électricité
dont l’activité relève en partie du service public, sont en principe aujourd’hui astreints au
respect de la règle de neutralité. Cette jurisprudence très récente conduit certaines de ces
entreprises à s’interroger sur les conditions d’une révision de leurs pratiques d’encadrement
de la liberté d’expression, notamment religieuse, de leurs salariés. Le passage d’un régime de
liberté encadrée à un régime de stricte neutralité est rendu encore plus compliqué lorsque
ces entreprises ne relèvent du service public que pour partie de leur activité3.
ٰ Pour les salariés employés dans des structures ayant des missions d’intérêt général ne
relevant pas d’un service public
La distinction entre Mission d’intérêt général (MIG) et mission de service public n’est pas
toujours aisée et cela peut être source de contentieux futurs.
Il convient de rappeler que, dans son arrêt Association du personnel relevant des
établissements pour inadaptés du 22 février 2007, le Conseil d’Etat a confirmé le maintien de
toute une partie des institutions sociales et médico-sociales en dehors du champ du service
public. Il considère, en l’espèce, qu’un centre d’aide par le travail exerce bien une « mission
d’intérêt général », mais que cette mission ne revêt pas « le caractère d’une mission de
service public », eu égard au souhait du législateur résultant « des dispositions de la loi du
30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires » (cf. annexe n° 6 sur la détermination
de l’existence d’un service public).
Par ailleurs, parmi les organismes ou activités d’intérêt général, qui ne relèvent pas du
service public, certains présentent toutefois la particularité de mener des actions en direction
de publics fragiles ou vulnérables. Cela concerne essentiellement des établissements et
services relevant de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
Conscient des difficultés pratiques que peut poser, dans certaines entreprises, ce
découpage subtil des deux domaines juridiques, le Défenseur des droits a récemment saisi
le Conseil d’Etat sur la distinction entre mission de service public et mission d’intérêt général
ainsi que sur la situation des salariés du secteur privé agissant en lien avec les pouvoirs
publics.
3 Sur ce point, Jean-Baptiste Obéniche, responsable du pôle santé et vie au travail du groupe EDF, a souligné
lors de son audition du 4 septembre 2013, devant la section du travail et de l’emploi, la situation délicate de
l’entreprise au regard de la règle de droit applicable.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  9

Le débat sur la notion d’entreprise « de tendance » est-il clos ?
La question se pose de savoir si l’on peut considérer que la jurisprudence sur les
entreprises dites de « tendance » est applicable à une association, voire une entreprise
qui aurait mentionné dans son règlement intérieur sa volonté de respecter le principe de
neutralité. L’affaire Baby Loup a fourni au juge de cassation l’occasion de préciser sa doctrine
sur la notion d’entreprise de tendance dans un sens restrictif. Il n’a pas voulu étendre ce
caractère - qui permet à l’employeur d’exiger du salarié une adhésion aux valeurs inhérentes
à l’objet de l’entreprise - au-delà des catégories reconnues par la jurisprudence antérieure :
partis politiques, syndicats, établissements d’enseignement privé…
Sur le fond, la Cour de cassation a considéré que la neutralité comme corollaire de la
laïcité ne pouvait être assimilée à une option idéologique ou philosophique parce qu’elle
constitue un principe supérieur d’organisation de l’Etat. Dans cette interprétation, une
personne morale de droit privé ne peut être neutre et ne peut donc pas se réclamer de la
laïcité.
Pour s’opposer à l’extension de la notion d’entreprise de tendance, la Cour a aussi
invoqué la clause de « standstill » (ou de gel) de la directive du 27 novembre 2000 qui impose
aux Etats-membres, dépourvus de législation en ce domaine, de ne pas créer de nouvelles
entreprises de ce type après l’entrée en vigueur de la directive.
Cependant, la question était encore débattue il y a peu, et certains sont tentés de voir
dans la notion d’entreprise de tendance un cadre juridique sécurisant pour des structures
privées du secteur de la petite enfance et de l’action sociale qui souhaiteraient imposer une
règle de neutralité quant à l’expression religieuse de leurs salariés4.

La liberté religieuse peut-elle être encadrée
sur le seul fondement juridique du règlement intérieur ?
En l’état actuel du droit, la doctrine est divisée sur le point de savoir si un employeur
peut encadrer les pratiques religieuses dans l’entreprise sur le seul fondement juridique du
règlement intérieur, lequel fixe notamment les règles générales et permanentes relatives à
la discipline au sein de celle-ci.
Plus concrètement, la question qui oppose les juristes est de savoir si un employeur
peut, en l’état actuel des textes, sans dispositions législatives plus précises, encadrer une
liberté aussi fondamentale.
Seules les mesures visées au 1° et au 2° de l’article L. 1321-1 du Code du travail pourraient
être considérées comme des mesures prises sur délégation de la loi s’agissant d’appliquer
la réglementation en matière de santé et de sécurité. En revanche, la clause litigieuse du
règlement intérieur de l’association Baby Loup par exemple relève du 3° de cet article et
ne pourrait donc pas être considérée comme une mesure d’application d’une disposition
législative.
De ce point de vue, l’arrêt Baby Loup a sanctionné une interdiction trop générale de
l’expression religieuse, l’un des aspects essentiels d’une liberté fondamentale. Il n’a pas
tranché la question au fond, à savoir celle du port du voile par une salariée au contact de
jeunes enfants. D’ailleurs l’affaire n’est pas close. Elle a été renvoyée à la Cour d’appel de Paris
qui jugera sur le fond.
4 L’avis de l’avocat général de la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup évoquait cette possibilité (Semaine
sociale Lamy 30 septembre 2013, n° 1599). Le Pasteur Baty, lors de son audition devant la section du travail et
de l’emploi le 18 septembre 2013, a indiqué qu’il ne rejetait pas ce type de solution.
10  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

En pratique, la prise en compte du fait religieux
dans l’entreprise progresse mais elle peut se heurter
toutefois à certaines difficultés

Une liberté religieuse
mieux prise en compte dans l’entreprise
Une expression plus large du fait religieux
mais peu de contentieux
La mondialisation de l’économie, l’intensification des échanges et l’ouverture de plus en
plus large des frontières font que les sociétés ont aujourd’hui gagné en diversité y compris
sur le plan religieux. Ainsi, la population de l’hexagone qui comptait 90 % de catholiques
au début du XXè siècle présente désormais une plus grande hétérogénéité confessionnelle.
Selon un sondage IFOP-La Croix, en 2006, 65% se déclaraient catholiques, 25% se disaient
agnostiques, 6% musulmans et 2% protestants. Le nombre de pratiquants du judaïsme était
évalué à 600 000 et ceux du bouddhisme à 400 000. Cette diversité d’origine et de religion
se retrouve évidemment dans le monde du travail où des demandes nouvelles en matière
de pratiques religieuses sont progressivement apparues au cours des quarante dernières
années.
Dans le même temps, le processus de sécularisation de la société française s’est étendu,
ce qui peut expliquer que beaucoup de nos compatriotes pensent à tort que la règle de
neutralité s’applique à tous les individus et à l’ensemble de la société.
Plusieurs spécialistes constatent aujourd’hui une montée des revendications exprimées
dans un vocabulaire essentiellement religieux5.
Depuis les conflits liés aux restructurations dans l’industrie automobile, au début des
années 1980, à l’occasion desquels ont été portées par les travailleurs immigrés certaines
revendications en lien avec la pratique religieuse, les choses ont beaucoup évolué. Dans
la période actuelle, les demandes religieuses sur le lieu de travail sont, quelle que soit la
confession considérée, le fait de salariés majoritairement de nationalité française. Elles
s’expriment aussi de manière plus individuelle que collective et sont rarement associées à
des conflits sociaux.
Les données chiffrées disponibles sur les difficultés associées à l’expression religieuse
au travail ne permettent cependant pas de conclure à un phénomène massif. Pour autant,
certains signes tendent à montrer une hausse des situations problématiques. Le ressenti des
managers va en tout cas dans ce sens.
Comme le montre une étude conduite en 2012-2013 par l’Observatoire du fait religieux
en entreprise (OFRE) et l’Institut Randstad, 28 % des managers RH interrogés ont déjà été
confrontés à des questions liées au fait religieux dans l’entreprise. On constate cependant
une forte hétérogénéité géographique des réponses en fonction du degré d’urbanisation : si
5 Auditions de Gilles Kepel et d’Isabelle Barth devant la section du travail et de l’emploi du CESE, le 22 mai et le 10
juillet 2013.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  11

plus de 40 % des responsables RH d’Ile-de-France disent connaître des problèmes liés au fait
religieux, ce n’est le cas que pour moins de 5 % de ceux travaillant en Bretagne.
Il apparaît aussi qu’une grande partie de ces difficultés trouvent actuellement une
solution dans l’entreprise car seulement 6 % des cas conduiraient à un blocage susceptible
de mettre en cause le déroulement normal de l’activité ou la relation de travail et d’aboutir
à un contentieux.
Un sondage réalisé par l’IFOP en 2008, auprès de 393 entreprises, dessinait déjà cette
tendance. Un tiers d’entre elles se sentaient concernées par la problématique du fait religieux
au travail et selon les entretiens avec leur DRH, 37 % des entreprises de l’échantillon, basées
en Ile-de-France, étaient concernées par une augmentation des revendications religieuses.
Une étude réalisée en 2010, à la demande du Haut Conseil à l’intégration (HCI),
soulignait que la progression de ce type de revendications, d’abord identifiée dans les
grandes entreprises tendaient à gagner les structures de moins de 50 salariés6.
Au total, la situation au regard du fait religieux dans les entreprises apparaît plutôt
nuancée. Il n’existe certes pas de raz-de-marée de revendications ou de pratiques religieuses
qui seraient à même d’entraver à grande échelle l’activité des entreprises ou de mettre à mal
les collectifs de travail. Néanmoins, les DRH sont, nous l’avons vu, nombreux à considérer
qu’il s’agit d’une question émergente. Par ailleurs, même si les conflits ouverts demeurent
rares et si les acteurs concernés s’efforcent de régler les situations par la discussion, cela ne
signifie pas qu’il n’y ait pas une forte demande de droit. Des juristes d’entreprise disent être
souvent sollicités sur le sujet sans que ces consultations ne débouchent sur des actions en
justice.

Diversité des requêtes religieuses : signes, repas,
lieux de prières…
Sur le lieu de travail, les requêtes et les manières d’agir en relation avec des règles et
des pratiques religieuses peuvent être de différents ordres. Les demandes peuvent porter
sur la prise de congés en fonction d’un calendrier liturgique, sur la mise à disposition
voire l’aménagement d’espaces pour l’accomplissement des rites, sur les modalités à
mettre en place pour permettre le respect d’interdits et de prescriptions alimentaires. Les
comportements peuvent porter sur la pratique du jeûne, être en relation avec un objectif
de diffusion de la religion ou avec le fait d’arborer des symboles ou d’adopter un code
vestimentaire en rapport avec sa confession. Enfin, de manière très problématique, ils
peuvent porter sur les relations que le croyant pense devoir entretenir avec ses collègues en
raison de ce qu’ils sont (hommes ou femmes, adeptes d’une autre religion, non pratiquants,
incroyants).
Dans la plupart de ces situations, des solutions satisfaisantes pour les salariés et
respectueuses du fonctionnement de l’entreprise peuvent être trouvées. La question des
fêtes religieuses ne semble pas poser de grandes difficultés. Le salarié n’a pas à motiver
sa demande de congés et l’employeur, s’il n’a pas à connaître le motif de l’absence, pourra
intégrer dans sa gestion de personnel des dates qui peuvent être sensibles pour une partie
du personnel. La question des interdits alimentaires est le plus souvent réglée, pour ce qui
6 AL Conseil, Entreprise et religion : état des lieux, problématiques et acteurs, décembre 2010, mise à jour avril 2011.
12  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

concerne la restauration collective, par une offre suffisamment diversifiée pour couvrir
l’ensemble des choix des consommateurs.
La pratique du jeûne est physiquement contraignante et peut nécessiter certains
aménagements temporaires de l’organisation du travail afin de prévenir d’éventuels
problèmes en matière de santé et de sécurité. La plupart des entreprises concernées
semblent gérer convenablement ce type de situation. Les petites entreprises qui disposent
d’un personnel peu nombreux peuvent cependant éprouver de plus grandes difficultés
selon la nature de leur activité, d’autant plus lorsque cette activité se prête difficilement à
l’assouplissement des horaires de travail.
Les demandes de lieux de culte collectifs semblent très peu fréquentes et reçoivent
rarement une suite favorable. Elles n’ont de sens que dans des secteurs bien précis, avec
une présence prolongée des salariés sur le site. La véritable question est plutôt celle de
l’utilisation d’un lieu professionnel pour qu’un salarié puisse s’isoler le temps de la prière.
Sur ce terrain, des solutions sont très souvent trouvées lorsque les locaux et l’organisation
des entreprises le permettent.
Le port de symboles religieux ou de certains vêtements (principalement le voile de tête
pour les femmes) constitue dans certains secteurs professionnels une source de conflits
potentiels. Le problème réside, nous l’avons vu, dans la manière dont ces signes peuvent
être reçus par la clientèle ou les usagers.
Les comportements prosélytes sont sans doute les plus difficiles à appréhender et
peuvent générer des tensions particulièrement fortes sur les lieux de travail. En effet, s’il
est compréhensible qu’un croyant ne puisse envisager de laisser sa foi (et donc son être
profond) au vestiaire de l’entreprise lorsqu’il y arrive le matin, il reste que des comportements
ouvertement et exagérément prosélytes peuvent être extrêmement perturbants. Ils
constituent une pression susceptible de mettre à mal la liberté de conscience et d’expression
d’autres salariés et sont à ce titre sanctionnés par le juge. Dans ce domaine, tout est une
question de mesure et d’équilibre entre sa propre liberté d’expression religieuse et la liberté
d’autrui.
Certains comportements d’ordre socio-religieux relèvent de pratiques rigoristes et
mettent directement en péril les règles et les habitudes de vie au travail et en particulier une
conception de l’égalité dans les relations entre les individus. Dans ce type de situations, c’est
généralement la relation entre les personnes de sexe (ou de genre) différent qui se trouve
mise en cause : une réserve affichée et exagérée d’un homme vis-à-vis de ses collègues
féminines, le refus d’obéir à son supérieur hiérarchique au motif qu’il s’agit d’une femme
ou, inversement, le refus d’une femme d’assumer des responsabilités qui la conduiraient
à diriger des hommes. De tels comportements doivent, en principe, être sanctionnés, soit
parce qu’ils sont constitutifs d’une discrimination, soit au titre de la non exécution du
contrat de travail. Il est clair cependant que le refus d’une promotion à un poste comportant
des responsabilités par une salariée, pour un motif religieux, échappe à toute régulation
normative.
Il est parfois difficile, pour les cadres de l’entreprise, de faire apparaître au grand jour
et d’objectiver les tensions entre les salariés qui résultent de comportements outrés et qui
mettent directement en cause les règles de vie commune et la cohésion sociale sur le lieu de
travail. Ceux qui en sont victimes hésitent souvent à en parler7.
7 Audition de Pascal Bernard devant la section du travail et de l’emploi, le 19 juin 2013.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  13

Des réponses adaptées
Confrontées à un phénomène diffus, des entreprises sont, depuis plusieurs années, à
la recherche d’informations et de solutions. Elles se sont ouvertement interrogées sur les
pratiques religieuses au travail, ce dont témoigne l’émergence de documents internes,
généralement sous forme de « guides » ou « repères » afin d’aider les managers et
responsables RH à traiter les demandes à caractère religieux émanant de leurs salariés ou à
trancher certaines situations.
L’objectif est à chaque fois le même : ne pas laisser l’encadrement de proximité se
« débrouiller » seul ou « bricoler » des solutions à partir de sa propre perception et de ses
propres représentations. La maîtrise du risque est en effet importante pour l’entreprise
qui doit veiller à ce qu’aucune discrimination ne puisse survenir, notamment en raison
des convictions religieuses. Un sentiment d’injustice et des tensions internes peuvent
également se manifester lorsque l’exercice de pratiques religieuses au sein de l’entreprise
n’est pas régulé correctement.
Dans l’entreprise publique de production et de distribution d’électricité EDF, la direction
des ressources humaines a d’abord lancé, dès 2008, une étude qui a permis de mieux
identifier les pratiques et demandes de salariés en lien avec leurs convictions religieuses. Afin
d’éviter des réactions subjectives, des solutions ignorant le droit ou génératrices de tensions
sociales, l’entreprise a réalisé, avec, un appui extérieur, un guide intitulé « Repères sur le fait
religieux dans l’entreprise à l’usage des managers et des responsables RH ». Son élaboration
a fait l’objet d’échanges avec les responsables de différents secteurs de l’entreprise afin de
vérifier leurs attentes et a été présenté aux organisations syndicales.
Le groupe de grande distribution alimentaire Casino a, quant à lui, élaboré un guide
pour répondre aux interrogations des managers sur l’application concrète des notions de
laïcité, de liberté religieuse et de non-discrimination, alors que, dans les établissements du
groupe, les équipes sont souvent multiculturelles. Elaboré comme un outil pragmatique
d’aide à la décision, ce guide apporte des informations claires sur le cadre légal en matière de
non discrimination religieuse, définit les pratiques de l’entreprise et la position managériale
du groupe. Posant un cadre de référence, ce guide est né d’une consultation interne au
groupe à laquelle ont participé les organisations syndicales. Deux juristes, l’un spécialiste du
droit social, l’autre des libertés publiques, ont collaboré à son élaboration qui a également
fait l’objet d’une approbation de la Halde puis du Défenseur des droits.
IBM, entreprise largement internationale, a également élaboré un guide spécifique
pour la France apportant une aide pratique et un référentiel aux managers faisant face à
des revendications ou situations à caractère religieux. Ce document comporte aussi un
rappel et une explication des règles de droits applicables. Il aborde un certain nombre de
cas concrets à partir d’une grille de lecture élaborée sur la base de critères dégagés par la
Halde et institue une démarche générique pour le traitement des demandes qui permet au
manager de s’abstraire de leur caractère religieux.
Dans le champ associatif, la Ligue de l’enseignement s’est efforcée, par la production
d’un guide dépourvu de caractère contraignant pour ses collaborateurs, de poser, dans les
centres de vacances, des règles de vie et de travail en commun respectueuses des libertés de
tous et conformes à l’intérêt général placé au cœur de l’activité de l’association.

14  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Ces démarches pragmatiques et largement préventives sont à notre connaissance
limitées à quelques grands groupes en capacité de mobiliser les compétences et les moyens
correspondants, ce qui est évidemment hors de portée d’entreprises de petite taille.
Une évolution récente qui concerne les grandes et moyennes entreprises a été signalée
à plusieurs reprises lors des auditions réalisées par la section du travail et de l’emploi : le
fait religieux est de plus en plus fréquemment abordé ouvertement et collectivement par
le biais du thème de la diversité. Beaucoup d’entreprises postulent au label diversité qui a
le mérite d’être attribué par une commission dans laquelle siègent les partenaires sociaux.
L’obtention de ce label exige que les entreprises négocient effectivement sur la diversité.
Dans ce contexte, la question religieuse est entrée assez récemment dans le champ de la
négociation. Elle est de plus en plus souvent prise en compte dans les accords sur la diversité.

Des difficultés qu’il ne faut pas sous-estimer
La méconnaissance des règles applicables dans l’entreprise
en matière de liberté religieuse
Le droit de la liberté religieuse est, nous l’avons vu, en dépit de sa cohérence,
relativement complexe et la plupart de nos concitoyens en ont une connaissance très
imparfaite susceptible de déboucher sur des interprétations totalement erronées. Ainsi, le
principe selon lequel la laïcité n’est pas opposable aux employeurs privés est relativement
méconnu des acteurs eux-mêmes. Des responsables RH de grandes entreprises, que la
section a rencontrés, ont indiqué combien ils avaient été frappés de constater, lors de la
mise en place de leur projet sur la diversité et la gestion du fait religieux, que l’ignorance du
cadre légal applicable, était répandue jusqu’au plus haut niveau du management.
De même « l’espace social » que constitue l’entreprise est davantage perçu (à tort au plan
juridique) comme un espace « public » que comme un espace privé dans lequel beaucoup
considèrent que la liberté religieuse devrait être confinée. Certains auteurs mettent en avant
une topologie qui serait propre à la France, situant l’ordre économique (de l’entreprise, du
travail) dans l’espace public et l’ordre religieux dans l’espace privé. Ces auteurs considèrent
qu’il s’agit d’une conception plus idéologique que rationnelle puisqu’une religion est
d’abord, essentiellement, un fait collectif dont les rituels ont une dimension publique et
dont les valeurs s’incarnent dans la vie collective. Le travail et la religion coexistent en fait
dans l’espace social ou civil qui est aussi celui de la production8.

Des stratégies d’entreprises très différentes :
du déni à la complaisance
Face à des demandes confessionnelles et alors même qu’ils sont naturellement tenus
à une observation vigilante du principe de non discrimination, les employeurs peuvent se
trouver dans une situation assez inconfortable. D’une part, dans leur gestion du personnel, ils
sont théoriquement astreints à une certaine neutralité puisqu’ils ne doivent pas légalement
tenir compte de la religion de leurs employés. D’autre part, des demandes inspirées par la

8 Pierre-Yves Gomez in Management et religion, ouvrage coordonné par Isabelle Barth. Editions EMS, 2012
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  15

religion leur sont adressées et, lorsqu’elles ne sont pas prises en compte, peuvent donner
lieu à des plaintes pour discrimination directe ou indirecte.
Le droit du contrat de travail permet, en principe, d’appréhender au mieux ces situations
mais cela suppose des connaissances précises et une expérience poussée de la pratique
juridique.
Dans les faits, nombre d’entreprises paraissent hésitantes quant à la marche à suivre
et sont tentées d’opter pour la solution en apparence la plus simple : selon les cas, déni
des situations et refus systématique de les prendre en compte ou au contraire, très grande
complaisance. Mais ce type de choix peut se révéler juridiquement infondé et même tout-àfait déraisonnable quant à ses conséquences.
Une étude conduite sur la base d’entretiens avec des managers effectués entre 2008
et 2010, a dégagé trois types d’attitudes managériales vis-à-vis du fait religieux : le déni,
l’acceptation sans condition et la gestion au cas par cas via des accommodements dits
raisonnables. Pour les auteurs de l’étude, aucune de ces pratiques n’est appropriée9.
Les dirigeants d’entreprise qui sont dans le déni du phénomène s’efforceraient en fait de
tenir à distance le fait religieux. Ils justifient souvent leur attitude par le devoir de neutralité
de l’employeur vis-à-vis des convictions et des choix personnels des salariés. Dans les faits,
l’attitude de déni peut se traduire par le refus systématique d’instruire toute demande
motivée par l’adhésion à une croyance. On retrouve là la conception erronée mais répandue
d’un espace social excluant toute expression des convictions et des adhésions personnelles
qui devraient être reléguées dans la sphère privée. Le plus souvent, le déni se traduit par le
refus de voir et, dans les entreprises d’une certaine taille, conduit à reporter sur les managers
de proximité l’intégralité de la gestion de ces questions, à charge pour eux de ne rien faire
remonter vers les niveaux de décisions supérieurs. La négation des problèmes par le chef
d’entreprise empêche aussi l’énonciation de règles claires sur ce qui est permis et sur ce qui
ne l’est pas, ce qui risque d’alimenter l’inquiétude voire la frustration des salariés.
La deuxième attitude est totalement inverse puisqu’elle se résume à l’acceptation de
toutes les demandes en lien avec la croyance religieuse. Des entreprises de main-d’œuvre
qui ont un recrutement « culturellement » assez homogène, peuvent ainsi être tentées de
ménager une certaine paix sociale en laissant à peu près tout faire sur le terrain religieux.
Cette option présente le risque majeur d’avaliser des pratiques illégales ou qui pour le
moins iraient à l’encontre de la sociabilité courante, comme par exemple favoriser les
regroupements communautaires à la cantine ou laisser se développer des comportements
discriminatoires à l’égard des femmes. De telles dérives peuvent aller jusqu’à modeler
l’organisation du travail comme dans cette entreprise employant surtout des femmes mais
où une règle tacite réserve aux seuls hommes les postes d’encadrement technique.
La troisième attitude est celle de la gestion des situations au cas par cas sans véritable
ligne directrice. Dans ces conditions, le fait religieux est appréhendé à travers une succession
de compromis individuels. Là encore, la cohésion sociale risque de se trouver mise à mal,
dans la mesure où les salariés se trouvent traités selon des règles sans cesse réinventées. La
majorité silencieuse, de ceux qui n’ont pas de demande spécifique, risque d’avoir à supporter
les conséquences, en termes d’organisation du travail, de tous les accommodements.
9 Géraldine Galindi et Hedia Zannad, Quelques clés pour mieux gérer le fait religieux dans les entreprises. in
Management et religions, ouvrage coordonné par Isabelle Barth, 2012. Audition de Isabelle Barth devant la
section du travail et de l’emploi, le 10 juillet 2013.
16  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Nombre d’acteurs et d’observateurs de l’entreprise mettent aujourd’hui l’accent sur
l’importance d’intégrer, dans la démarche managériale, des principes opposables dont le
fondement est évidemment le cadre fourni par la loi et la jurisprudence pour, seulement
dans un second temps, poser les pratiques qui permettront l’examen des demandes des
salariés et la recherche d’accommodements. Le bon fonctionnement du service et l’égalité
de traitement entre les salariés doivent être les principes de base de la gestion humaine des
entreprises, appuyés sur des règles de droit.

Des managers insuffisamment formés à la prise en compte
du fait religieux ?
Il a été dit précédemment que les règles juridiques applicables en matière de religion
dans l’entreprise échappaient encore souvent à ceux qui sont en charge de les appliquer. La
situation est certainement en train d’évoluer positivement, comme le montre les pratiques
innovantes et très abouties de certaines grandes entreprises, mais la prise de conscience est
loin d’être générale.
L’enjeu pour les entreprises et les managers est considérable car comme le constatait,
il y a quelques années, Jean-Christophe Sciberras, les entreprises ne sont pas préparées à
l’affirmation juridique croissante du fait religieux en raison même de son caractère le plus
souvent latent. « Pourtant (écrit-il) lorsque le fait religieux surgit au travail, le choc est brutal »10.
Les plus exposés sont les managers de proximité. Laissés seuls, sans repères et sans
formation, ils sont encore trop souvent dans l’impossibilité de comprendre et d’anticiper les
situations ; d’où la brutalité du choc. Le déficit de compétences est souvent juridique mais
il est aussi culturel. Il n’est pas rare que des cadres d’un niveau de compétences techniques
très élevé soient largement dépourvus de repères pour appréhender la religion de l’autre.
Agir dans la société plurielle qui est la nôtre exige aussi un bagage de connaissances d’ordre
historique, sociologique, géographique.

Recommandations
L’avis du CESE intervient dans un contexte législatif et juridique particulier. En effet,
plusieurs propositions de loi ont été déposées sur ce thème dans la période récente sans
aboutissement à ce jour. Une résolution a été adoptée par l’Assemblée nationale le 31 mai
2011 (résolution n° 672). Le Président de la République a consulté l’Observatoire de la laïcité,
récemment constitué, en particulier sur les difficultés rencontrées par les structures de la
petite enfance. Ce dernier a rendu deux avis le 15 octobre 2013. Par ailleurs, la Cour d’appel
de Paris devant laquelle l’affaire Baby Loup a été renvoyée, devrait rendre son jugement
à la fin du mois de novembre 2013. Ainsi, le positionnement du Conseil, notamment sur
l’opportunité ou non d’une intervention législative, aura une résonance particulière eu
égard à ces éléments de contexte.
La laïcité est un principe d’organisation de l’Etat qui implique la neutralité de ceux qui le
servent. Son objet est d’assurer l’impartialité de la puissance publique afin que soit garanti
le respect de la liberté de conscience et de religion dans la société. Le CESE rejette toute
10 Jean-Christophe Sciberras, DRH France et des relations sociales Monde Rhodia, Travail et religion dans
l’entreprise : une cohabitation sous tension. Droit social, n° 1, janvier 2010, p. 72.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  17

interprétation du principe de laïcité qui tendrait à restreindre une liberté fondamentale.
Il estime nécessaire de rappeler les règles de droit et il recommande de ne pas ignorer
les interrogations soulevées par la distinction faite entre mission de service public et
mission d’intérêt général. Il propose des réponses culturelles et managériales diversifiées
en vue de permettre à l’entreprise de gérer la diversité religieuse dans le respect de la
non-discrimination et des libertés fondamentales. Il recommande également d’éclairer les
salariés sur leurs droits et leurs limites.

Pour une meilleure lisibilité du cadre juridique
de la liberté religieuse dans l’entreprise
L’accès des employeurs et des salariés au droit applicable en matière de liberté religieuse
sur le lieu de travail doit être facilité afin d’éviter des malentendus et des conflits, souvent
dus à la méconnaissance et à l’interprétation erronée des règles en vigueur.
Recommandation n° 1
Mieux faire connaitre les règles de droit
La construction juridique qui pose les conditions d’exercice de la liberté religieuse dans
l’entreprise est d’une grande cohérence mais elle est également complexe et d’appropriation
difficile. En dépit de débats nourris et passionnés sur le sujet, parfois fortement médiatisés,
beaucoup de nos contemporains ignorent où commence et où s’arrête le principe de laïcité,
ce que représente la liberté fondamentale de religion, et ce que ces notions recouvrent en
droit.
Le droit de la liberté religieuse au travail est complexe parce qu’il s’est construit à partir
de nombreuses sources : de grandes lois républicaines, des conventions internationales, une
directive européenne transposée dans le droit interne et enfin, une abondante jurisprudence.
Sur les lieux de travail, l’équilibre juridique subtil entre le droit à l’expression religieuse et les
restrictions légitimes qui peuvent y être apportés, ne se laisse pas saisir aisément.
Pourtant, lorsque des tensions se font jour dans l’entreprise autour du fait religieux, le
retour à la règle de droit est indispensable pour éviter que les acteurs - employeurs, salariés
et leurs représentants - ne s’engagent dans des rapports de force sur le seul fondement de
leur inclination, de leurs croyances ou de leurs convictions.
y C’est pourquoi, dans un souci de clarté, le CESE recommande que les règles de droits
applicables (loi et jurisprudence) soient rappelées par la voie d’une circulaire de la
Direction générale du travail (DGT) et déclinées sous forme de fiches techniques.
Cette circulaire permettrait, en premier lieu, de sensibiliser les services extérieurs de
l’Etat placés au contact des entreprises à un aspect des relations de travail qu’ils ont jusqu’à
présent peu traité. En second lieu, l’essentiel du contenu de la circulaire pourrait être décliné
et explicité, sous forme de fiches techniques d’information, sur le site du ministère du travail.
Recommandation n° 2
Diffuser le calendrier des fêtes religieuses des différentes confessions

18  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Deux évolutions majeures méritent d’être rappelées :
– les entreprises sont le reflet de la société française qui s’affirme, dans sa
composition, de plus en plus diverse ;
– dans une société moderne, la reconnaissance des salariés pour ce qu’ils sont en
tant que personnes devient une nécessité pour les entreprises dans leur gestion
des ressources humaines. Epanouissement personnel et épanouissement
professionnel sont très souvent liés.
Aujourd’hui, la recherche d’une bonne organisation du temps de travail, dans le respect
des dispositions du Code du travail, correspond au souci de composer, selon des modalités
diverses, avec les autres temps familiaux et sociaux.
y Le CESE considère, dans ces conditions, que les chefs d’entreprise et les DRH
doivent pouvoir anticiper les demandes d’absence pour motif religieux de
leurs salariés. Le calendrier des fêtes religieuses des différentes confessions devrait
leur être communiqué chaque année, de façon officielle, afin que les demandes de
congés correspondantes puissent être instruites dans les meilleures conditions. Il ne
s’agit pas ici de créer un droit nouveau.
Il est d’ailleurs utile de rappeler que selon la Haute autorité de lutte contre les
discriminations (HALDE), l’employeur doit « justifier, par des éléments objectifs étrangers
à toute discrimination, le refus d’accorder une autorisation d’absence pour fête religieuse »
(Délibération Halde n° 2007-301, 13 novembre 2007 ; Délib. Halde n° 2009-117 du 6 avril
2009.)
Il convient de souligner qu’une telle pratique, qui relève simplement de la bonne
gestion, est déjà formalisée dans la Fonction publique où, depuis une circulaire
du 23 septembre 1967, renouvelée chaque année par le ministre de la Fonction publique,
les dates des principales cérémonies propres aux différentes confessions religieuses sont
communiquées à l’ensemble des ministères et établissements publics, à charge pour eux de
répercuter cette information auprès des chefs de service.
Ce principe est reconnu par la jurisprudence administrative qui permet aux chefs de
services, en l’absence de textes, d’autoriser des absences à l’occasion des fêtes religieuses
à la condition que ces autorisations soient compatibles avec les nécessités du service
(CE 12 févr. 1997 Mlle H., Droit administratif 1998 n° 248).
y Par souci d’efficacité et afin de toucher le plus grand nombre d’employeurs, le CESE
préconise que, dans le secteur privé, cette information soit transmise chaque année
via les organisations professionnelles.
Recommandation n° 3
Prendre en compte le cas des structures privées des secteurs social, médicosocial
et de la petite enfance : élaborer, par la concertation et dans le respect du cadre
juridique existant, des règles de vie au travail
Des organismes privés exerçant des activités sociales d’intérêt général, parfois en
relation étroite avec des collectivités publiques, n’entrent cependant pas dans le champ du
service public et ne peuvent donc se prévaloir d’une règle de neutralité opposable à leurs
salariés dans la relation à l’usager.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  19

C’est le cas des institutions sociales et médicosociales intervenant auprès - de publics
considérés comme vulnérables et des structures en charge de la petite enfance.
Certaines de ces associations demandent à leurs salariés de respecter, dans leur
comportement, une forme de neutralité qu’elles n’obtiennent pas toujours, ce qui conduit
parfois à les placer dans des situations de grande fragilité juridique comme l’atteste l’affaire
de la crèche Baby Loup.
Le Défenseur des droits a d’ailleurs attiré récemment l’attention des pouvoirs publics
sur l’incertitude soulevées par la distinction entre mission de service public et mission
d’intérêt général au regard de la liberté d’expression religieuse et de la laïcité. Quant à
l’Observatoire de la laïcité, il a, dans son avis du 15 octobre 2013, fait des recommandations
portant spécifiquement sur le cas de la crèche Baby Loup (modification de son règlement
intérieur ou proposition de délégation de service public).
Antérieurement, deux propositions ayant pour objet de fonder juridiquement
l’application du principe de neutralité à ces activités avaient été avancées.
La première de ces propositions visait une extension de la règle de neutralité par la voie
législative. Dans son avis du 1er septembre 2011 sur L’expression religieuse et la laïcité dans
l’entreprise, le HCI suggérait :
« Le principe de laïcité régissant les services publics doit être étendu aux structures privées
des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance chargées d’une mission de service
public ou d’intérêt général, hors le cas des aumôneries et des structures présentant un caractère
propre d’inspiration confessionnelle. »
Bien que les « structures présentant un caractère propre d’inspiration confessionnelle »
soient tenues hors du champ, cette proposition est d’une portée très générale susceptible,
au regard du droit, de porter atteinte aux libertés dans tout un secteur d’activité et de
contrevenir aux engagements européens et internationaux de la France en ce domaine.
La seconde proposition faite par des juristes et des spécialistes du fait religieux
envisageait une solution plus libérale fondée sur le choix des organismes et des usagers.
Ainsi, des associations agissant dans le domaine de l’aide aux personnes pourraient
revendiquer le statut d’entreprise de tendance, y compris sur la base d’une orientation
philosophique agnostique ou athée. Toutefois, la perspective d’une telle reconnaissance,
par la voie jurisprudentielle, se heurte aujourd’hui à la clause de « standstill » (ou de gel)
contenue dans la directive européenne du 27 novembre 2000. Dans ces conditions, la
création de nouvelles entreprises de tendance est juridiquement impraticable.
L’une et l’autre de ces propositions rencontrent donc de sérieux obstacles de principe.
y En conséquence, le CESE constate qu’aucune réponse de nature juridique adaptée
n’a été trouvée à ce jour pour résoudre cette importante question qui touche aux
frontières de la laïcité et de la liberté religieuse.
y Le CESE considère néanmoins que les difficultés rencontrées par des associations
dans la conduite de projets associatifs d’intérêt général ne peuvent être ignorées.
Il tient à rappeler que de nombreux organismes privés œuvrent pour le bien commun et
poursuivent une mission d’intérêt général en développant des projets dont le but consiste
à « faire société ». Ces initiatives privées concourant à l’intérêt général se développent en
dehors du service public auquel elles ne souhaitent pas nécessairement être intégrées.
20  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

y Le CESE estime que ces structures privées doivent se doter de moyens de régulation
interne nécessaires à la conduite de projets fondés sur la volonté de tisser du lien
social dans le respect de toutes les différences.
y Dans une perspective plus large, le CESE propose que, sans recourir à la loi, les
branches traitant de la situation des publics vulnérables soient invitées à s’impliquer,
à l’occasion de négociations de branches sur la promotion de l’égalité et de la
diversité, dans la rédaction de guides pratiques à l’instar de ceux existant dans
certaines entreprises, afin de fournir un cadre partagé aux relations de travail dans
les entreprises de ces branches.
Recommandation n° 4
Renforcer la mission de médiation et d’accompagnement du Défenseur des droits en
matière de lutte contre les discriminations y compris les discriminations religieuses
Le Défenseur des droits a hérité des compétences de la Halde. Il intervient donc en
procédure de « règlement amiable » suite aux réclamations au motif de discriminations
dans l’emploi qui lui sont adressées. Cette procédure qui se rapproche d’une médiation est
principalement mise en œuvre par les délégués territoriaux du Défenseur.
Dans ce cadre, l’institution peut avoir à traiter des situations mettant en cause l’exercice
de la liberté religieuse dans l’entreprise. Cette possibilité de recours au Défenseur des droits
reste cependant très mal connue du public ce qui peut expliquer le nombre de cas assez
limité qui lui sont soumis.
y Le CESE suggère aux pouvoirs publics de communiquer largement sur cette voie
non contentieuse de règlement de ce type de conflits individuels dans les situations
de travail.

Pour une mobilisation des acteurs
Des outils institutionnels qui existent dans le monde du travail peuvent être mobilisés
par les partenaires sociaux pour mieux appréhender les situations en lien avec les convictions
et l’expression religieuse.
Recommandation n° 5
Utiliser toutes les possibilités offertes par le dialogue social
y Le CESE recommande que les institutions représentatives du personnel (IRP)
prennent toute leur place dans la régulation de la liberté religieuse sur les lieux de
travail.
Les IRP sont en effet dotées de compétences qui peuvent être mises à profit pour
prévenir et traiter les difficultés en lien avec l’expression et la pratique religieuses au travail.
Les délégués du personnel dans les entreprises et les établissements dont l’effectif
dépasse dix salariés, le comité d’entreprise et le CHSCT dans ceux comptant cinquante
salariés et plus, disposent chacun d’attributions spécifiques leur permettant d’intervenir,
dans le cadre de leurs missions respectives, sur des situations d’atteinte aux droits des
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  21

personnes, de discrimination et de tension sur le lieu de travail en lien avec l’appartenance
ou la pratique religieuse.
y Le CESE considère que le dialogue social, dans ses formes actuelles, devrait permettre
de prévenir et de traiter, dans un état d’esprit constructif, la plupart des difficultés qui
peuvent survenir du fait de l’expression des convictions et de l’accomplissement de
rites religieux sur le lieu de travail.
y Il estime cependant essentiel que les employeurs et les salariés appelés à siéger
dans les instances représentatives soient conscients de cet aspect relativement
nouveau du fait religieux dans les relations professionnelles. Ceci pose évidemment
la question de leur sensibilisation et de leur formation.
y Après avoir constaté les complications d’ordre juridique qui peuvent résulter de la
rédaction de dispositions du règlement intérieur visant à réguler l’exercice de droits
et libertés dans l’entreprise, le CESE invite les partenaires sociaux dans l’entreprise à
faire de l’élaboration des dispositions les plus sensibles du règlement intérieur un
objet de dialogue social. Une élaboration concertée procurerait une adhésion plus
large à ces règles communes et limiterait l’incertitude associée au risque d’éventuels
recours judiciaires.
Recommandation n° 6
Former les managers et les représentants des salariés à la question du fait religieux
dans l’entreprise
De grandes entreprises ont conçu des guides à usage interne s’adressant tout
particulièrement à leurs cadres. Elles se sont ainsi efforcées de fournir des repères d’ordre
sociologique et culturel sur les religions qui font souvent défaut aux managers et surtout de
donner une vision claire du cadre juridique et de la position managériale de l’entreprise ainsi
que des méthodes à mettre en œuvre pour en assurer l’application.
y Le CESE considère qu’il est nécessaire, au-delà de ce type de document
d’information, de mettre désormais l’accent sur des actions de formation continue
qui s’adresseraient prioritairement aux managers de terrain et aux représentants des
salariés.
Quelques grandes entreprises se sont engagées dans des démarches volontaristes de
formation de leurs cadres en privilégiant la gestion de la diversité culturelle et religieuse afin
de renforcer leurs capacités à faire face au risque de discriminer. Elles pourraient constituer
des références en la matière.
y Des formations similaires pourraient également être proposées aux salariés siégeant
dans les IRP pour qu’ils soient en capacité d’animer, en connaissance de cause, le
dialogue social sur le sujet.
Des cursus de formation de l’enseignement supérieur ont commencé à intégrer, en
formation initiale, des modules consacrés à la diversité religieuse dans la société et sur les
lieux de travail. A cet égard, l’école de management de Strasbourg (EMS) semble jouer un
rôle pilote.
y Le CESE souhaite la généralisation d’un enseignement sur le fait religieux dans
l’ensemble des cursus préparant à des fonctions de management.
22  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Recommandation n° 7
Diffuser et mutualiser les bonnes pratiques entre les entreprises
Il convient aussi de diffuser largement et de mutualiser les bonnes pratiques
développées par certaines entreprises et particulièrement les guides et les chartes qu’elles
ont élaborés. Ces documents se révèlent être des outils pertinents d’aide à la décision pour
les petites structures. Le fait d’assurer une visibilité plus grande à ces démarches innovantes
profiterait en effet aux employeurs qui n’ont pas toujours les moyens d’anticiper et d’analyser
les situations en lien avec le fait religieux, ce qui peut les conduire à faire face à de réelles
difficultés.
y Cette diffusion et cette mutualisation pourraient être réalisées à partir d’un site
public d’information officielle qui serait pris en charge soit par le ministère du travail
et de l’emploi, soit par l’observatoire de la laïcité.
Quelques grandes entreprises ont également fait preuve d’audace en favorisant
l’implication d’organisations syndicales sur le sujet.
y Le CESE invite les partenaires sociaux à suivre ces exemples. Il considère qu’aborder
de manière ouverte et préventive la dimension cultuelle de la diversité peut
permettre de lever certains tabous et d’apaiser des tensions qui existent dans le
monde du travail.
y Par ailleurs, le CESE identifie les situations d’autocensure conduisant des femmes à
renoncer, sur le fondement de normes culturelles et religieuses, à être promues et à
faire carrière dans l’entreprise, comme un problème relevant de la promotion et de
l’application de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il demande
que cette question soit donc spécifiquement prise en charge par le dialogue et la
négociation sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui connaissent aujourd’hui
un certain développement. Les rapports de situations comparées, les négociations
obligatoires ou, à défaut, les plans d’action unilatéraux des entreprises doivent être
utilisés pour identifier, analyser et traiter de telles situations.
y L’élaboration, au niveau national, d’une charte de l’expression religieuse dans
l’entreprise pourrait aussi être envisagée.

Conclusion
Dans les entreprises privées - hors missions et délégations de service public - quel que
soit leur objet et leur mode d’organisation, le droit prévoit que la liberté religieuse est la
règle. Elle doit bien sûr composer avec les nécessités du travail, c’est-à-dire le déroulement
normal de l’activité et la bonne exécution du contrat de travail. Cette réalité ne couvre
cependant pas toutes les activités. Elle est en effet encadrée par le principe de laïcité dont
découle l’obligation de neutralité qui s’impose aux agents publics. C’est aux frontières de
ces deux secteurs, privé et public, que les situations sont juridiquement les plus complexes,
comme en témoigne la jurisprudence récente de la Cour de cassation.
Toutefois, la question de l’expression religieuse intéresse aujourd’hui l’ensemble des lieux
de travail quel que soit le statut juridique de l’employeur. Certes, elle ne génère globalement
que peu de contentieux, mais elle constitue une préoccupation du management comme le
montrent plusieurs études récentes.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  23

De grandes entreprises ont cherché ces dernières années à traiter et à anticiper les
difficultés qui pouvaient survenir en ce domaine en sensibilisant leurs cadres et en mettant
en place des outils spécifiques d’aide à la décision. Mais la plupart les acteurs du monde du
travail sont peu préparés à l’affirmation croissante du fait religieux. Il s’agit souvent d’une
double méconnaissance :
– juridique d’abord : si les normes de droits applicables permettent en principe de
traiter convenablement les situations, il reste qu’en raison de l’importance prise
par une jurisprudence complexe, elles sont difficilement accessibles à tous les
acteurs économiques et sociaux ;
– sociologique ensuite : car nombreux sont les employeurs et les salariés qui
ignorent les cultures religieuses en dehors de leur propre conviction. Un tel
état de fait contribue à entretenir les préjugés et peut être à l’origine de graves
incompréhensions et difficultés susceptibles de mettre en jeu la performance
économique et la cohésion sociale de l’entreprise.
C’est pourquoi le CESE a développé l’essentiel de ses recommandations autour de la
nécessité d’informer et de former à la fois sur les situations et les règles de droit.
En l’état actuel de la question (le fait religieux est loin de perturber massivement les
relations de travail), le CESE estime que l’intervention du législateur n’est pas nécessaire
aujourd’hui. Il a donc privilégié des recommandations concrètes, préventives, principalement
tournées vers les employeurs et les salariés et utilisant les moyens du dialogue social. In fine,
le CESE appelle les pouvoirs publics à contribuer à améliorer la situation par le rappel et
l’explication du droit de la liberté d’expression sur le lieu de travail.

24  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Déclaration des groupes
Artisanat et Agriculture
La diversité culturelle qui caractérise notre société s’exprime également sur les lieux de
travail.
Ainsi, des entreprises sont confrontées à des demandes de salariés, en lien avec des
convictions ou pratiques religieuses.
Comment y répondre en conciliant le respect des libertés individuelles avec le bon
fonctionnement de l’entreprise ?
L’avis apporte un éclairage à la fois pédagogique et constructif sur la question.
Il dresse tout d’abord un état des lieux objectif et concret sur la nature des requêtes
religieuses et sur la façon dont les entreprises les gèrent.
Deux principales constatations en résultent. D’une part, le cadre juridique applicable
est méconnu, tant du côté de la direction de l’entreprise que des salariés. D’autre part, les
solutions apportées sont souvent inadaptées, allant du déni à la gestion au cas par cas, sans
véritable ligne directrice.
L’avis montre pourtant que les demandes religieuses progressent, y compris dans les
PME.
Or, faute d’un cadre clair pour y répondre, c’est le bon fonctionnement de l’entreprise
qui peut être compromis, dès lors que l’organisation du travail ou la cohésion entre salariés
est fragilisée.
L’avis propose des pistes, afin de faciliter la gestion de ces revendications religieuses.
Rendre le cadre juridique applicable plus lisible est la nécessité première.
Entre les règles sur le respect de la liberté religieuse régissant les entreprises privées,
et celles permettant à l’employeur d’y apporter des restrictions, le dispositif juridique est
complexe et difficile d’appropriation.
Il est donc souhaitable qu’une mise au point soit faite, par circulaire ministérielle, sur
l’ensemble du droit applicable, en incluant les positions jurisprudentielles.
Au-delà du cadre juridique, la grande variété des situations liées à la nature des activités
de l’entreprise et à son organisation, justifie également une meilleure sensibilisation des
acteurs, dirigeants comme salariés.
À cet égard, l’avis recommande de donner plus de visibilité aux guides ou chartes
élaborées par certaines grandes entreprises.
La diffusion de telles méthodes peut, en effet, favoriser leur mutualisation et fournir un
cadre opérationnel susceptible d’aider des petites et moyennes entreprises.
Si nous partageons les objectifs de mieux sensibiliser et informer sur le fait religieux
en entreprise, comme d’en faciliter la gestion, nous considérons en revanche qu’il ne faut
pas faire de cette question une priorité, au risque de favoriser la montée de revendications
religieuses sur le lieu de travail.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  25

C’est ainsi que nous sommes très réservés sur l’opportunité de certaines propositions
de l’avis, qu’il s’agisse d’appeler les représentants du personnel à participer à la « régulation
de la liberté religieuse », ou encore de diffuser chaque année le calendrier de toutes les fêtes
liturgiques pour anticiper d’éventuelles demandes de congés.
Pour autant, l’avis présente le mérite d’aborder sans tabou un sujet complexe et délicat.
Surtout, il formule des propositions s’inscrivant dans une logique préventive, ce que nous
approuvons.
Par conséquent, les groupes de l’artisanat et de l’agriculture ont voté cet avis.

Associations
L’avis présenté aujourd’hui intervient dans une actualité politique et judiciaire chargée.
Outre les propositions de loi ainsi que les avis récents rendus par l’Observatoire de la laïcité
et la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, la Cour d’appel de Paris
tranchera sur l’affaire Baby Loup le 27 novembre prochain. Le sujet du fait religieux au travail
s’inscrit dans un contexte marqué par les récentes évolutions migratoires dans la société
française. La diversité culturelle qui en résulte se manifeste aujourd’hui avec acuité dans le
champ des convictions et des pratiques religieuses.
Notre diversité est d’autant plus riche qu’elle se situe dans un climat social apaisé où les
libertés fondamentales de tous sont en mesure de s’exprimer. La laïcité représente le ciment
de notre nation sur le plan religieux. En tant que principe suprême d’organisation politique,
elle permet la cohabitation de toutes les religions dans le respect et la tolérance mutuels.
Elle rappelle ainsi que l’égalité de traitement des citoyens induit l’absence de discrimination
comme de favoritisme.
L’avis relève le défi de concilier trois éléments fondamentaux : le respect de la liberté
religieuse, la protection des salariés et usagers contre les abus, le bon fonctionnement
de l’entreprise. Il a le mérite d’expliciter clairement les problématiques et de susciter le
questionnement. Les recommandations sont concrètes et elles permettent aux acteurs
dans l’entreprise de s’emparer du sujet. Le groupe des associations adhère à l’approche
retenue visant à cerner, de façon pragmatique et constructive, la réalité du fait religieux
dans l’entreprise à partir des règles juridiques applicables et des pratiques constatées sur
le terrain.
Rendre accessible et lisible le droit comme les cultures d’autrui est une nécessité pour
lutter contre la méconnaissance, les préjugés et les interprétations erronées. La formation
d’une part, et la diffusion des bonnes pratiques d’autre part, vont dans ce sens. Aussi
partageons-nous la conviction d’une meilleure prévention des conflits par un dialogue
social vivant, où tous les acteurs représentatifs (institutions représentatives du personnel,
délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions
de travail) ont un rôle à jouer.
Ce dialogue peut concerner de la même manière différents types d’acteurs dans un
même champ, en particulier dans les secteurs social, médico-social et de la petite enfance.
À titre d’illustration, pour ce qui concerne l’activité des centres de vacances, la Ligue de
l’enseignement a développé un portail avec de nombreux documents pratiques qui posent
des règles de vie et de travail en commun dans le respect du droit et de ses principes
fondateurs.
26  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Enfin, le groupe des associations tient à rappeler son attachement au maintien d’une
existence propre des activités d’intérêt général en-dehors de la sphère publique. Il partage
le point de vue émis dans l’avis, à savoir que « de nombreux organismes privés œuvrent pour
le bien commun et poursuivent une mission d’intérêt général en réalisant des projets dont
l’objet consiste à faire société ». Les 1 800 000 salariés associatifs, et les 60 000 employés
issus des fondations sont fortement concernés par ce sujet complexe. Pour faire face à tout
acte de prosélytisme, de provocation, d’agression ou de pression dans les associations et
fondations, c’est la mobilisation des acteurs qui doit prévaloir afin d’assurer la cohésion
sociale au service du projet partagé.
Saluant le travail des rapporteures, réalisé avec tact sur un sujet sensible, le groupe des
associations a voté l’avis.

CFDT
Au terme de nos travaux nous voudrions nous féliciter collectivement pour l’écoute et
la sérénité de nos échanges.
Ils nous ont permis de déboucher sur un avis équilibré sur des questions passionnantes
mais trop souvent passionnées. Les auditions de qualité et le temps nécessaire y ont
contribué.
La laïcité dont il est question, est un des piliers de notre modèle républicain et la
condition pour garantir un vivre ensemble harmonieux. La laïcité issue de la loi de 1905 n’est
pas une somme d’interdits, elle est avant tout conçue pour garantir la liberté de conscience.
Elle protège le citoyen dans sa liberté de croire et empêche toute institution religieuse de
faire loi.
La laïcité, c’est l’instrument imposé à l’État pour un traitement égalitaire de tous les
citoyens et habitants, quelle que soit leur croyance. La laïcité, c’est la recherche du respect de
toutes les convictions et pratiques religieuses dans la limite de l’ordre public et de toutes les
libertés. En ce sens, la laïcité produit un modèle du vivre-ensemble où chacun doit respecter
autrui dans son identité citoyenne et dans ses croyances ou convictions (philosophiques,
idéologiques, religieuses, etc.).
Transposer ce raisonnement dans le monde du travail du secteur privé, c’est d’abord
prendre en considération la liberté individuelle dans le cadre du respect de toutes les
libertés.
Cette liberté peut seulement être limitée par la loi, par une atteinte à une autre liberté,
par un impératif de bon fonctionnement de l’entreprise, défini par le Code du travail et
précisé par les jurisprudences.
Cette limitation est d’ailleurs rarement source de problèmes dans les entreprises. En
revanche, l’instrumentalisation qui est faite des rares cas de conflits, donne une impression
d’amplification du phénomène. Sans les sousestimer, ni les ignorer, la CFDT refuse cette
dramatisation qui profite aux postures les plus extrêmes sans apporter de réponses
pérennes.
Pour la CFDT, les principes de reconnaissance et de respect de l’intégrité de la personne,
d’égalité et de non-discrimination doivent servir de base au fonctionnement de l’entreprise.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  27

Le dialogue social soutenu tant par une législation, aujourd’hui adaptée, que par
l’intelligence sociale pratiquée dans certaines entreprises, permettent déjà d’aborder ces
questions.
L’avis propose d’aller encore plus loin, par la dédramatisation, par une meilleure
connaissance de la législation du travail et une sensibilisation aux pratiques religieuses et
à l’histoire de la laïcité en France. Ces recommandations doivent permettre aux partenaires
sociaux, cadres et dirigeants, de se doter d’une plus grande capacité à traiter ces sujets.
C’est pourquoi, en accord avec l’avis, la CFDT est opposée à une intervention législative.
La CFDT a voté l’avis.

CFE-CGC
L’expression de la liberté religieuse dans l’entreprise et, plus généralement, dans le
monde du travail, est une liberté essentielle et fondamentale garantie par la Constitution et
la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Cette liberté fondamentale peut, néanmoins, souffrir des restrictions. C’est le cas,
principalement, dans le secteur public soumis au principe de laïcité. Ce peut également être
le cas dans les entreprises privées en raison des nécessités de l’organisation du travail et de
l’entreprise.
En ce sens, l’avis soumis au Conseil économique, social et environnemental trace des
pistes et soumet plusieurs préconisations à la hauteur des enjeux. Il évite, en particulier,
l’écueil du simple renvoi à une loi qui, en définitive, ne pourrait que très partiellement régler
la multiplicité des situations et leur extrême variété.
Le groupe de la CFE-CGC a donc voté en faveur de cet avis.
Toutefois, compte tenu de la situation spécifique qui peut être celle de l’encadrement
dans les situations liées à l’expression de la liberté religieuse dans l’entreprise et, davantage
encore, dans les situations qui pourraient relever du prosélytisme, le groupe de la CFE-CGC
insiste tout particulièrement sur la sixième recommandation et l’indispensable nécessité de
former l’ensemble de l’encadrement des entreprises, et pas simplement les managers de
proximité. Cette problématique, en développement, de l’expression de la liberté religieuse
dans l’entreprise doit être pleinement appréhendée et intégrée par l’ensemble de la chaîne
hiérarchique de l’entreprise.
Dans le même esprit, le groupe de la CFE-CGC souhaite que la septième préconisation,
relative à la diffusion et à la mutualisation des bonnes pratiques, fasse l’objet d’une prise
en charge très rapide, tant par les pouvoirs publics que par les partenaires sociaux. Cette
mutualisation et cette diffusion peuvent être une source importante de résolution, en
amont, des situations à risques.

CFTC
Pour le groupe de la CFTC, les libertés fondamentales sont indissociables, parmi celles-ci
la liberté religieuse, qui est inscrite dans la Constitution et les textes européens.
La laïcité est au service de cette liberté : elle en garantit l’exercice pour tous, dans la
diversité des convictions. Elle est un moyen essentiel pour assurer cette liberté. C’est la
garantie, sous la responsabilité de l’État, de cette liberté. La laïcité n’est donc pas une fin
mais un moyen, comme l’explicite l’art. 18 de la déclaration universelle des droits de Homme
de 1948.
28  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Les auditions au CNCDH, comme dans la section, ont montré que les mouvements et
églises interrogés, estiment presqu’unanimement, qu’une loi sur la laïcité en entreprise ne
paraît pas opportune et pourrait s’avérer contreproductive par la lecture qui en serait faite.
Notre groupe approuve donc tout à fait l’avis, lorsqu’il fait apparaître que la législation
et la réglementation actuelles pour les entreprises privées donnent déjà les moyens
nécessaires et proportionnés pour garantir ce respect mutuel.
La notion de trouble à l’égard de l’activité de l’entreprise elle-même, ou à l’égard de
ceux qui travaillent, en est un élément d’appréciation. Lorsque la question se pose dans
l’entreprise, elle est traitée par le dialogue et des mesures appropriées, sans suite juridique,
dans l’immense majorité des cas.
Outre des pages supplémentaires dans un Code du travail considéré par certains
comme trop épais, sauf à entrer dans les détails, eux-mêmes sources de complexification
et de contentieux, une nouvelle loi risque de mal répondre à une question qui ne se pose
que rarement. Si on veut, dans une démarche législative, tenir compte de la diversité des
métiers, des situations, cela suppose des lois qui entreront nécessairement dans les détails
et apporteront un risque accru de tensions et de contentieux sur l’interprétation.
L’avis le souligne, la plupart des questions qui peuvent se poser dans une entreprise en
regard de la liberté religieuse peuvent être traitées correctement sans même faire référence
à la dimension religieuse et il est préférable qu’il en soit ainsi. La prise en compte de la
diversité, le respect de l’individu avec ses différences et ses spécificités, doivent être vus
comme un atout de performance pour les entreprises
C’est, pour la CFTC, par la négociation, le dialogue social et les IRP, le dialogue du
management de proximité avec les personnes que les éventuelles demandes exacerbées
peuvent être gérées. En cas de dérive, les tribunaux peuvent trancher.
On peut porter un signe religieux et respecter la neutralité, la liberté de conscience de
l’enfant et les choix éducatifs des parents. À l’inverse, on peut faire du prosélytisme religieux
ou antireligieux sans porter de croix, de foulard ou de kippa.
Notre groupe estime très contestable de vouloir étendre, étape par étape, les
obligations de réserve propres aux services de l’État et des collectivités à des actions privées
d’intérêt général, même subventionnées par les pouvoirs publics, car on substituerait alors
des critères de forme à l’appréciation sur le fond de ce qui est nécessaire et proportionné
aux risques de trouble.
Pour le groupe de la CFTC, cet avis ne se contente pas de poser des questions. Il prend
des positions que la CFTC, et bien d’autres groupes, ne peuvent qu’approuver.
La CFTC a voté favorablement.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  29

CGT
La question du fait religieux dans l’entreprise est un sujet difficile que la section
souhaitait traiter par une résolution. C’est sur décision du Bureau qu’elle fait l’objet d’un avis.
Cette question dépasse largement le cadre professionnel.
Dans la sphère du travail, elle cristallise parfois des tensions quand elle ne fait pas l’objet
d’instrumentalisation. Au motif de la liberté religieuse, s’exprime quelquefois une affirmation
identitaire le plus souvent individuelle, mais parfois collective, qui vise à se soustraire aux
règles communes.
Loin d’être maîtrisée par les acteurs du monde du travail, elle fait souvent l’objet de déni
et appelle des réponses appropriées.
Ignorer l’existence de ces problèmes, ne pas leur apporter de réponses, comporte de
vrais risques pour l’unité du collectif de travail et, au-delà, pour la cohésion sociale. Il en est
ainsi de certaines pressions mentionnées dans l’avis, pressions qui peuvent s’exercer entre
salariés, y compris de sexe différent et à propos desquelles la section aurait pu aller plus loin
en termes de propositions, si ce constat avait été plus largement partagé.
Préoccupée par le respect des libertés fondamentales des salariés (dont la liberté
religieuse) mais également par l’unité de la communauté de travail, la CGT est particulièrement
attentive à ce que la question religieuse ne soit nulle part mise en avant pour tenter d’effacer
la question sociale et la réalité des nombreuses discriminations exercées en raison des
origines, de la patronymie, voire du quartier d’habitation.
Plusieurs pièges guettaient cet avis : le déni, la complaisance, la dramatisation ou la
stigmatisation d’une religion. Il est à mettre au crédit des rapporteures et de la section
d’avoir évité ces écueils. Toutes composantes confondues, cette dernière a su prendre la
hauteur nécessaire pour identifier avec lucidité ces problématiques émergentes.
L’avis souligne, à raison, qu’un équilibre entre la liberté d’expression religieuse et les
autres libertés doit être trouvé, en veillant à ce que les salariés dans leur ensemble n’aient
pas à supporter les conséquences des accommodements réalisés. L’égalité de traitement
entre les salariés doit être un principe de base, appuyé sur les règles de droit existantes.
Il émet sept recommandations que nous soutenons et qui constituent des outils pour
agir.
Elles partent du constat, partagé avec l’Observatoire de la laïcité, que compte tenu de
l’état du droit, l’intervention du législateur à ce stade n’est pas nécessaire. Un important
effort d’information sur ces problématiques et de formation sur les règles de droit est à
développer, parmi les managers et les IRP.
Enfin, la question complexe dans une république laïque, de la frontière entre service
public et missions d’intérêt général assurées par le privé, a légitimement fait l’objet
d’échanges controversés et nourris.
Partageant globalement le dernier avis de la CNCDH, le groupe CGT considère qu’est
fondamentalement en cause ici la démission publique progressive qui s’est opérée dans la
réponse aux besoins sociaux. Se trouve ainsi posée avec force la question de la place et du
rôle du service public dans notre pays et de la relation qu’il entretient avec les acteurs privés
afin que personne ne soit privé d’accès à la neutralité garantie par la laïcité.
Le groupe CGT a voté l’avis.

30  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

CGT-FO
Le groupe Force-ouvrière n’était pas demandeur d’un avis sur le sujet de la religion dans
l’entreprise, considérant que d’autres questions auraient mérité l’attention du Conseil. On
peut citer, notamment, celles des salaires ou du maintien dans l’emploi dans les entreprises,
toutes choses qui retiennent l’attention de toute la population.
Pour autant, FO donne acte aux deux rapporteurs de ce document d’avoir su éviter
les écueils multiples que le traitement d’un tel sujet pouvait entraîner. Il donne acte aussi à
l’ensemble des membres de la section d’un climat de discussion attentif et dépassionné qui
a permis une réflexion sur un sujet pourtant propice aux passions et un texte d’analyse de la
question précis et exhaustif.
Au final, la section du travail et de l’emploi n’a pas choisi de recommander l’option d’une
nouvelle loi relative à la mise en œuvre du principe de laïcité et à la régulation de la liberté
d’expression religieuse dans le domaine de l’entreprise en particulier. Cette position est celle
que FO a déjà eu l’occasion d’exprimer, notamment lors des débats récents sur cette question
au sein de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. L’équilibre juridique
est en effet complet, et demeure de notre point de vue de grandes modernité et efficacité.
Que l’avis insiste à ce sujet sur la nécessité d’une meilleure diffusion de la connaissance des
règles de droit est sans aucun doute nécessaire.
De même, la préconisation, quant au renforcement de la mission de médiation du
Défenseur des droits, nous apparaît utile.
Par contre, pour FO, il ne revient pas au dialogue social, à la négociation de branche ou
du règlement intérieur de l’entreprise de se substituer au législateur pour la définition de la
mise en œuvre de l’ordre public. La plupart des auditions ont démontré qu’il n’y avait pas de
développement de la demande sur le terrain et que beaucoup d’entreprises avaient su réagir
avec pragmatisme face aux difficultés qu’elles avaient pu rencontrer. FO a déjà souligné qu’il
fallait éviter de mettre en cause les équilibres actuels, mais a souligné que cet équilibre
pourrait être fragilisé et soulever question si la situation venait à évoluer sensiblement sur
un plan quantitatif.
La promotion de la mise en œuvre systématique de la régulation de la liberté religieuse
sur les lieux de travail, dans le cadre de solutions négociées, pourrait conduire à des
disparités de traitement telles, entre salariés d’une même entreprise ou d’une entreprise
à une autre, que serait alors opposé immanquablement le principe de nondiscrimination.
Il nous faudrait alors être attentif à ce que le règlement d’une telle situation, si elle venait à
apparaître, ne conduise à l’affaiblissement du principe de laïcité.
Ainsi que notre organisation l’a indiqué lors du débat devant la CNCDH, « l’entreprise
est un lieu de rapports économiques et sociaux. Elle n’a pas à être considérée comme un lieu
d’expression politique, philosophique ou religieuse, au risque de devenir un terrain d’oppositions
de convictions. Elle ne peut, de manière générale, être le lieu de l’organisation de la démocratie, à
fortiori de la République, ni de la citoyenneté ».
Enfin, sur la question du secteur médico-social et des publics fragilisés, FO avait
approuvé aussi le rappel de la CNCDH quant aux solutions possibles, garantissant le principe
de neutralité en s’appuyant sur la nature de la mission exécutée et sur la responsabilité
des pouvoirs publics. FO avait, en particulier, insisté sur le fait que le désengagement du
service public, pour des raisons économiques et de réduction de la dépense publique, au

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  31

demeurant contestable et contesté par FO, ne justifie aucunement que l’autorité publique
se désengage en outre de son obligation d’assurer le respect des principes de laïcité et de
neutralité dans la mise en œuvre de ces activités.
Au final, de nombreux points soulèvent des réserves, voire des oppositions de notre
part. Cependant, le seul fait que cet avis réfute l’opportunité d’une loi nous conduit à nous
abstenir sur l’avis.

Coopération
La question du fait religieux dans l’entreprise a émergé ces derniers mois dans le débat
public, elle fait objet d’une attention médiatico-juridique qui la rend particulièrement
délicate. Notre assemblée s’en est saisie courageusement, et le groupe de la coopération
a apprécié que, sans a priori, la réflexion et les débats aient cheminé selon une approche
pragmatique et raisonnée.
Concernant l’état des lieux tout d’abord. Les données disponibles sur les difficultés
associées à l’expression religieuse au travail ne permettent pas de conclure à un phénomène
massif, puisque 6 % des DRH concernées par ce sujet ont été confrontées à de vraies difficultés.
Par ailleurs, celles-ci apparaissent concentrées géographiquement, majoritairement en
Ile-de-France et en zone urbaine.
Si l’importance du problème ne doit donc pas être surestimée, l’avis souligne également,
sans naïveté, que dans les entreprises, les dirigeants ou les managers de terrain peuvent se
trouver confrontés à des situations complexes vis-à-vis desquelles ils se trouvent démunis.
Cela est plus particulièrement vrai dans les TPE et les PME, alors que les grandes entreprises
semblent plus à même d’élaborer des réponses adaptées.
Concernant les préconisations, ensuite. Il est indispensable d’accompagner les
responsables d’entreprises. Il faut expliquer et expliciter un cadre juridique particulièrement
complexe et difficilement accessible aux acteurs économiques et sociaux. C’est pourquoi,
nous soutenons plus particulièrement les recommandations relatives à la formation des
managers et des représentants des salariés, ainsi qu’à la diffusion et la mutualisation des
bonnes pratiques entre les entreprises.
Le groupe de la coopération est particulièrement attaché à l’appel au dialogue social
afin que les partenaires sociaux dans l’entreprise élaborent des solutions sur les dispositions
les plus sensibles, en se basant sur le respect du bon fonctionnement de l’entreprise
et de l’égalité de traitement entre les salariés. Les travaux de notre section à travers de
nombreuses auditions montrent que les problèmes relatifs aux fêtes religieuses et aux
interdits alimentaires sont plutôt correctement résolus par le dialogue et grâce au bon sens
de toutes les parties.
Nous rappelons également qu’il faut rester vigilant à ne pas favoriser les regroupements
communautaires et les comportements discriminatoires, notamment à l’égard des femmes,
en effet, notre cohésion sociale ne saurait être mise à mal par le prosélytisme de quelque
origine qu’il soit. Une attention particulière doit être portée aux publics dits « vulnérables ».
L’avis met avec justesse en lumière le cas des structures privées des secteurs social,
médicosocial et de la petite enfance, pour lesquelles des règles de vie collectives claires
doivent être élaborées dans la concertation.
32  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Le travail qu’a conduit la section a été nourri par des auditions et des débats de qualité.
Il permet de porter un regard serein et de présenter un éventail de propositions sur un sujet
sensible aux frontières de la laïcité et de la liberté religieuse.
Le groupe de la coopération a apprécié la qualité d’écoute et l’implication des
rapporteurs et a voté en faveur de l’avis.

Entreprises
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est, non seulement, au cœur de l’actualité avec les
suites de l’affaire Baby Loup qui n’a pas encore reçu de solution judiciaire définitive, mais
concerne, en plus, la question délicate des convictions personnelles de chacun et de leur
expression sur le lieu de travail.
Sujet donc pour le moins difficile dont s’est saisie la section du travail et de l’emploi, en
particulier grâce au courage de trois femmes que je salue : les rapporteures Mmes ArnoultBrill et Simon et la présidente de section, Mme Geng.
Malgré les difficultés de départ, un avis a pu être élaboré, fruit de débats et d’échanges
nourris.
En l’absence de raz-de-marée de revendications ou de pratiques religieuses qui seraient
à même d’entraver à grande échelle l’activité des entreprises ou de mettre à mal les collectifs
de travail, le projet fait le choix de considérer qu’une intervention du législateur n’est pas
nécessaire aujourd’hui. Cette position de principe le conduit à examiner les solutions
concrètes qui peuvent être mises en œuvre pour concilier le principe de la liberté religieuse
avec les nécessités du travail et le déroulement normal de l’activité des entreprises.
Les entreprises sont, en effet, depuis plusieurs années, à la recherche d’informations et
de solutions en matière de fait religieux au travail qui est une question émergente comme
le rappelle l’avis.
En examinant les recommandations qu’il propose, nous pouvons marquer notre accord
sur plusieurs qui nous paraissent de bon sens.
En effet, nous sommes favorables à toute démarche qui améliorerait la lisibilité du cadre
juridique qui entoure cette question. Si les éléments de droit existent, ils sont effectivement
d’une appropriation difficile et ne répondent pas forcément aux situations concrètes que
nous rencontrons dans les entreprises, qui doivent pourtant recevoir une solution rapide
et sûre.
De même, nous partageons l’importance de développer la formation des cadres à la
gestion de la diversité culturelle et religieuse et nous encourageons le développement de
telles démarches permettant aussi de donner une vision claire du cadre juridique et de la
position managériale de l’entreprise ainsi que des méthodes à mettre en œuvre pour en
assurer l’application.
La diffusion des bonnes pratiques développées par certaines entreprises peut se révéler
également très utile aux autres, même si la solution à apporter lors d’une difficulté concrète
doit tenir compte des caractéristiques propres de l’entreprise concernée et de l’emploi
exercé par le salarié.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  33

Nous sommes ouverts à toute information permettant un meilleur fonctionnement des
entreprises et nous tenons à ce que les demandes de congé n’aient pas à être justifiées par les
salariés et que les demandes qui seraient faites à ce titre soient traitées exactement comme
les autres, c’est-à-dire en fonction des seules nécessités du service et sans discrimination.
S’il peut être approprié d’utiliser toutes les possibilités offertes par le dialogue social,
nous ne souhaitons pas cependant dévier celui-ci de son objet ; de même, la compétence
des institutions représentatives du personnel ne s’étend pas aux difficultés en lien avec
l’expression et la pratique religieuse au travail.
Rappelons également que les situations problématiques liées à des demandes
religieuses restent ultra minoritaires. C’est pourquoi, nous souhaitons que le sujet « reste à sa
place » et ne devienne pas un sujet de négociation obligatoire, y compris dans les branches.
Le groupe des entreprises souhaite que cet avis ne soit qu’une étape dans nos
réflexions sur la question. Nous avons besoin de réponses claires et pragmatiques, que les
solutions soient justes et neutres, dans le respect de tous, et pour le bon fonctionnement
de l’entreprise. Nous appelons à pouvoir gérer nos entreprises dans la sérénité. Toute notre
énergie doit être au service du développement social, économique et environnemental de
nos entreprises.
Au-delà de l’avis que vous nous proposez aujourd’hui, et pour conclure, nous tenons à
rappeler combien la diversité est essentielle à nos entreprises modernes. La société évolue
et nos entreprises en sont le reflet. L’avis du CESE n’est qu’une étape pour nous sur le chemin
du « vivre ensemble ».
En conclusion, le groupe des entreprises a voté cet avis.

Environnement et nature
Comme le souligne justement l’avis dès son introduction, l’émergence de cette
problématique est liée à un monde en pleine mutation traversé par de nombreuses crises
(politiques, économiques, sociales ou environnementales). Les guerres, la pauvreté, la
famine, les aléas climatiques poussent certaines populations sur les routes. Mais ils ne sont
pas, pour autant, préparés à ces migrations et intégrations contraintes. Pour les pays qui sont
la destination des migrants, la diversité des pratiques culturelles et cultuelles est source de
richesses mais on ne peut pas nier qu’elle peut aussi être source de conflits.
Le travail en section a su éviter un double écueil :
– d’une part, celui qui aurait conduit à un angélisme niant les difficultés entre
membres des différentes communautés religieuses, mais aussi vis-à-vis de tous
ceux qui ne sont pas croyants ;
– d’autre part, celui qui aurait consisté à faire porter l’ensemble de la responsabilité
de ces difficultés à une seule religion.
Pour ce qui est des recommandations portées par cet avis, nous les trouvons assez
inégales : certaines relevant parfois du détail, d’autres au contraire allant au fond du sujet
pour apporter des pistes concrètes. À ce sujet, nous tenons à souligner la pertinence de
la recommandation n° 3 qui se soucie des « personnes vulnérables » en demandant aux
branches d’activités concernées d’instaurer des mesures pratiques permettant de protéger
les publics vulnérables du prosélytisme religieux.
34  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Enfin, nous apprécions le souci de pragmatisme que l’on retrouve plus particulièrement
dans les recommandations consacrées à la mobilisation des acteurs. Dans cet esprit, la
formation des managers et des représentants des salariés à la question du fait religieux en
entreprise mérite d’être soulignée.
Le groupe « environnement et nature » a voté cet avis et remercie les rapporteures pour
leur travail et leur écoute.

Mutualité
Le groupe de la mutualité tient à saluer le travail des rapporteures et de la section
qui ont su, sur un sujet aussi sensible, établir un état des lieux complet et proposer des
recommandations réalistes.
La qualité des auditions est également à souligner car elles ont permis de toucher
concrètement les difficultés rencontrées par les acteurs de terrain, difficultés qui ne se
transforment en blocage que dans 6 % des entreprises, selon un récent sondage, mais qui
constituent une préoccupation croissante des managers.
Pour le groupe de la mutualité, les règles de vie au travail doivent respecter la liberté de
tous dans la limite du respect de chacun.
Ainsi, une meilleure connaissance des règles juridiques en matière de religion dans
l’entreprise, d’une part et l’élaboration d’une politique de gestion interne favorisant le
dialogue d’autre part, sont les conditions de solutions équilibrées et sereines.
Comme le souligne l’avis, « la distinction entre mission d’intérêt général et mission de
service public n’est pas toujours aisée ». Et les deux arrêts de la Cour de cassation du 19 mars
dernier n’apportent pas de réponses juridiques suffisantes pour permettre de gérer ces
situations.
Si la loi ne paraît pas la démarche la plus pertinente, le groupe de la mutualité est
cependant favorable à un renforcement du principe de laïcité aux structures privées des
secteurs social, médico-social ou de la petite enfance. Dans l’état actuel des choses, il
soutient l’avis qui propose que « sans recourir à la loi, les branches traitant de la situation des
publics vulnérables soient invitées à s’impliquer (...) dans la rédaction de guides pratiques, à
l’instar de ceux existant dans certaines entreprises... »
Le groupe de la mutualité soutient les propositions de l’avis : elles font preuve de
pédagogie et de pragmatisme. Pédagogie car elles permettent, à travers une diffusion
de l’information et la formation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise, de prévenir les
difficultés et de favoriser le « vivre ensemble » ; pragmatisme car elles permettent aussi, à
travers l’élaboration de guides pratiques ou de charte, de favoriser une médiation la plus
large.
Le dialogue reste, pour le groupe de la mutualité, la première des réponses à apporter
à cette importante question « qui touche aux frontières de la laïcité et de la liberté religieuse ».
Mais il tient également à rappeler que ses entreprises en tant que regroupement de
personnes s’inscrivent dans un projet de société laïque qui, avant tout, favorise la promotion
de l’individu au-delà des différentes appartenances et dans le respect des règles communes.
Le groupe de la mutualité a voté en faveur de l’avis.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  35

Organisations étudiantes
et mouvements de jeunesse
Il y a des moments qui honorent particulièrement notre institution. La présentation
de l’avis sur le fait religieux dans l’entreprise, en est l’un d’eux. En effet, notre assemblée
peut-être particulièrement fière de ce projet, fière de son contenu et de son équilibre.
À l’heure où la question religieuse est souvent instrumentalisée dans le but de
stigmatiser toute une partie de la communauté nationale, le présent avis est parvenu
à aborder la question du fait religieux dans le monde de l’entreprise en faisant le pari
d’une approche dédramatisée et pragmatique. En somme, une approche sereine qui s’est
caractérisée par une réflexion partant des faits en les prenant pour ce qu’ils sont et non pas
pour ce que certaines représentations fantasmées laissent croire.
À la base de cet avis, il y a, bien sûr, les récentes décisions juridiques concernant la
crèche Baby Loup d’une part, et la CPAM de Seine-Saint-Denis d’autre part. Sans prétention
d’intervention sur la base de dossiers de nature juridique, les décisions opposées rendues
dans l’un et l’autre des cas nécessitaient un travail du CESE permettant un éclairage sur la
situation du fait religieux dans le monde du travail.
En faisant le choix du dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés (institutions
publiques, entreprises, chercheurs engagés sur les questions religieuses, représentants des
cultes et des libres penseurs) la section du travail et de l’emploi a pu constater que si la
demande religieuse dans l’entreprise ne pouvait être occultée, celle-ci ne connaissait pas la
forte augmentation qu’on a tendance à lui prêter. C’est en prenant corps avec la réalité du
terrain, en considérant que de nombreuses situations conflictuelles trouvaient des issues
par le dialogue, que l’avis a décidé d’écarter l’idée d’une nouvelle intervention législative.
Là est la force de l’avis qui est soumis aujourd’hui au vote de notre assemblée. Il
démontre que, par la mobilisation d’outils existants et par le dialogue, les solutions sont
déjà entre nos mains. En effet, c’est bel et bien en concentrant les efforts sur l’information, la
sensibilisation et la diffusion des connaissances par le biais des cadres déjà existants que les
situations complexes se dénoueront là où elles existent.
Ne cédant pas à la pression de représentations fantasmées du fait religieux en France,
l’avis a su éviter les écueils de la stigmatisation. Il fait également le choix de ne pas réduire un
individu à ses convictions religieuses en rattachant le fait religieux dans l’entreprise aux enjeux
plus larges, mais éminemment liés, d’égalité professionnelle, de gestion et d’organisation du
temps de travail, d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
Cette prise de hauteur et de recul est toute à son honneur. Elle permet de ne pas jeter de
l’huile sur le feu, à l’heure où la société française est marquée par les stigmates de la division.
Cet avis permettra à coup sûr de décrisper un débat qui n’a besoin aujourd’hui que de
sérénité et d’apaisement pour faire avancer la société et par la même la République. Autant
pour la qualité du texte, que pour la nature du message que celui-ci permettra d’émettre, le
groupe des organisations étudiantes et mouvement de jeunesse a voté en faveur de l’avis.
36  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Personnalités qualifiées
Mme Brunet : « Dès 1958, une des huit conventions fondamentales de l’OIT définissait
la discrimination comme étant «toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la religion, l’opinion, l’ascendance ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire
ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession».
Ce principe international de non-discrimination dans l’accès à l’emploi et les conditions
de travail, en raison notamment, de la religion ne doit pas se heurter à d’autres principes du
droit du travail en France liés à la bonne marche de l’entreprise mais également à la protection
des personnes, à leur sécurité, à leur liberté propre, face aux risques de prosélytisme de
collègues du travail ou de publics en relation avec l’entreprise.
Ainsi, l’étude menée en 2013 par l’Observatoire du fait religieux en entreprise et l’Institut
Randstad, montre que 28 % des DRH interrogés ont déjà été confrontés à des questions
liées au fait religieux dans leur entreprise, particulièrement en région parisienne et dans les
grandes métropoles et 41 % des cadres RH interrogés pensent que cette question va devenir
problématique dans un futur proche.
L’Association nationale des directeurs des ressources humaines travaille donc depuis
quelques années sur ce sujet et rappelle en premier lieu qu’il est nécessaire d’aborder la
pratique religieuse en cohérence avec l’exécution du contrat de travail.
«La pratique du fait religieux en entreprise est-elle compatible avec l’exécution du
contrat de travail ? Toute autre considération est par nature polémique et entraîne un
positionnement qui n’a rien à voir avec le sujet.»
Car, en effet, ce sujet peut vite sombrer dans la polémique, les clichés et la caricature.
Piège dans lequel nos deux rapporteures ont su avec courage, écoute et grande
ouverture d’esprit, ne pas tomber.
Les travaux de notre section aboutissent notamment à la même conclusion que ceux
de l’ANDRH : il n’existe aucune nécessité d’une loi concernant l’expression religieuse dans
les entreprises.
De plus, les sept recommandations énoncées dans ce rapport permettent très
précisément et concrètement de bien cerner le sujet du fait religieux dans l’entreprise, d’en
fixer les limites tout en donnant des pistes pour anticiper et résoudre d’éventuels conflits.
Vous l’aurez donc compris, chers collègues, je voterai cet avis avec conviction ».
Mme Levaux : « La liberté de religion est fondamentalement imbriquée dans la liberté
de conscience. Elle inclut la liberté d’exprimer ses convictions religieuses. Les restrictions
apportées dans le champ du travail et de l’emploi constituent l’exception.
Ainsi posés, les éléments fondamentaux sont rappelés dans notre projet d’avis.
Néanmoins, le champ du travail et de l’emploi ne se résume pas à l’entreprise. D’autres
situations de travail et d’emploi sont concernées, en particulier, les situations qui concernent
les personnes vulnérables. Je regrette, comme je l’ai déjà indiqué, que notre projet d’avis ne
tienne pas suffisamment compte des pluralités des situations de travail et, notamment, son
titre.
En dehors des services publics auxquels s’applique en France le strict principe de
laïcité, l’employeur comme le salarié ne peuvent imposer un devoir de neutralité religieuse
ou interdire toute manifestation des opinions religieuses dans l’entreprise et dans les
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  37

situations contractuelles de travail régies par le code du travail. Cependant, les restrictions
et les encadrements légitimes sont justifiés par la nature de la tâche à accomplir et par son
contexte. Alors, les dispositions légales et réglementaires prennent évidemment le pas sur
le respect des interdits religieux.
L’interdiction du prosélytisme, réaffirmée dans notre projet d’avis, est pour le moins
la plus complexe à encadrer. Constructions jurisprudentielles, encadrement de la liberté
d’expression, rôle du règlement intérieur..., il s’agit toujours de poser les limites complexes
de la libre manifestation des croyances dans l’entreprise et dans les situations de travail en
général. Toutefois, justifications et proportionnalité ne riment pas nécessairement avec un
texte législatif qui puisse s’appliquer à toutes les situations de travail sans distinction.
Notre projet d’avis est courageux. Il affirme les droits fondamentaux sans ambigüité. Il
pointe les difficultés de notre société, de sa pluralité complexe, de la diversité des convictions,
pratiques et requêtes religieuses. Il éclaire avec équité cette question vis-à-vis de toutes les
confessions. Il ne fait pas de compromis sur l’interdiction du prosélytisme. Il tient compte
des stratégies d’entreprises de toutes tailles et des situations de travail différentes. Il renforce
la nécessaire meilleure connaissance des règles applicables et existantes pour tous, les
acteurs du dialogue social et les managers. Enfin, il ne requiert pas de législation nouvelle
qui modifie le principe des jours fériés dans le Code du travail, mais alerte sur une meilleure
information des fêtes religieuses des différentes confessions.
C’est un projet d’avis pragmatique, courageux et équilibré, utile en cette période
contestée. Je le voterai avec conviction ».

Professions libérales
Le thème dont le CESE s’est emparé est opportun puisqu’il s’inscrit dans un contexte
sociétal marqué par l’actualité judiciaire, mais aussi dans la notion fondamentale du vivre
ensemble qu’il convient de promouvoir.
La société française et ainsi, chacune de nos entreprises, participe de la diversité. Mais
cette expression de la diversité a ouvert le débat sur le fait religieux dans l’entreprise, plus
largement sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Le groupe des professions libérales tient à souligner, comme il l’est bien rappelé dans
l’avis, que la liberté de religion est une liberté fondamentale, protégée par de nombreux
textes et que ses restrictions ne sauraient être soumises à la subjectivité : seul un contrôle
strict et objectif, seules des restrictions justifiées et proportionnées peuvent être admis dans
un État de droit.
En cela, il nous semble que le Code du travail permet un encadrement juste et mesuré
du respect de cette liberté dans l’entreprise.
La question de l’expression religieuse génère peu de contentieux, même si elle peut
être une préoccupation pour le management, aussi pensons-nous que l’intervention du
législateur n’est pas nécessaire. Il est préférable de privilégier le dialogue social et des outils
spécifiques d’aide à la décision, notamment pour les petites entreprises. Trop de complexité,
l’empilement de normes et l’ajout d’obligations ne contribuent pas à la clarté du monde
professionnel.
38  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

C’est à la frontière des deux secteurs - public et privé - que les situations sont
juridiquement les plus complexes. Entre liberté religieuse et principe de laïcité dont découle
l’obligation de neutralité, l’avis, en rappelant le droit, fait des recommandations équilibrées.
Nous pensons que la manifestation d’une appartenance à une religion doit être envisagée
au cas par cas.
La diversité d’origine et de religion qui fait l’identité de notre pays et qui se retrouve dans
le monde du travail, génère demandes nouvelles, pratiques particulières ou revendications
d’un nouvel ordre. Nous saluons en cela le pragmatisme de l’avis, qui préconise d’aborder
de manière préventive la dimension cultuelle de la diversité afin de lever certains tabous
et apaiser les tensions. L’avis a raison de vouloir sensibiliser les directions de ressources
humaines, employeurs, travailleurs, représentants des salariés aux différentes demandes qui
pourraient émaner. Ainsi formés et ayant une vision claire du cadre juridique, ils peuvent
répondre en connaissance de cause, dans le plus grand respect de la liberté de chacun et
des règles liées au bon fonctionnement de l’entreprise.
Nous sommes également favorables à un meilleur accès à la règle de droit et à ses
exceptions. En ce sens, la direction générale du travail est toute désignée pour faciliter le
travail des chefs d’entreprises. Il serait particulièrement utile et intéressant qu’elle puisse,
dans les meilleurs délais, réaliser les fiches techniques dont l’avis propose la diffusion. Enfin,
nous saluons la médiation préconisée, en orientant vers le Défenseur des droits les cas rares
de contentieux.
À l’action du législateur, nous préférons comme les rapporteurs, que soit stabilisé et
clarifié le cadre juridique. L’objectif, avant tout, est de mettre en œuvre de bonnes méthodes
pour assurer son application. Le Conseil ayant eu raison de traiter ce sujet en conservant la
neutralité eu égard au cadre de ses attributions, le groupe des professions libérales a voté
l’avis.

UNAF
Dans le présent avis, tous les principes qui s’affrontent sont expliqués avec précision. Une
fois le cadre juridique posé, il est confronté aux faits, à la réalité de ce que représenteraient
aujourd’hui dans les entreprises les différentes formes d’expressions religieuses. Le groupe
de l’UNAF est reconnaissant d’avoir dressé un état des lieux précis de la situation, ni trop
alarmiste, ni trop en retrait. Les auditions ont d’ailleurs été d’un apport essentiel pour les
travaux de la section, remettant ainsi à sa juste proportion la question du fait religieux dans
l’entreprise. Ce n’était pas chose facile lorsque, dans le même temps, les différents médias
semblaient démontrer une explosion du phénomène, notamment à la suite de l’affaire de
la crèche Baby Loup.
L’enjeu du présent avis, dès le début de la saisine semblait être de répondre à une seule
et unique question qui s’imposait pour résoudre toutes les difficultés : recours à la loi ou
non. L’avis, au fil du temps, s’est construit en dépassant cette seule problématique. Il répond
à cette question en écartant le recours à la loi mais surtout, fait œuvre de pédagogie en
rappelant le cadre déjà existant et parfois méconnu des managers d’entreprise. Partant de
ce constat, les préconisations sont déclinées de manière équilibrée et en toute logique :
mieux faire connaître les règles de droit, diffuser le calendrier des fêtes religieuses des
différentes confessions, élaborer dans la concertation des règles de vie au travail, utiliser
toutes les possibilités offertes par le dialogue social.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  39

Le groupe de l’UNAF se retrouve dans la préconisation qui ouvre une piste intéressante :
celle de diffuser et mutualiser les bonnes pratiques entre les entreprises. Des entreprises
ont déjà fait preuve d’innovation en formalisant des guides ou des chartes et certaines
sont venues en témoigner devant la section. Ces démarches innovantes semblent avoir
fait la preuve de leur efficacité en prenant soin de ne pas créer une procédure spécifique
et stigmatisante en face d’une pratique religieuse, du port d’un signe religieux ou d’une
demande d’absence pour cause religieuse. C’est certainement cette voie qu’il convient de
rechercher : anticiper pour ne pas pointer, stigmatiser au risque sinon de voir se multiplier
les contentieux et mettre à mal l’équilibre entre laïcité et liberté religieuse.
Le groupe de l’UNAF a voté l’avis.

UNSA
L’UNSA tient à rappeler que la France est une république laïque. Cette situation est le
fruit d’un compromis en 1905 suite à de nombreuses confrontations entre deux camps.
Ce compromis structure la société française. Ainsi, le service public respecte
scrupuleusement la laïcité, notamment à l’école et dans toutes les délégations de service
public.
Le texte de cette saisine pose correctement la question, l’intitulé délimite notre
réflexion, on examine le fait religieux en entreprise. C’est une demande nouvelle dans
certaines entreprises et nous constatons que le Code du travail nous permet d’encadrer
cette demande. L’entreprise n’est pas le service public et la liberté religieuse est un droit.
Mais l’entreprise étant un lieu de travail, il ne peut y avoir de pratiques religieuses qui nuisent
à l’activité de l’entreprise, ni à la sécurité des personnes.
L’UNSA souscrit à la modération de la saisine qui aboutit aujourd’hui à ne pas légiférer.
Les recommandations prennent la mesure de la demande et doivent permettre aux
partenaires sociaux, syndicats de salariés et employeurs de connaître le sujet et d’aboutir à
des négociations lorsque c’est utile. Nier cette question, c’est nier la réalité rappelée par des
chefs d’entreprises ; dramatiser la situation nous éloignerait de notre sujet et rentrerait dans
un sous-entendu politique dangereux. À ce moment précis, les recommandations suffisent :
– mieux faire connaître les règles de droit ;
– diffuser le calendrier des fêtes religieuses des différentes confessions ;
– prendre en compte le cas des structures privées des secteurs social, médicosocial
et de la petite enfance : élaborer, par la concertation et dans le respect du cadre
juridique existant, des règles de vie au travail ;
– renforcer la mission de médiation et d’accompagnement du Défenseur des droits
en matière de lutte contre les discriminations, y compris les discriminations
religieuses ;
– utiliser toutes les possibilités offertes par le dialogue social ;
– former les managers et les représentants des salariés à la question du fait religieux
dans l’entreprise ;
– et enfin, diffuser et mutualiser les bonnes pratiques entre les entreprises.
Selon l’UNSA, elles permettent de répondre à toutes les situations.
Si les manifestations du fait religieux en entreprise devenaient d’une autre nature, il
faudrait alors reposer la question législative.
L’UNSA a voté favorablement l’avis.
40  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Scrutin
Scrutin sur l’ensemble du projet d’avis
présenté par Mmes Arnoult-Brill et Simon, rapporteures
Nombre de votants

186

Ont voté pour

172

A voté contre

1

Se sont abstenus

13

Le CESE a adopté.
Ont voté pour : 172
Agriculture

Artisanat

Associations
CFDT

CFE-CGC

MM. Barrau, Bastian, Mmes Beliard, Bernard,
Bocquet, Bonneau, M. Brichart, Mme Dutoit,
MM. Giroud, Gremillet, Mmes Henry,
Lambert, MM. Lefebvre, Roustan,
Mmes Serres, Sinay, M. Vasseur.
Mme Amoros, MM. Bressy, Crouzet,
Mmes Foucher, Gaultier,
MM. Griset, Le Lann, Martin.
M. Allier, Mme Arnoult-Brill, MM. Charhon,
Da Costa, Mme Jond, MM. Leclercq, Roirant.
M. Blanc, Mmes Boutrand, Briand, M. Duchemin,
Mme Hénon, M. Honoré, Mme Houbairi,
MM. Jamme, Le Clézio, Legrain, Malterre,
Mmes Nathan, Pichenot, Prévost, M. Quarez.
M. Artero, Mme Couturier, MM. Delage,
Dos Santos, Mme Weber.

CFTC

MM. Ibal, Louis, Mmes Parle, Simon.

CGT

Mmes Cailletaud, Crosemarie, M. Delmas,
Mmes Doneddu, Dumas, M. Durand,
Mmes Farache, Geng, Hacquemand, Kotlicki,
MM. Mansouri-Guilani, Marie, Michel,
Prada, Rabhi, Teskouk.

Coopération

Mme de L’Estoile, M. Lenancker, Mmes Rafael,
Roudil, M. Verdier.

Entreprises

M. Bailly, Mme Bel, M. Bernasconi, Mmes Castera,
Coisne-Roquette, Dubrac, Duhamel, Duprez,
Frisch, M. Gailly, Mme Ingelaere, MM. Jamet,
Lejeune, Marcon, Placet, Pottier,
Mme Prévot-Madère, M. Ridoret, Mme Roy,
M. Schilansky, Mmes Tissot-Colle, Vilain.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  41

Environnement et nature

MM. Beall, Bonduelle, Bougrain Dubourg,
Mmes de Bethencourt, Denier-Pasquier,
Ducroux, MM. Genest, Genty, Guerin,
Mmes de Thiersant, Laplante, Mesquida,
Vincent-Sweet, M. Virlouvet.

Mutualité

MM. Andreck, Beaudet, Davant, Mme Vion.

Organisations étudiantes
et mouvements de jeunesse
Outre-mer
Personnalités qualifiées

Professions libérales

MM. Djebara, Dulin, Mmes Guichet, Trellu-Kane.
MM. Grignon, Kanimoa, Omarjee, Osénat,
Mme Romouli Zouhair.
M. Aschieri, Mme Ballaloud, M. Baudin,
Mmes Brishoual, Brunet, M. Corne,
Mmes Dussaussois, El Okki, M. Etienne,
Mmes Flessel-Colovic, Fontenoy, MM. Fremont,
Gall, Geveaux, Mmes Gibault, Grard, Graz,
MM. Guirkinger, Hochart, Jouzel, Khalfa, Le Bris,
Mme Levaux, M. Martin, Mmes de Menthon,
Meyer, M. Obadia, Mme d’Ormesson,
MM. Santini, Soubie, Urieta.
MM. Capdeville, Gordon-Krief, Noël,
Mme Riquier-Sauvage.

UNAF

MM. Damien, Farriol, Fondard, Joyeux,
Mmes Koné, L’Hour, Therry, M. de Viguerie.

UNSA

Mme Dupuis, MM. Grosset-Brauer, Rougier.

A voté contre : 1
Personnalités qualifiées

Mme du Roscoät.

Se sont abstenus : 13
CGT-FO

MM. Bellanca, Bernus, Hotte, Mme Millan,
M. Nedzynski, Mme Nicoletta, M. Peres,
Mme Perrot.

Entreprises
Personnalités qualifiées

M. Roger-Vasselin.
Mmes Hezard, de Kerviler, MM. Lucas, Terzian.

42  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexes
Annexe n° 1 : composition de la section du travail
et de l’emploi
3 Présidente : Françoise GENG
3 Vice présidents : Patrick LENANCKER et Jean-Luc PLACET
ٰ Agriculture
3 Joël CLERGUE
3 Marianne DUTOIT
ٰ Artisanat
3 Patrick LIEBUS
ٰ Associations
3 Edith ARNOULT-BRILL
ٰ CFDT
3 Daniel JAMME
3 Maryvonne NICOLLE
3 Brigitte PREVOST
ٰ CFE-CGC
3 Régis DOS SANTOS
ٰ CFTC
3 Gabrielle SIMON
ٰ CGT
3 Françoise GENG
3 Lionel MARIE
3 Maurad RABHI
3 Djamal TESKOUK
ٰ CGT-FO
3 Didier HOTTE
3 Marie-Alice MEDEUFANDRIEU
ٰ Coopération
3 Patrick LENANCKER

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  43

ٰ Entreprises
3 Jean-Luc PLACET
3 Jean-Michel POTTIER
3 Benoît ROGER-VASSELIN
ٰ Environnement et nature
3 Bruno GENTY
ٰ Organisations étudiantes et mouvements de jeunesse
3 Azwaw DJEBARA
ٰ Outre-mer
3 Bernard PAUL
ٰ Personnalités qualifiées
3 Sylvie BRUNET
3 Marie-Béatrice LEVAUX
3 Sophie de MENTHON
3 Raymond SOUBIE
3 Yves URIETA
ٰ Professions libérales
3 David GORDON KRIEF
ٰ UNAF
3 Francine L’HOUR
ٰ UNSA
3 Jean GROSSET
ٰ Personnalités associées
3 Hocine BOUARES
3 Brahim BOURABAA
3 Bernard CIEUTAT
3 Gilles KEPEL
3 Françoise MILEWSKI
3 Danielle MONTEAUX
3 André SAINJON
3 Etienne WASMER

44  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnées
En vue de parfaire son information, la section a successivement entendu :
3 Gilles Kepel
professeur à l’Institut d’études politiques de Paris ;
3 Jean-Louis Bianco
ancien ministre, président de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre ;
3 Nicolas Cadène
rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre ;
3 Sophie Gherardi
spécialiste de l’information du fait religieux au travail ;
3 Jean-Guy Huglo
conseiller référendaire de la Chambre sociale de la Cour de cassation ;
3 Pascal Bernard
vice-président de l’ANDRH, président de la commission diversité-égalité femmes hommes,
praticien du sujet ;
3 Lionel Honoré
directeur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFFRE), professeur à l’Institut
d’études politiques de Rennes ;
3 Abdel Aïssou
directeur général du groupe Randstad France ;
3 Isabelle Barth
directrice générale de l’Ecole de management de Strasbourg ;
3 Mansour Zoberi
directeur de la Promotion de la diversité et de la solidarité, groupe Casino ;
3 Jean-Baptiste Obéniche
responsable du pôle Santé et vie au travail, groupe EDF ;
3 Jean-Louis Carvès
responsable Diversité, groupe IBM France ;
3 Marc Blondel
président de la Fédération nationale de la Libre pensée accompagné de Jacques Lafouge,
vice-président et David Gozlan, secrétaire général ;
3 Jacqueline Costa-Lascoux
ancien membre de la commission « Stasi », directrice de recherche au CNRS ;
3 Raymond Soubie
ancien membre de la commission « Stasi », président du groupe des personnalités qualifiées
au CESE ;
3 Claude Baty
pasteur, président de la Fédération protestante de France ;
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  45

3 Dalil Boubakeur
recteur de la Grande Mosquée de Paris ;
3 Michel Gugenheim
grand rabin de Paris ;
3 André Vingt-Trois
cardinal, archevêque de Paris ;

46  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexe n° 3 : liste des personnes rencontrées11
3 Aschieri Gérard
professeur agrégé de lettres, ancien secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire
(FSU), membre du CESE, membre de la Commission nationale consultative des Droits de
l’Homme (CNCDH)
3 Jouhannaud Christine
directrice du département Protection sociale, travail et emploi, chef du pôle Emploi public
auprès du Défenseur des Droits

11 Liste par ordre alphabétique avec l’indication des fonctions exercées au moment du contact ou de l’entretien.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  47

Annexe n° 4 : le cadre juridique de la liberté religieuse
dans l’entreprise
Plus souvent qu’auparavant, les employeurs ont à répondre, de la part de leurs
salariés, à des demandes formulées en termes de droits opposables et à l’attente d’une
certaine sécurité juridique dans l’exercice des droits fondamentaux, notamment en matière
religieuse. Ainsi, s’effectuerait le passage d’un régime de tolérance (au sens faible du mot) du
fait religieux dans l’entreprise à un régime de droit12.
La demande de droit est donc double. Elle émane des salariés qui souhaitent que soient
précisées les conditions dans lesquelles ils peuvent user de leur liberté d’expression sur le
lieu de travail. Elle émane aussi des employeurs et des DRH qui éprouvent le besoin de se
référer à des règles objectives pour arbitrer entre les aspirations et les choix personnels
des individus d’une part, le bon fonctionnement de l’entreprise et la cohésion des équipes
d’autre part.
La question du droit applicable est cependant posée. En effet, le régime juridique de
l’exercice de la liberté religieuse sur le lieu de travail, la latitude dont dispose l’employeur
pour encadrer la manifestation des opinions religieuses ou autres est différente selon que
l’activité relève ou pas du service public.
Surtout, en l’absence de règlementation spécifique sur le port de vêtements religieux
ou les pratiques religieuses dans l’entreprise, c’est essentiellement la jurisprudence qui est
venue préciser les limites à la liberté d’expression religieuse.

La liberté religieuse dans l’entreprise : une liberté
fondamentale protégée par de nombreux textes
Les dispositions internationales et européennes
ٰ Les normes internationales
y La Pacte international relatif aux droits civils et politiques
L’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) précise que
« Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus
se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le
présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue,
de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de
fortune, de naissance ou de toute autre situation. » L’article 18 du Pacte (encadré) traite plus
particulièrement de la liberté religieuse.

12 Michel Miné, Travail et liberté religieuse : ce que dit le droit. In Entreprises et diversité religieuse, un management
par le dialogue. AFMD/ Institut de sciences et de théologie des religions, mars 2013.
48  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Encadré 1 : article 18 du Pacte international (1966)
1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix,
ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en
commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les
pratiques et l’enseignement.
2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter
une religion ou une conviction de son choix.
3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que
des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la
sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits
fondamentaux d’autrui.
4. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le
cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs
enfants conformément à leurs propres convictions.
y La convention internationale des droits de l’enfant (1989)
L’article 14 de la convention mentionne que « Les États parties respectent le droit de
l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion » et que « La liberté de manifester
sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites
par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la
moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. »
ٰ Les normes européennes et communautaires
 L’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et
des libertés fondamentales
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction , ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »
« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Les Etats parties à la Convention sont donc tenus de protéger et respecter la liberté
de pensée, de conscience et de religion qui est entendue largement et s’étend au droit
d’exprimer ses convictions religieuses ou autres « en public ou en privé ». Les restrictions à
cette liberté doivent être justifiées par un intérêt supérieur et formalisées par la loi.
 La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le
7 décembre 2000
Les dispositions susvisées de la CEDH ont été intégrées pratiquement telles quelles dans
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000 et
à laquelle le traité de Lisbonne de 2007 a conféré une force juridiquement contraignante.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  49

Dans son article 21, elle stipule, qu’« est interdite, toute discrimination fondée notamment
sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques,
la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou
l’orientation sexuelle »,
L’opposabilité juridique, depuis le 1er décembre 2009, de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne renforce le principe de non-discrimination.
L’article 52 de la Charte introduit cependant une notion de principe de proportionnalité :
« Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que
si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnu par
l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »
 Le principe de non-discrimination dans le droit de l’Union européenne
Le droit de l’Union européenne a posé le principe de non-discrimination, notamment
la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe
de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique,
mais surtout la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un
cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
L’article premier de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 précise que
« la présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination
fondée sur la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui
concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de
l’égalité de traitement. »
Ce texte envisage la question de la liberté religieuse à partir de l’égalité de traitement
et de l’obligation de ne pas discriminer. On notera qu’il est dans la démarche très proche de
l’article 5 du préambule de la constitution de 1946 évoqué ci-dessous.
Le champ des discriminations concernées n’est évidemment pas limité à la religion. Le
texte cible les différences de traitement dans l’accès à l’emploi, le maintien dans l’emploi,
les conditions de travail, fondées sur « la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou
l’orientation sexuelle ».
Il envisage non seulement les cas de discrimination directe (lorsqu’une personne est
traitée de manière moins favorable qu’une autre en fonction de l’un des motifs précités)
mais aussi les discriminations indirectes c’est-à-dire résultant de dispositions, de pratiques
ou de critères apparemment neutres mais susceptibles de comporter de fait un désavantage
particulier pour des personnes sur la base des mêmes motifs.
L’Article 10 relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion indique que « Toute
personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté
de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement,
les pratiques et l’accomplissement des rites. »
Aux termes de la directive, les Etats membres sont tenus de se donner les moyens
nécessaires pour supprimer, dans leur droit interne, les mesures contraires au principe
d’égalité de traitement et pour que soient frappées de nullité les dispositions contraires au
principe de l’égalité de traitement figurant dans les contrats ou les conventions collectives,
dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions
indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs.
50  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Les dispositions en droit interne
La liberté religieuse, étroitement liée à la liberté de conscience, fait partie des libertés
fondamentales protégées par des normes que le Conseil Constitutionnel a placées au niveau
le plus élevé de la hiérarchie juridique. Ce dernier a ainsi consacré la valeur constitutionnelle
du préambule de la Constitution de 1958 qui, lui même, renvoie à celui de la Constitution de
1946 et à la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
ٰ Les grands textes de la République et la jurisprudence du Conseil constitutionnel
La déclaration des droits de 1789 et le préambule de 1946, régulièrement utilisés par
le Conseil Constitutionnel dans l’élaboration de sa jurisprudence, fondent dans notre droit
national la liberté de conscience et de religion.
L’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation
ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Pour les révolutionnaires, il s’agissait à la fois de protéger la liberté de pratiquer d’autres
cultes que celui de la religion majoritaire et également la liberté de n’adhérer à aucun culte.
Le préambule de la Constitution de 1946 reprend l’essentiel des principes énoncés en
1789 mais en relation étroite avec les droits économiques et sociaux qu’il entend affirmer.
La question de la religion est envisagée au 1er et au 5e alinéa de ce texte, les deux fois à partir
d’une interdiction de discrimination dans l’accès aux autres droits, comme celui de pouvoir
prétendre à un emploi :
« ...le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de
religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » (1er alinéa).
« […] Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines ou de ses
croyances. » (5ème alinéa).
La Conseil constitutionnel a aussi développé dans sa jurisprudence la notion de
« principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », pour définir les principes
à valeur constitutionnelles issus des grandes lois votées sous les trois premières républiques.
Ainsi, dans les considérants de sa décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, il établit
« que la liberté de conscience doit être … regardée comme l’un des principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République. »
ٰ Les dispositions du Code du travail
Plusieurs articles du Code du travail sont en conformité avec les normes supérieures
garantissant la liberté de conscience et de religion et avec la réglementation européenne
précitée.
y Le respect des libertés
L’article L. 1121-1 du Code du travail impose le respect des libertés dans les entreprises
comme la norme : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles
et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché. »

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  51

Cette obligation est renforcée par le 2è alinéa de l’article L. 1321-3 qui précise les
dispositions que ne peut contenir le règlement intérieur de l’entreprise.
« Le règlement intérieur ne peut contenir : (…) 2) Des dispositions apportant aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées
par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
y Le principe de non-discrimination
Les articles L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 assurent la transposition des dispositions
européennes sur l’égalité de traitement au regard de l’emploi et du travail.
L’article L. 1132-1 énumère quatorze motifs de discrimination possibles à l’encontre du
salarié : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille ou
la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non appartenance, vraie
ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités
syndicales et mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le nom de
famille, l’état de santé ou le handicap.
Dans ce contexte juridique, des entreprises ont mis en place des politiques d’embauche
favorables à la diversité et à la féminisation de certains métiers traditionnellement masculins.
Pour certains managers, la diversité « religieuse » constitue une composante de la diversité
en général.
Au-delà de la liberté de conscience elle-même, le droit à l’expression de ses convictions
sur le lieu de travail est en principe garanti par la loi et la sanction d’un salarié dans l’exercice
de ce droit est assimilable à une discrimination si elle n’est pas justifiée dans les conditions
prévues par la loi.

Une liberté qui n’est pas absolue : des restrictions
admises par les textes et la jurisprudence
Hors du champ des services publics, l’employeur ne peut imposer à ses salariés un strict
devoir de neutralité religieuse ou interdire toute manifestation des opinions religieuses au
sein de l’entreprise. Selon une partie de la doctrine, les personnes privées ont en effet le droit
de ne pas être neutres, d’exprimer des opinions et des convictions religieuses13. La liberté
religieuse n’est donc pas limitée au for intérieur de chacun des salariés.
C’est ainsi que les restrictions à la manifestation des croyances religieuses doivent être
justifiées, proportionnées au but recherché et non discriminatoires.

Les restrictions admises par la CEDH
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme envisage, au
deuxième alinéa de son article 9, les restrictions prévues par la loi dont peut faire l’objet
la liberté de manifester sa religion ou ses convictions et précise qu’il s’agit « des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de
la santé ou de la morale publique ou au besoin de protection d’autrui ».

13 Emmanuel Dockès, Liberté, laïcité, Baby Loup : de la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation
face à la xénophobie montante, Droit social, n° 5, mai 2013, pp. 144-150.
52  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

La CEDH a ainsi jugé que constituait une violation de la liberté de religion une interdiction
de port de signes religieux motivée par le souhait d’une compagnie aérienne de véhiculer
une certaine image de marque (CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c./Royaume-Uni). En
revanche, elle n’a pas considéré comme une violation de cette liberté une interdiction de
port de signes religieux motivée par des considérations de santé et de sécurité en milieu
hospitalier (CEDH, 15 janvier 2013, Chaplin et autres c./Royaume-Uni).

Sur le lieu de travail, la liberté religieuse
est mise en balance avec d’autres principes
Il existe un équilibre nécessaire entre le respect de la liberté religieuse, la satisfaction de
demandes légitimes qui peuvent être inspirées par une option confessionnelle, et d’autres
impératifs touchant aux droits des salariés et au bon fonctionnement de l’entreprise. Cette
limitation nécessaire de la liberté religieuse implique évidemment un contrôle du juge.
Ainsi, la jurisprudence a estimé qu’un organisme privé pouvait apporter des restrictions
à la liberté d’expression religieuse dès lors qu’elles étaient justifiées par des impératifs tenant
notamment à la santé et la sécurité, au respect dispositions légales ou contractuelles, à
l’interdiction du prosélytisme notamment.
ٰ Les impératifs liés à la santé et à la sécurité
Un comportement qui sous un motif religieux conduirait à enfreindre des règles de
sécurité et mettrait ainsi en péril des salariés, des usagers ou des clients est ainsi à proscrire.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a confirmé dans un jugement récent
(Shirley Chaplin, 4 septembre 2012) que les considérations de santé et de sécurité devaient
prévaloir sur un choix personnel motivé par la foi religieuse. Il s’agissait en l’occurrence du
port d’un pendentif cruciforme par une infirmière travaillant au contact des patients dans
un service de gériatrie.
Des considérations de sécurité au travail peuvent constituer une restriction objective
justifiée par la nature des tâches à effectuer. Il peut s’agir, par exemple, de l’incompatibilité
entre le port d’un signe et celui d’un équipement obligatoire de protection, ou encore de
risques accrus par le port d’un signe (risques mécaniques, risques chimiques…).
Des impératifs de santé ou d’hygiène sanitaire peuvent également amener l’employeur
à imposer le port de tenues spécifiques pouvant ne pas être compatible avec le maintien de
signes religieux ou politiques.
ٰ Le respect des obligations contractuelles
Les règles religieuses ne peuvent s’imposer à la liberté contractuelle qui est une règle
d’ordre public. Ce principe vaut pour l’ensemble des contrats14.

14 Comme en témoigne le célèbre arrêt dit « affaire du digicode » du 18 décembre 2012. Dans cette affaire
opposant un bailleur à des locataires de confession juive, la Cour de cassation a déclaré : « les pratiques dictées
par des convictions religieuses des preneurs n’entrent pas sauf convention exprès dans le champ contractuel du bail
et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique. »
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  53

On doit notamment citer la jurisprudence dite du « boucher de Mayotte » (arrêt
de la Cour de cassation, mars 1998) ; dans cette affaire, un salarié boucher de confession
musulmane demandait, après deux ans de travail, à ne plus toucher de viande de porc ; la
Cour de cassation estime que « l’employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié
d’exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché ».
Il en résulte que le salarié doit exécuter comme telle la tâche convenue dans le contrat
de travail et l’employeur n’est pas tenue de modifier l’organisation du travail pour rendre
possible l’exécution d’une prescription religieuse.
ٰ Le respect des dispositions légales et règlementaires
La jurisprudence s’est clairement prononcée en ce qui concerne, par exemple,
l’incompatibilité des obligations religieuses d’un salarié avec les dispositions impératives
légales et règlementaires. La Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises, à propos
de la visite médicale obligatoire, que le salarié ne pouvait se soustraire à l’application des
dispositions impératives15.
ٰ L’interdiction du prosélytisme
L’impact relationnel de la manifestation de sa religion par un salarié entre aussi en
ligne de compte. Si le règlement intérieur n’a pas à censurer les discussions politiques et
religieuses (CE 25 janvier 1989, Société industrielle de teinture et apprêts), les salariés ne
doivent pas non plus être exposés à des pressions politiques ou religieuses de la part de
leurs collègues.
Si la Cour de cassation a consacré la liberté d’expression notamment dans une décision
en date du 28 avril 199816, elle a affirmé aussi que les abus -« propos injurieux, diffamatoires
ou excessifs »- doivent être sanctionnés. Cette construction jurisprudentielle s’applique à la
liberté de religion sur le lieu de travail.
Les Cours d’appel on ainsi régulièrement condamné des comportements prosélytes17.
Ainsi, la Cour d’appel de Toulouse (juin 1997) a invoqué l’obligation de neutralité du salarié
en estimant que « constitue une faute grave par méconnaissance de l’obligation de neutralité,
le prosélytisme reproché à un animateur d’un centre de loisir laïc qui avait lu la Bible et distribué
des prospectus en faveur de sa religion aux enfants ».
Toutefois, pour la CEDH comme pour le Conseil d’Etat, le port d’un vêtement ou d’un
insigne manifestant l’appartenance à une religion, à un parti politique ou à un mouvement
philosophique ne constitue pas en soi un acte de pression ou prosélytisme18.
Dans sa délibération du 6 avril 2009, la HALDE a considéré que la liberté de religion et
de conviction du salarié devait « pouvoir s’exercer dans les limites que constituent l’abus du
droit d’expression, le prosélytisme ou les actes de pressions à l’égard d’autres salariés ».

15 Soc. 29.05.86 « régularité du licenciement d’un salarié d’obédience musulmane fondamentaliste ayant refusé de
passer la visite médicale annuelle parce qu’un changement dans son organisation la rendait incompatible avec ses
convictions religieuses ».
16 Il s’agissait en l’espèce d’un salarié qui s’était exprimé à l’extérieur de l’entreprise sur ses conditions de travail.
17 Décision de la Cour d’appel de Basse-Terre, 6 novembre 2006 : est fondé sur un motif réel et sérieux le
licenciement d’un salarié multipliant les « digressions ostentatoires orales sur la religion ». Décision de la Cour
d’appel de Rouen de Rouen du 25 mars 1997 : est fautif un salarié qui avait développé un prosélytisme
dépassant le cadre normal de la liberté d’expression.
18 CE, 27 novembre 1996, M. et Mme Jeouit.
54  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

D’autres restrictions - aux contours plus imprécis peuvent parfois être justifiées par des impératifs
liés au bon fonctionnement de l’entreprise
Le respect des opinions religieuses ne doit pas occulter les contraintes liées à
l’organisation du travail et au bon fonctionnement de l’entreprise.
ٰ Les restrictions à la liberté vestimentaire en général
La jurisprudence reconnaît à l’employeur le droit de restreindre la liberté vestimentaire
du salarié au motif que ce dernier doit, au regard de ses fonctions, véhiculer auprès de la
clientèle une certaine image en adéquation avec celle des produits qu’il a en charge de
vendre ou de représenter.
A cet égard, on peut citer l’arrêt dit « du bermuda » de mai 2003 par lequel la Cour
de cassation a donné raison à l’employeur qui avait plusieurs fois mis en garde son salarié
sur l’inconvenance de sa tenue, au regard du « respect des usagers ». En dépit de plusieurs
avertissements, le salarié a fait preuve d’une certaine mauvaise volonté voire cherché à
provoquer l’employeur en refusant obstinément de modifier sa tenue vestimentaire. Il a
donc été licencié pour faute, ce que la Cour de cassation a considéré comme une sanction
légale. On retrouve cette même idée dans un arrêt de la Cour d’appel de Metz (mars 2009) où
la salariée, vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter, refusait obstinément de porter les
vêtements de la marque du magasin dans lequel elle travaillait : la Cour d’appel a approuvé
son licenciement.
ٰ Les restrictions au port de signes religieux
La raison de la relation à la clientèle est souvent invoquée par les employeurs
pour restreindre la liberté du salarié de se vêtir à sa guise ou d’arborer les signes d’une
appartenance confessionnelle. De telles restrictions peuvent être justifiées par l’objet et
l’intérêt économique de l’entreprise. Sur cette question, il existe plusieurs jugements de
Cours d’appel mais ils ne vont pas tous dans le même sens. La Cour de cassation n’a pas
encore eu à statuer sur ce point, aucun recours ne lui étant parvenu, ce qui laisse subsister
une incertitude juridique et un risque pour l’employeur.
Au cas par cas, le juge a tenté de concilier la liberté de religion et de convictions des
salariés et les intérêts des entreprises. Il a de ce fait progressivement accru les exigences de
justifications attendues de l’employeur.
Le 9 septembre 1997, la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion (97/703306) a admis
le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’une salariée musulmane refusant d’adopter
une tenue conforme à « l’image de marque » de l’entreprise. En l’espèce, la Cour d’appel
a souligné que le vêtement recouvrait l’intéressée de la tête aux pieds et que la salariée
ne portait pas ce type de tenue lors de son embauche. D’autre part, l’intéressée, vendeuse
d’articles de mode féminin, portait dorénavant un vêtement qui ne reflétait pas l’image
véhiculée par la boutique de mode dans laquelle elle était employée et dont elle devait
refléter la tendance en raison de son rôle de conseil à la clientèle. Il a donc été retenu que
son licenciement ne constituait pas une discrimination en raison de sa religion mais qu’il
était fondé sur une cause objective ayant trait, pour des impératifs commerciaux liés à
l’intérêt de l’entreprise, à la mise en conformité entre l’esprit mode de l’enseigne et la tenue
du personnel chargé de l’accueil, du conseil de la clientèle et de la vente d’articles de mode
féminins
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  55

En revanche, le 19 juin 2003, la Cour d’appel de Paris (03/30212) confirme la réintégration,
ordonnée en référé, d’une salariée licenciée travaillant dans un centre d’appel et portant un
foulard cachant les cheveux, les oreilles, le cou et la moitié du front. Les juges retiennent que
la salariée avait été embauchée avec ce même voile et que son contrat de travail comportait
dès sa conclusion une clause de mobilité lui permettant d’aller directement chez les clients.
Cela n’avait soulevé aucune difficulté tant que l’intéressée occupait un poste d’études et
de sondage mais dès que l’intéressée a été mutée au siège de l’entreprise sur un poste de
télémarketing en lien régulier avec des clients se rendant dans les locaux de l’entreprise, il lui
a été demandé de nouer son voile en « bonnet », ce qu’elle a refusé.
La Cour d’appel vise les dispositions du code du travail et l’article 9 de la Convention
Européenne des Droits de l’Homme qui consacrent la liberté de pratiquer sa religion ou
ses convictions en prévoyant que cette liberté ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles prévues par la loi. Elle affirme que l’employeur doit apporter la preuve de l’existence
d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination de nature à justifier sa décision.
En l’espèce, les juges ont considéré que l’employeur ne faisait état d’aucun problème
relationnel de sa salariée avec un client en raison du port du foulard. Aussi, le simple fait
d’être au contact de la clientèle ne semble-t-il pas être en soit une justification légitime pour
restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié.
La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a émis
un avis sur ce point. Pour elle, le simple fait d’être au contact de la clientèle n’est pas, en soi,
une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié.
Le chef d’entreprise doit justifier, pour chaque cas, de « la pertinence et de la proportionnalité
de la décision au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution afin de
démontrer que l’interdiction du port de signes religieux est, en dehors de toute discrimination,
proportionnée et justifiée par la tâche à accomplir ».
ٰ La question des autorisations d’absence pour motif religieux
Des demandes concernant la pratique religieuse peuvent avoir des répercussions
techniques sur l’organisation du travail. L’intérêt de l’entreprise est une raison suffisante
pour refuser une autorisation d’absence quel qu’en soit le motif, y compris religieux.
La Cour de cassation dans un arrêt du 16 septembre 1981 a considéré que l’employeur
avait valablement opposé un refus à un salarié qui souhaitait s’absenter pour une fête
religieuse car cette absence aurait empêché une livraison importante. La jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’Homme va dans le même sens : des requêtes de plaignants
qui estimaient que leur travail entravait leurs pratiques religieuses ont été rejetées19.
De même, la HALDE a eu l’occasion de préciser que les autorisations d’absences pour
fête religieuse peuvent être refusées par l’employeur si la décision est étrangère à toute
discrimination. « En effet, des limitations peuvent être imposées dès lors qu’elles sont justifiées et
proportionnées notamment par l’organisation du travail dans l’entreprise et la nécessité avérée
de la présence du salarié concerné à cette date » (délibération n° 2007-301 du 14 novembre
2007).
19 CEDH, 12 mars 1981, X c/Royaume-Uni: un instituteur musulman demandait un aménagement de son emploi
du temps pour prier le vendredi. CEDH, 3 décembre 1996, Konttinen c/Finlande : un cheminot finlandais
membre de l’Eglise adventiste du 7ème jour avait quitté son poste sans autorisation, un vendredi avant le
coucher du soleil. CEDH, 9 avril 1997, Louise Stedman c/Royaume-Uni : une salariée chrétienne avait refusé de
nouveaux horaire de travail l’obligeant à travailler le dimanche et avait été licenciée.
56  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

L’hypothèse dans laquelle des absences autorisées pour raison religieuses pourraient, à
un certain degré, produire des effets disproportionnés sur des salariés qui n’en demandent
pas mérite aussi d’être prise en considération. Outre l’organisation du travail, c’est aussi le
principe d’égalité de traitement des salariés qui serait ici en cause20.
ٰ Des exigences liées à « la paix sociale interne » ?
Il convient de rappeler que le rapport Stasi du 11 décembre 2003 préconisait « qu’une
disposition législative, prise après concertation avec les partenaires sociaux, permette au chef
d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des
impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne ».
De même le HCI avait jugé utile, dès son avis de mars 2010, d’évoquer l’importance de
préserver « la paix sociale interne » de l’entreprise. Dans son avis de 2011, le HCI défendait
explicitement l’idée que la laïcité devait pouvoir « être présente et servir de référence au sein
du monde du travail » afin de garantir le « vivre ensemble ». Selon le HCI, dans une société
profondément sécularisée, comme la société française, l’entreprise n’a pas à connaître à
priori la religion du salarié. C’est pourquoi, le HCI « considère qu’il convient d’affirmer que, dans
l’entreprise privée aussi, on a le droit de vouloir travailler dans un cadre religieusement neutre, les
individus pouvant y être préservés de toute pression communautaire. »
Cependant, s’agissant des impératifs liés à « la paix sociale interne », cette prise de
position semble aller au-delà de la simple consécration de la jurisprudence existante. En
effet, le critère de « paix sociale » ne ressort pas à l’heure actuelle de la jurisprudence et
renvoie plutôt à la notion du « vivre-ensemble ».
Dans un article publié dans la Revue du droit du travail, Patrice Adam jugeait fort
difficile d’interdire à l’employeur de prendre en compte les troubles réels, avérés, sur
le fonctionnement de l’entreprise que provoque le port d’un signe religieux. En effet,
l’employeur a des moyens d’agir sur le comportement de ses salariés les plus intolérants.
Responsable du climat de l’entreprise, il doit veiller à éviter toute tension dans les rapports
des salariés entre eux, et des salariés avec l’encadrement. La problématique est donc
différente de celle des réactions de la clientèle.
On pourrait toutefois noter un jugement isolé qui fait référence, sans le dire
explicitement, au critère de la paix sociale : il s’agit de l’arrêt de la Cour d’appel de BasseTerre du 6 novembre 2006 qui a validé le licenciement d’un salarié qui faisait régulièrement
des « digressions ostentatoires orales sur la religion ».
ٰ Les restrictions à la liberté religieuse compte tenu de la spécificité du lieu de travail ?
A titre d’exemple, la convention collective de la branche de l’aide, de l’accompagnement,
des soins et des services à domicile (2010) comprend dans son article 7 un principe de
neutralité, applicable aux salariés de ce secteur, ainsi formulé : « Les salariés sont tenus de
respecter la plus stricte neutralité politique, religieuse, philosophique et syndicale pendant leur
activité professionnelle et une entière discrétion sur ce qu’ils ont pu connaître à l’occasion des
interventions effectuées à domicile et notamment dans les familles compte tenu de la spécificité
du lieu de travail défini à l’article IV.2. »

20 François Gaudu, La Religion dans l’entreprise, Droit social n° 1, janvier 2010, pp. 65-72.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  57

ٰ Des restrictions à la liberté religieuse en raison de la protection de la liberté de conscience
des enfants ?
Dans ce sens, on peut citer la décision de la CEDH relative à la déclaration d’irrecevabilité
de la requête dans l’affaire Dahlab c. Suisse (15 février 2001, n° 42393/98). S’agissant de la
mesure prise par la direction d’une école interdisant à une enseignante de porter le foulard,
décision confirmée par arrêt du Tribunal fédéral en 1997, la CEDH a estimé que la mesure
n’était pas déraisonnable, compte tenu en particulier du fait que les enfants dont Mme
Dahlab avait la charge en tant qu’institutrice avaient entre quatre et huit ans, âge auquel ils
étaient plus facilement influençables que des élèves plus âgés.
En outre, l’article 2 du protocole additionnel n° 1 de la CEDH protège le droit des parents
d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants en harmonie avec leurs convictions
philosophiques ou religieuses, ce qui pourrait, le cas échéant, fonder un droit à la neutralité
dans l’intérêt même de l’enfant auquel les parents souhaite dispenser une éducation non
confessionnelle et laïque.
Dans un avis du 1er septembre 2011 le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) a affirmé
clairement que « l’enfant a droit à la neutralité et l’impartialité » en sorte que « le personnel
des établissements associatifs accueillant des enfants en mode collectif devrait respecter ces
principes » (Avis du HCI, « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise », 1er sept. 2011).
Dans un avis rendu par la HALDE le 26 mars 2011, celle-ci préconise aussi - revenant en
cela sur sa position du 3 mars 2008 - « d’examiner l’opportunité d’étendre aux structures privées
des secteurs social, médico-social et de la petite enfance chargées de mission de service public ou
d’intérêt général, les obligations de neutralité qui s’imposent aux fonctionnaires » (délibération
n° 2011-67 du 28 mars 2011).
Enfin, le deuxième considérant de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Baby Loup
insistait sur la nature du public accueilli : la juridiction estime, en effet, que les enfants
de la crèche « n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance
religieuse », considération tirée de la liberté de conscience qui n’apparaissait pas
explicitement dans la décision de la juridiction prud’homale et qui ne sera pas retenue par
la Cour de cassation.
ٰ Les accommodements et l’exécution de bonne foi du contrat de travail
L’obligation faite au salarié de se tenir à l’exécution des dispositions du contrat de travail
serait en partie contrebalancée par un autre principe, celui de la « bonne foi contractuelle »
laquelle, selon la doctrine, s’impose à l’employeur et peut parfois conduire à s’écarter un peu
de la lettre du contrat21 et impliquer que, face aux demandes des salariés, l’employeur doit
accepter des accommodements.
Il ne s’agit pas d« accommodements raisonnables » au sens dans lequel cette notion est
comprise au Québec, c’est à dire un mécanisme de réparation destinée à compenser le fait
que la culture publique d’un pays est élaborée par des groupes dominants et qu’elle n’est
à ce titre ni neutre ni universelle. Comme l’écrit le Professeur Michel Miné, il s’agit plutôt de
surmonter la tension qui existe entre le souhait d’être traité comme les autres et l’aspiration
à voir prises en compte ses demandes particulières - tension entre désir d’égalité et désir de
liberté qui est « au cœur de l’exigence juridique de non-discrimination »22.
21 François Gaudu (2010) rappelle que le Professeur Jean Savetier est le premier à avoir formulé ce principe.
22 Michel Miné, op. cite 2013, p. 29.
58  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Dans l’examen des demandes, l’employeur prend nécessairement en considération
les contraintes de la production, les attentes de la clientèle, les exigences de sécurité, les
intérêts des autres salariés. Si au regard de l’ensemble de ces paramètres, il n’existe pas
d’inconvénient réel à la satisfaction de la demande du salarié, l’employeur doit faire la
preuve de sa bonne foi contractuelle en donnant une suite favorable. Son obligation, dans
l’exécution du contrat de travail, est de traiter avec sérieux, sans négligence et sans a priori
les demandes des salariés quel qu’en soit le motif.

En l’état actuel du droit, une limitation trop forte de la
liberté religieuse dans l’entreprise serait, hormis des
situations bien spécifiques, très fragile juridiquement
La liberté d’expression religieuse repose sur des exigences constitutionnelles et
conventionnelles au niveau européen qui encadrent et limitent nécessairement une
éventuelle intervention législative dans ce domaine (1). A droit constant, la liberté
d’expression religieuse peut être encadrée dans des situations bien spécifiques (2). Pour
autant, de nombreuses voix s’élèvent pour préconiser une intervention du législateur afin de
permettre aux employeurs de mieux encadrer les pratiques religieuses dans l’entreprise (3).

En l’état actuel du droit, aucun fondement juridique n’apparaît
suffisamment solide pour justifier une restriction trop générale
à l’expression des convictions religieuses dans l’entreprise
La marge d’appréciation du législateur, a fortiori des employeurs, semble limitée par
les exigences constitutionnelles et les normes conventionnelles notamment au niveau
européen.
ٰ Le principe de laïcité n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé
Le principe de laïcité, qui irrigue notre tradition juridique depuis plus d’un siècle, trouve
un fondement constitutionnel solide (article 1er de la Constitution) et a été reconnu par la
Cour européenne des droits de l’homme (cf., notamment, CEDH, 10 novembre 2005, Leyla
Şahin c./Turquie, n° 44774/98).
Toutefois, comme vient de le rappeler la Cour de Cassation (arrêt Baby Loup, 19 mars
2013), « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux
salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. »
De sorte que l’inscription éventuelle dans la loi, a fortiori dans un règlement intérieur,
d’un principe de « neutralité religieuse » applicable dans l’entreprise et qui produirait les
mêmes effets juridiques ou pratiques que le principe de laïcité encourt le risque - très
probable - de porter une atteinte excessive à la liberté de conscience et de religion, ainsi
qu’à la liberté pour toute personne d’exprimer sa religion ou ses convictions, libertés qui
sont protégées à la fois par la Constitution et par la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  59

ٰ L’invocation des principes fondamentaux de protection de la dignité et de l’égalité entre
les hommes et les femmes peuvent sembler difficilement opposables
Dans son étude de 2010, le Conseil d’Etat (CE) a examiné si ces deux principes,
qui peuvent être rapprochés ou conçus de manière autonome, pourraient fonder une
interdiction du port du voile intégral dans l’espace public. Ils justifieraient en effet la sanction
de l’atteinte à la dignité de la femme que constitue sa dissimulation totale dans l’espace
public et la conception inégalitaire de la relation entre les sexes que cette tenue manifeste.
Sans revenir dans le détail de cette analyse, qui est transposable sans difficulté dans
« l’espace social » que constitue l’entreprise, il n’est pas inutile de rappeler les principales
conclusions du Conseil d’Etat.
y Le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humain
Ce principe trouve des bases jurisprudentielles solides dans notre droit interne comme
en droit international.
Il existe deux conceptions de la dignité qui peuvent potentiellement s’opposer ou se
limiter mutuellement : celle de l’exigence morale collective de la sauvegarde de la dignité,
le cas échéant, aux dépens du libre-arbitre de la personne et celle de la protection du libre
arbitre comme élément consubstantiel de la personne humaine. Or, la Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH) a très largement fait sienne cette seconde acception en
protégeant, sur le fondement du droit au respect de la vie privée, un principe d’autonomie
personnelle selon lequel chacun peut mener sa vie selon ses convictions et ses choix
personnels, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger, dès lors que
cette attitude ne porte pas atteinte à autrui.
En conséquence, le fondement juridique de la sauvegarde de la dignité « est donc
discutable juridiquement eu égard à la variété des circonstances prises en compte, en particulier
dans le cas où le port du voile intégral résulte de la volonté délibérée d’une personne majeure23. »
y Le principe d’égalité des hommes et des femmes
Quant au principe d’égalité des hommes et des femmes, il trouve également un
fondement constitutionnel (article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen et 2ème alinéa de l’article 1er de la Constitution pour l’égal accès des hommes et des
femmes aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales).
Son importance, qui n’a cessé d’être plus fortement et concrètement soulignée, se traduit,
dans notre société, par des actions volontaristes qui se veulent à la mesure des obstacles et
des retards qui subsistent.
Toutefois, il convient de relever que ce principe est invoqué soit directement à l’encontre
des discriminations, soit pour obtenir qu’un traitement égal soit effectivement assuré aux
hommes et aux femmes. Opposable à autrui, il n’a pas, en revanche, vocation à être opposé
à la personne elle-même, c’est-à-dire à l’exercice de sa liberté personnelle, laquelle peut, le
cas échéant, la conduire à adopter un comportement susceptible d’être interprété comme
consacrant son inégale situation, y compris dans l’espace public dès lors que son intégrité
physique n’est pas atteinte.

23 Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, Conseil d’État, 25 mars 2010.
60  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

En dépit de leur forte assise juridique, ces fondements, qu’ils soient combinés ou pris
isolément, n’apparaissent pas, selon le Conseil d’Etat, adaptés faute de pouvoir s’appliquer à
des personnes qui ont choisi délibérément le port du voile intégral.
Il est à noter toutefois, sans que cela ait pour objet ou pour effet de conduire à une
interdiction du port du voile intégral, que le juge administratif a admis que le ministre de
l’intérieur puisse se fonder sur un comportement incompatible avec les valeurs essentielles
de la communauté française et notamment avec le principe d’égalité des sexes, qui incluait en
l’espèce le port de la burqa, pour caractériser un défaut d’assimilation et justifier légalement
un refus d’acquisition de la nationalité française par mariage sur le fondement de l’article
21-4 du Code civil (CE, 27 juin 2008, Mme M., n° 286798), ce qui devrait s’appliquer a fortiori à
un refus de naturalisation. Cette décision concerne un comportement par lequel une femme
a manifesté à plusieurs reprises son opposition radicale aux valeurs de la République.
Enfin, une interdiction portant spécifiquement sur le voile intégral pourrait être
interprétée comme une ingérence de la puissance publique dans le bien-fondé des
pratiques religieuses. Or, si la Cour européenne des droits de l’homme peut être sensible à la
signification de telles pratiques, en particulier en termes d’égalité des sexes (V. par exemple
le § 98 de l’arrêt Leyla Sahin et CEDH, 13 février 2003, Refah Partisi, n° 41340/98 admettant la
dissolution d’une organisation politique prônant l’instauration de la « charia », incompatible
avec les objectifs de la convention européenne, « notamment eu égard (…) à la place qu’il
réserve aux femmes dans l’ordre juridique (…) »), elle rappelle de manière constante que « sauf
dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation étatique
sur la légitimité des croyances religieuses » (CEDH, 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch
c./Bulgarie,n° 30985/96, § 78).

L’encadrement de la liberté d’expression religieuse
dans des situations bien spécifiques
Les garanties apportées par le Code du travail à la liberté d’expression dans l’entreprise
ne s’appliquent pas aux agents ou aux salariés accomplissant une mission de service
public (a). La liberté religieuse se pose de manière particulière dans les entreprises dites de
« tendance » (b).
ٰ Les employeurs privés poursuivant une mission de service public
Si le principe de laïcité et la règle de neutralité ne peuvent être opposés aux salariés
dont l’activité - quelle qu’elle soit - ne relève pas du service public, il l’est, en revanche, à tous
ceux qui participent à l’accomplissement d’une mission de service public.
Le principe de neutralité du service public et le principe de laïcité sont applicables à
l’ensemble des agents de service public y compris aux salariés des organismes de droit privé
gérant un service public (CE, 31 janv. 1964, Caisse d’allocations familiales de l’arrondissement
de Lyon).
De même, l’arrêt CPAM du 19 mars 2013 rendu par la Cour de Cassation affirme que
le principe de laïcité est bien applicable aux organismes privés dès qu’ils poursuivent des
missions de service public, peu importe d’ailleurs que les salariés en cause soient en contact
ou non avec la clientèle.
Tous les salariés participant à une mission de service public sont donc tenus de
respecter le principe de neutralité qui leur interdit le port de tout signe religieux même

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  61

s’ils n’occupent que des fonctions subalternes et n’ont aucun contact avec le public. Le
Professeur Emmanuel Dockès pense qu’en droit privé, une autre solution était possible. Elle
aurait consisté à réserver l’obligation de neutralité à certaines catégories de personnels,
« emblématiques du service public » et en exclure « certaines tâches occasionnelles et (ou)
subalterne qui n’engagent nullement le service public dans son ensemble, ni ne menacent
sa neutralité. » Une telle solution aurait aussi, selon lui, permis de tenir compte du lien plus
indirect que les salariés de droit privé ont avec la puissance publique24.
ٰ La liberté religieuse dans les entreprises « de tendance »
La prise en compte de la liberté d’expression du salarié dans le cadre de l’entreprise
privée concerne également la question des entreprises dites « de tendance » qui recouvre
les associations, établissements ou entreprises « qui ont des activités professionnelles […]
dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions ».
y La protection de la liberté religieuse
L’entreprise de tendance est en droit d’attendre du salarié bonne foi et loyauté envers
des valeurs qu’elle entend promouvoir. La jurisprudence examine le comportement
du salarié. En effet, dans les entreprises de tendance, les convictions religieuses sont «
une partie essentielle et déterminante du contrat de travail ». Le licenciement fondé sur
l’incompatibilité entre les convictions religieuses de l’entreprise et celles du salarié peut dès
lors être justifié dans le cas de l’existence d’un trouble causé au sein de l’entreprise.
Par ailleurs, la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre
général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, prévoit des
dispositions particulières pour les entreprises dites de tendance.

24 Emmanuel Dockès, op.cit.
62  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Encadré 2 : expression religieuse et entreprises de “tendance”
Une attitude de bonne foi et de loyauté peut à bon droit être sollicitée du salarié envers
l’éthique de l’entreprise de tendance.
La décision de référence en la matière est l’arrêt d’Assemblée plénière Dame Roy de
1978 : le licenciement à la suite de son divorce d’une institutrice employée dans un
établissement privé n’était pas fautif dès lors que les convictions religieuses avaient
été incorporées dans le contrat de travail. Cette solution a été réaffirmée en 1986 : une
enseignante de la faculté théologique protestante de Montpellier a pu être légitimement
licenciée en raison de son comportement incompatible avec les idées qu’elle était
chargée de diffuser. Lorsqu’un salarié a été engagé « pour accomplir une tâche impliquant
qu’il soit en communion de pensée et de foi avec son employeur, il peut être licencié dès lors
qu’il méconnaît les obligations résultant de cet engagement ».
De même, un curé peut licencier un sacristain qui refuse de travailler le dimanche
(Conseil de Prud’hommes de Rennes, 8 juillet 1993) ; un surveillant rituel qui a embrassé
de lui-même la religion juive doit être d’une piété exemplaire et accepter des restrictions
à sa vie privée sans pouvoir se prévaloir de la liberté de la vie privée pour conserver son
emploi (Conseil de Prud’hommes de Toulouse, 23 juin 1995).
Toutefois, l’employeur ne peut contraindre tout le personnel sans distinction à un
alignement des comportements. Ainsi, les motifs du licenciement de l’aide sacristain de
St Nicolas du Chardonnet, qu’ils soient tirés de ses mœurs ou des convictions religieuses,
ne sauraient être fondés à défaut d’un trouble caractérisé dans l’entreprise, compte tenu
des fonctions purement matérielles qu’il occupait.
Source : Extrait du rapport du Conseil d’Etat de 2004 : « réflexions sur la laïcité »

y Des entreprises de « tendance » non confessionnelles ?
La question se pose de savoir si l’on peut considérer que la jurisprudence sur les
entreprises dites de « tendance » est applicable à une association, voire une entreprise
qui aurait mentionné dans son règlement intérieur sa volonté de respecter le principe
de neutralité. En d’autres termes, le principe de laïcité constituerait-il une conviction
philosophique protégé lui aussi, à l’instar des convictions religieuses, par l’article 9 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?
Face à cette interrogation, on doit noter que la jurisprudence actuelle de la Cour de
cassation semble circonscrire les règles spécifiques relatives aux entreprises de tendance
aux associations religieuses ou aux établissements d’enseignement privé relevant d’une
religion déterminée25. Une partie de la doctrine estime également qu’à trop ouvrir la
notion « d’entreprise de tendance » on risquerait « d’y faire tomber, peu ou prou, toutes les
entreprises privées quelles que soit l’activité qu’elle développe »26.

25 Voir aussi Convient-il d’interdire le port de signes religieux dans l’entreprise ? Revue de droit du travail 2009, p. 485,
le Doyen Waquet.
26 Baby Loup : horizons et défense d’une jurisprudence anathème, Patrice Adam, Revue de droit du travail, juin 2013.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  63

Le débat sur l’opportunité d’une loi visant à encadrer l’exercice
de la liberté religieuse dans l’entreprise
Des débats peuvent apparaître sur l’opportunité d’un acte normatif encadrant la liberté
religieuse dans l’entreprise ainsi que sur le périmètre d’intervention du législateur, soit
que celui-ci couvre l’ensemble de la sphère professionnelle privée, soit qu’il se limite aux
structures associatives de la petite enfance ou aux structures sociales et médico-sociales
régies par la loi de 2002.
ٰ Une liberté insuffisamment encadrée au plan législatif ?
Ainsi, l’avis du HCI de 2011 part du postulat que « l’exercice de la liberté de conscience
-y compris religieuse- au sein de l’entreprise privée est à ce jour très insuffisamment encadré de
façon spécifique par des textes de loi et règlements, si ce n’est par une jurisprudence circonstanciée
et une directive communautaire. Aucun accord des partenaires sociaux, notamment à travers
des conventions collectives, n’a à ce jour abordé la question de l’expression religieuse dans
l’entreprise. »
Dans ces conditions, d’aucuns soutiennent que la loi serait l’outil normatif adapté pour
encadrer l’expression religieuse dans l’entreprise, l’article 34 de la Constitution attribuant
compétence au législateur pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Enfin, d’aucuns considèrent que dans nos systèmes de droit continental, à la différence
de ce qui prévaut dans les systèmes de common law, les questions de société doivent être
prioritairement tranchées par le législateur et non par le juge27.
ٰ Une intervention législative préconisée par le HCI
« Insérer dans le Code du travail un article pour que les entreprises puissent intégrer dans
leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires et au port de
signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou à la paix
sociale interne »28. Dans son avis de 2010, le Haut Conseil à l’intégration (HCI) reprend cette
proposition du rapport du 11 décembre 2003 de la Commission de réflexion sur l’application
du principe de laïcité dans la République présidée par Bernard Stasi.
Il constate aussi que depuis 2004, se sont développées de multiples exigences
particulières, jusqu’à atteindre des pressions communautaires ou encore des comportements
de discrimination à l’égard des femmes. Le Haut conseil à l’Intégration propose donc d’aller
au-delà de la modification du code du travail proposée par la « Commission Stasi », en traitant
non seulement des tenues vestimentaires, mais des pratiques religieuses dans l’entreprise
(prières, restauration collective, par exemple).
Dans l’entreprise, le Haut Conseil à l’Intégration confirme, cependant, la proposition
de la « Commission Stasi » pour qu’il soit permis aux salariés, dans la mesure du possible,
de choisir un jour de fête religieuse sur leur crédit de jours fériés. De même, il invite les
administrations et entreprises à prévoir des mets de substitution (non religieux) dans leurs
espaces de restauration collective.

27 Audition devant la section du travail et de l’emploi de Jean-Guy Huglo, le 19 juin 2013.
28 Recommandations du Haut Conseil à l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les
espaces publics de la République (2010).
64  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

ٰ Une liberté difficile à encadrer sur le seul fondement juridique du règlement intérieur ?
Il ressort de la jurisprudence de la CEDH que la restriction à la liberté religieuse doit être
prévue par la loi, entendue au sens du droit écrit et de la jurisprudence, à la condition que
celle-ci soit suffisamment stable et prévisible. Au titre du droit écrit, la loi peut s’entendre
aussi d’une norme de nature réglementaire dès lors qu’elle est prise sur délégation du
pouvoir législatif, la Cour européenne des droits de l’homme vérifiant précisément ce point,
comme dans l’affaire Leyla Sahin où elle examine si l’on peut considérer que la circulaire du
conseil d’administration de l’université d’Istanbul interdisant le port du voile islamique à
l’université peut être considérée comme adoptée sur délégation de la loi turque.
La question se pose de la possibilité d’encadrer les pratiques religieuses dans l’entreprise
au moyen du seul règlement intérieur lequel fixe notamment les règles générales et
permanentes relatives à la discipline au sein de l’association.
A cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que le
règlement intérieur d’un employeur de droit privé constitue un acte réglementaire de droit
privé (Soc. 25 sept. 1991, Bull. V n° 381) et que le contrôle de légalité dévolu à l’inspecteur
du travail par l’article L. 122-37 (désormais L. 1322-1) du Code du travail ne saurait lui ôter sa
nature pour le transformer en un acte administratif (Soc. 16 déc. 1992, Bull. V n° 602).
Selon l’article L. 1321-1 du Code du travail :
Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement :
1° Les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité
dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L. 4122-1 ;
2° Les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la
demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé
et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaissent compromises ;
3° Les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et
l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur.
Seules les mesures visées au 1° et au 2° de cet article L. 1321-1 pourraient être considérées
comme des mesures prises sur délégation de la loi s’agissant d’appliquer la réglementation
en matière de santé et de sécurité. En revanche, la clause litigieuse du règlement intérieur de
l’association Baby Loup par exemple relève du 3° de cet article et ne pourrait donc pas être
considérée comme une mesure d’application d’une disposition législative.
ٰ Une liberté plus encadrée dans le secteur de la petite enfance ?
Rappelons que le principe de laïcité, institué par l’article 1er de la Constitution, vise
seulement l’Etat et les administrations publiques entendues au sens large puisqu’il s’impose
aussi aux salariés des organismes de droit privé gérant un service public, comme indiqué
précédemment.
En conséquence, il n’est pas applicable aux associations ou organismes privés qui
poursuivent une mission qualifiée d’intérêt général mais ne relevant toutefois pas du service
public au sens strict.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  65

C’est pourquoi plusieurs propositions de loi ont été déposées qui visent à étendre
l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance, car en
l’état actuel du droit français, il n’existe pas de norme législative imposant aux salariés d’un
employeur de droit privé accueillant des enfants en bas âge le respect du principe de laïcité.
Certains préconisent d’étendre l’obligation de neutralité aux salariés en contact avec
les « publics sensibles » (enfants, personnes âgées, handicap etc.). Ainsi, dans son avis du
1er septembre 2011, le HCI affirmait clairement que « l’enfant a droit à la neutralité et à
l’impartialité ».

66  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexe n° 5 : le principe de laïcité
dans le cadre du service public
Au sens large, la laïcité renvoie à l’idée d’une perte d’emprise de la religion sur la société.
A ce titre, laïcisation et sécularisation son synonymes et désignent un processus qui s’est
déroulé progressivement, de façon plus ou moins aboutie, dans toutes les démocraties
occidentales. Dans le contexte français, la notion de laïcité est attachée à une modalité
particulière de la transformation des rapports entre l’Eglise et l’Etat qui a abouti à une
séparation instituée.

L’esprit de la loi de 1905
La loi du 9 décembre 1905 qui organise la séparation des églises et de l’Etat est
considérée par la doctrine comme faisant partie des principes fondamentaux de la
République. Elle a introduit une double rupture : rupture avec la tradition de l’établissement
de l’Eglise catholique dans la société politique ; rupture avec la tradition régalienne dans
laquelle l’Etat s’efforçait de régenter les affaires religieuses. A ce titre, elle apparaît comme
« la clef de voute de la laïcité » bien qu’elle ne contienne aucune référence explicite à cette
notion.
La liberté de conscience, de religion, le libre exercice des cultes envisagés à l’article 1er
de la loi, le principe de séparation consacrant la neutralité de l’Etat face à la religion à l’article
2, constituent les deux piliers de la laïcité.
Pour l’enseignement public, dans une période de fortes tensions entre la jeune
république et l’église catholique, deux textes importants avaient, en quelque sorte, anticipé
la séparation : la loi Ferry du 28 mars 1882 sur la gratuité et l’obligation scolaire et surtout la loi
Goblet du 30 octobre 1886, qui excluait pour les communes la possibilité de subventionner
une école libre pour satisfaire à leur obligation d’entretien d’une école élémentaire.
Cependant, bien qu’une interprétation antireligieuse de la loi de 1905 ait été favorisée
par les circonstances politiques qui ont présidé à son adoption, ce n’était pas là l’intention
véritable de ses auteurs. Pour ces derniers, le but à atteindre n’était pas de refouler les
religions et leurs manifestations hors de l’espace public mais de formaliser l’indépendance
de l’Etat et de la sphère religieuse, à la fois en s’écartant définitivement de la tradition
d’ancien régime du monopole catholique et en mettant un terme au contrôle des religions
par l’Etat tel que l’avait institué le concordat de 1801.
Aristide Briand, rapporteur du projet de loi, plaidait alors pour « une séparation loyale ».
Même si dans les mois et les années qui ont suivi l’adoption de la loi, la « querelle des
inventaires » a alimenté les tensions avec une partie de l’opinion catholique, les promoteurs
d’un « Etat areligieux »29 se sont placés sur le terrain du compromis, en particulier en termes
symboliques. En renonçant à instaurer un calendrier républicain, en maintenant les fêtes
religieuses comme des fêtes publiques ou en ne détruisant pas les calvaires, ils ont avalisé
l’idée que la France ne pouvait se couper de ses racines religieuses.

29 L’expression est d’Aristide Briand.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  67

Conformément aux vœux du législateur, le juge administratif a, par la suite, donné
une interprétation libérale de la loi de 1905, notamment en veillant à la mise en œuvre
du principe de libre exercice des cultes et en affirmant la liberté de conscience et, par là
même, la liberté religieuse. Il a ainsi contribué à imposer une conception, qui peut être
qualifiée d’ouverte, de la laïcité30. Loin de s’opposer à la liberté religieuse cette dernière en
constitue plutôt le soutien. Un Etat démocratique met en avant sa neutralité religieuse en
vue d’organiser la coexistence dans la société de croyances susceptibles de revendiquer leur
supériorité voire leur exclusivité les unes par rapport aux autres. Il garantit à chaque citoyen
la liberté de penser et de vivre selon ses convictions31.
Paradoxalement, pour réaliser cette libération de la société et des individus, l’Etat laïque
est conduit à restreindre la liberté de ses représentants dans l’expression de leurs opinions
religieuses ou autres, en leur imposant une obligation de neutralité32.

L’obligation de neutralité des agents publics
L’interdiction de la manifestation des croyances religieuses
dans le cadre du service
La neutralité des agents publics conditionne l’effectivité de la liberté de conscience et
de religion dans la société ainsi que la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement
des citoyens devant les services publics. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel considère
aujourd’hui la neutralité comme l’un des principes constitutionnels régissant le service
public (décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 et décision n° 96-380 DC du 23 juillet
1996).
La liberté de conscience et de religion des agents de l’Etat est donc nécessairement
limitée par la neutralité qui s’impose à eux dans l’exercice de leurs fonctions : ils ne peuvent
exercer, dans le cadre du service public, leur droit de manifester leur croyance religieuse.
Le prosélytisme pendant le service, le fait d’arborer des signes religieux, sont interdits
aux agents dans la mesure où ils constituent une violation de la neutralité du service public.
Selon le Conseil d’Etat : « le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents disposent dans le
cadre du service public du droit de manifester leurs croyances religieuses. Il n’y a pas lieu d’établir
une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions
d’enseignement »33.
Le Conseil d’Etat a précisé que les suites à donner à ce manquement, notamment sur
le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge,
compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des
autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté.
Cette obligation de neutralité est conçue de manière assez stricte. Le Conseil d’Etat,
interrogé sur le fait de savoir s’il convenait dans certains cas, d’opérer une distinction entre

30 Conseil d’Etat, Un siècle de laïcité. Rapport public 2004, pp. 245-266.
31 Sur la complémentarité entre laïcité et liberté religieuse, voir : Emmanuel Dockès, Liberté, laïcité, Baby Loup : de
la très modeste et très contestée résistance de la Cour de cassation face à la xénophobie montante, Droit social, n° 5,
mai 2013, p. 388- 395.
32 A cet égard, la laïcité n’est pas antireligieuse mais a-religieuse (Aristide Briand).
33 CE avis 3 mai 200, MelleM., AJDA 2000.
68  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

les signes religieux selon leur nature ou le degré de leur caractère ostentatoire, a considéré
que le port d’un signe d’appartenance à une religion, par un agent public en fonction,
constituait un manquement à ses obligations et une faute.
Un arrêt récent (CE. 15 octobre 2003 M. Odent) confirme, dans un autre domaine,
l’application rigoureuse de l’obligation de neutralité : le fait pour un agent public d’utiliser les
moyens de communication du service (messagerie électronique) au profit de l’association
pour l’unification du christianisme mondial constitue un manquement au principe de laïcité.
Ainsi, les agents publics doivent assurer le service public de façon égale quelles que
soient les convictions politiques ou religieuses des usagers34.

Un principe exceptionnellement appliqué
aux usagers du service public
Le législateur a même étendu, par la loi du 15 mars 2004, l’obligation de neutralité
vestimentaire à des usagers du service public, en l’occurrence les élèves des écoles, collèges
et lycées, ce qui a conduit le Conseil d’Etat à revoir, sur ce point précis, sa jurisprudence.
Après avoir reconnu aux élèves « le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances
religieuses à l’intérieur des établissements scolaires », il a exclut celui « d’arborer des signes
qui par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constituerait un acte de pression. »
Toutefois, le service public de l’enseignement constitue une exception. Pour tous les autres
usagers des services publics, la liberté reste la règle. Conformément à l’arrêt Kherouaa (CE
2 novembre 1992), ils disposent du droit d’exprimer et de manifester par leurs attitudes et
comportements leurs opinions religieuses, à la condition toutefois, que ceux-ci ne troublent
pas son fonctionnement.

La protection de la liberté de conscience
Tout en veillant à une application stricte du principe de neutralité, le Conseil d’Etat
veille, depuis le début du XXè siècle, à protéger la liberté de conscience des agents publics
à l’encontre de restrictions abusives qui pourraient leur être imposées au nom de la laïcité.
C’est particulièrement en ce sens qu’il a contribué à imposer une conception ouverte de la
laïcité.
Il a censuré l’administration lorsqu’elle déniait à des candidates ayant des croyances
religieuses l’aptitude à des fonctions d’institutrices (CE. 3 mai 1950 Dlle Jamet). De même
a-t-il jugé illégal le licenciement d’une assistante sociale scolaire au seul motif de ses
opinions religieuses (CE. 28 avril 1938 Dlle Weis). Enfin, dans son avis Dlle Marteaux, du 3 mai
2000, rendu suite à une demande du tribunal administratif de Chalons en Champagne, il
a rappelé que les agents de l’enseignement public bénéficiaient, comme tous les autres
agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la
religion dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de carrière35.
Entre temps, le législateur avait d’ailleurs explicitement posé le principe de la liberté
de conscience des agents publics. L’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligation des fonctionnaires précise en effet qu’aucune distinction ne peut être faite entre
agents publics selon leurs croyances religieuses.

34 Le principe de laïcité et la Fonction publique. Note DAJ/Bureau du droit public, février 2012.
35 Conseil d’Etat, Un siècle de laïcité, Rapport public 2004.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  69

Les aménagements horaires
L’obligation de neutralité qui s’impose aux agents dans le cadre de l’exercice des
missions de service public n’exclut pas la possibilité d’arrangements pour faciliter la pratique
religieuse personnelle en dehors du lieu de travail comme l’atteste la publication par les
administrations du calendrier des fêtes religieuses de l’année civile pour lesquelles des
autorisations d’absences peuvent être accordées sous réserve de leur compatibilité avec le
fonctionnement normal du service. La liste des fêtes religieuses correspond aux principaux
cultes pratiqués sur le territoire national. Les fêtes catholiques et protestantes étant déjà
prises en compte au titre du calendrier des fêtes légales, les dates spécifiées sont celles des
fêtes orthodoxes, arméniennes, musulmanes, juives, bouddhistes36.
La primauté doit, cependant, pour la jurisprudence, être systématiquement accordée
à la continuité et au bon fonctionnement du service sur l’exercice d’une liberté individuelle
telle que la liberté religieuse.
La Commission européenne de sauvegarde des Droits de l’homme a d’ailleurs considéré
que le service public n’est pas tenu de s’adapter aux obligations religieuses de ses agents.
Mais il ne peut être porté d’atteinte à cette liberté religieuse que motivée par les nécessités
du service. Aussi, l’administration doit-elle tenir compte des demandes d’autorisations
d’absence et des demandes d’aménagements d’horaires que lui soumettent ses agents,
pour des raisons d’ordre religieux et bien veiller à fonder ses refus sur les seules nécessités
du service.

Une « cartographie » de la laïcité au travail
Une stricte application aux missions de service public
quel qu’en soit le mode de gestion
L’application du principe de laïcité et de l’obligation de neutralité est strictement
conditionnée par l’existence d’un service public quel que soit désormais le mode de gestion
de ce dernier.
Dans son avis précité du 3 mai 2000 le Conseil d’Etat a apporté une réponse très claire à
la première question du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui portait sur le
lien entre l’obligation de neutralité et la nature des services publics :
« Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience
ainsi que celui de laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble
de ceux-ci ».
Les deux arrêts de la Cour de cassation du 19 mars 2013, sur le port du voile islamique
sont venus confirmer cette jurisprudence. Ils doivent être lus ensemble car à eux deux, ils
dressent la « cartographie de la laïcité37 ».
36 La circulaire du ministère de la Fonction publique n° 901 du 23 septembre 1967 qui « a rappelé que les chefs
de service peuvent accorder aux agents qui désirent participer aux cérémonies célébrées à l’occasion des principales
fêtes propres à leur confession les autorisations d’absences nécessaires », constitue le fondement réglementaire
de cette pratique. Chaque année le calendrier des fêtes religieuses susceptibles de donner lieu à autorisation
d’absence est publié dans les ministères.
37 L’expression est de Françoise Champeaux, L’arrêt Baby Loup en six leçons ? Semaine sociale Lamy n° 1577, 25 mars
2013, p. 5.
70  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Dans l’arrêt CPAM, la Cour de cassation impose une application stricte de la laïcité au
service public, en considérant que tous ses agents quels que soient leur grade, leur fonction
ou le statut (public ou privé) de leur employeur sont astreints à une règle de neutralité, en
l’occurrence d’ordre vestimentaire. C’est bien parce que la CPAM exerce une mission de
service public et sans que sa nature de personne morale de droit privé soit à prendre en
considération, que le respect de l’obligation de neutralité s’impose à l’ensemble des ses
agents. Là encore, la Cour de cassation rejoint une jurisprudence plus ancienne du Conseil
d’Etat qui a affirmé dans l’arrêt Caisses d’allocations familiales de l’arrondissement de Lyon
(CE section, 31 janvier 1964) l’exigence de neutralité pour tous les services publics même s’ils
sont gérés par des organismes de droit privé. Des obligations imposées aux agents publics
peuvent s’appliquer à des salariés du secteur privé, au titre des contraintes de service public.
Dans l’arrêt « Baby Loup », la Cour de cassation rappelle qu’en dehors du service public
le principe de la liberté religieuse prime et que les salariés ne sont pas astreints, en ce qui
concerne l’expression de leurs opinions (politiques ou religieuses), à une règle de neutralité.
Le caractère d’intérêt général de l’activité et la nature essentiellement publique de son
financement ne peuvent suffire à caractériser la volonté d’une collectivité d’en faire un
service public. Tel n’étant pas le cas, la crèche Baby Loup devait se voir appliquer le droit
commun et la Cour de cassation a pu considérer la clause de laïcité et de neutralité figurant
au règlement intérieur comme inopposable car trop générale et imprécise.
Le raisonnement de la Cour de cassation, sur l’appartenance au service public, est
parfaitement en phase avec celui du Conseil d’Etat. Dans une décision de quelques années
antérieures, (CE section du contentieux, A.P.R.E.I. 22 février 2007, n° 264541), ce dernier a
considéré qu’un centre d’aide par le travail remplissait bien une « mission d’intérêt général »
mais que cette mission ne revêtait pas « le caractère d’une mission de service public » dès lors
que le choix inverse des pouvoirs publics pouvait être déduit des dispositions législatives
régissant ce domaine.

Le service public : une notion complexe et évolutive
Cette notion de service public qui constitue la pierre angulaire de la neutralisation
des opinions sur le lieu de travail ne se laisse cependant pas saisir aisément. Elle a aussi
évolué dans le temps. Il n’y a pas de définition une et uniforme du service public et sa
qualification relève très largement du droit prétorien. Le juge pour déterminer l’existence
d’un service public devra se référer, grâce à un faisceau d’indices à ses éléments constitutifs.
Traditionnellement constitue un service public toute activité prise en charge par une
personne publique, poursuivant un but d’intérêt général et soumise à un régime exorbitant
du droit commun. Si chacun de ces éléments importent, ils peuvent être dissociés les uns
des autres :
y Le rattachement à une personne publique
A la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle lorsque se constitue l’Etat laïque, la
règle était encore simple : un service public devait être nécessairement pris en charge
par une personne publique. Toutefois, il a progressivement été admis que des personnes
privées puissent gérer un service public. Ces dernières font alors l’objet d’une investiture
de la part de la personne publique, laquelle abandonne la gestion quotidienne du service,
tout en conservant un pouvoir de création, de suppression, de détermination des règles
fondamentales d’organisation et de fonctionnement du service, ainsi que la faculté
d’imposer des orientations générales. La personne privée est ainsi soumise au contrôle de
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  71

la collectivité publique de rattachement. Ce contrôle peut prendre la forme d’un cahier des
charges, d’un agrément, d’une habilitation ou d’une sanction. Dans les cas litigieux le juge
recherchera les éléments susceptibles d’attester l’existence d’un tel contrôle.
y La mission d’intérêt général
La notion d’intérêt général est au fondement même du droit public. Le service public
ne peut donc être dissocié de la poursuite de l’intérêt général qui en constitue la raison
même. En revanche, la poursuite d’une activité d’intérêt général ne suffit pas, à elle seule, à
déterminer l’existence d’un service public. Pour qu’une personne privée soit dite gestionnaire
d’un service public, la poursuite de l’intérêt général ne suffit pas. Comme mentionné au
paragraphe précédent, les jurisprudences récentes du Conseil d’Etat (A.P.R.E.I., 22 février
2007) et de la Cour de cassation (crèche Baby Loup, 19 mars 2013) sont parfaitement
concordantes sur ce point.
y Un régime dérogatoire du droit commun
L’étude du régime juridique intervient à titre d’indice de la volonté des pouvoirs publics.
Lorsqu’un établissement se voit conférer certaines prérogatives de puissance publique ou
se voit imposer des obligations, orientées par exemple vers des prestations garanties, cela
traduit l’existence du service public.

Une distinction délicate entre mission d’intérêt général
et mission de service public
Les frontières de la laïcité se sont un peu brouillées avec le temps à mesure que se
diversifiait les modalités d’organisation du service public et que son périmètre s’étendait
à des activités sociales et économiques. Lorsque le service public était essentiellement et
directement pris en charge par la puissance publique, les choses étaient simples : la règle de
neutralité ne s’appliquait qu’à l’Etat et à ses agents. Désormais, le fait que des salariés d’un
employeur privé puissent être soumis à l’obligation de neutralité dans l’accomplissement
de leurs tâches, mais parfois pour seulement une partie d’entre elles, constitue un premier
facteur de complexité.
Ainsi, le critère de l’appartenance au service public utilisé pour inclure une activité dans
le champ de la laïcité, ou au contraire l’en exclure, n’offrirait qu’une apparence de solution.
Certains dénoncent son caractère abstrait qui ne tient aucun compte des différences réelles
dans la situation des agents ni de leurs conséquences pour les usagers, en termes de
représentation de la puissance publique et d’égalité devant le service public.
Des activités relevant de l’intérêt général et bénéficiant à ce titre de financements
publics importants, sont placées hors du champ de la laïcité parce que l’intention d’une
personne de droit public de leur conférer le statut service public n’est pas avérée, alors même
que leurs salariés se trouvent engagés dans des tâches comportant une forte dimension
relationnelle, de surcroît auprès de publics « sensibles » (enfants en bas âge, personnes
âgées dépendantes, personnes handicapées…).
La justification sociale de cette logique juridique est loin d’être toujours évidente. En
l’état actuel du droit, un agent technique d’une société privée concessionnaire d’un service
72  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

municipal des eaux pourrait voir sa liberté d’expression strictement limitée au nom de la
neutralité du service public alors que la question ne devrait même pas être posée pour un
éducateur spécialisé, employée par une association subventionnée, intervenant auprès de
jeunes en situation de handicap.

Des activités sociales d’intérêt général maintenues
en dehors du champ de la laïcité
Ainsi, le législateur a délibérément écarté les structures privées du secteur social
et médico-social de la sphère du service public. C’est tout le sens de l’arrêt A.P.R.E.I. du
Conseil d’Etat en date du 22 février 2007 : bien que les centres d’aide par le travail soient
au nombre des institutions sociales et médico-sociales dont la création, la transformation
ou l’extension sont subordonnées à une autorisation délivrée par le président du Conseil
général ou par le préfet et que ces autorisations sont accordées en fonction des besoins de
la population appréciés par la collectivité compétente ; que les CAT soient tenus d’accueillir
les adultes handicapés qui leur sont adressés par la commission technique d’orientation et
de reclassement professionnel de chaque département ; en bref, bien que tous les critères
du service public soient réunis, « il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975,
éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission
assurée par les organismes privés gestionnaires des centre d’aide par le travail revête le
caractère d’une mission de service public38. »
Le secteur privé tient en France, un rôle éminent dans l’action sociale, par le biais
d’établissements d’ébergements pour personnes âgées dépendantes, de foyers de jeunes
travailleurs, des centres d’aide par le travail. Dans une vision plus large peut s’y ajouter
le monde de la petite enfance, en particulier les crèches. Or, dans une certaine tradition
historique, une part significative des structures qui prennent en charge ces activités sociales
ont bien une identité confessionnelle.
Il est intéressant d’observer que les établissements privés du secteur social et médicosocial se trouvent, pour les relations qu’ils entretiennent avec la puissance publique,
dans une situation assez comparables à celles des écoles privées sous contrat. En effet, le
législateur leur impose, depuis 2003, une charte des droits et liberté de la personne accueillie
(article L. 311-4 du Code de l’action sociale et de la famille) qui prohibe en particulier toute
discrimination dans la prise en charge et l’accompagnement des publics à raison de leurs
« opinions et convictions, notamment politiques et religieuses ». Un établissement social et
médico-social peut donc légalement afficher ses convictions religieuses, pourvu qu’il ne les
impose à aucun accueilli ni n’effectue de discrimination39.

La prise en compte des publics « sensibles »
Dans l’exposé des motifs de l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Baby Loup, le
licenciement était notamment justifié par le fait que « ces enfants, compte tenu de leur âge,
n’ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires d’appartenance religieuse ».

38 Conseil d’Etat, 22 février 2007, section du contentieux, n° 264541 - Association du personnel relevant des
établissements pour inadaptés (APREI).
39 Franck Patrouillault, Le principe de laïcité dans les établissements sociaux et médico-sociaux privés. Publicum,
jeune blog de droit public, 6 février 2013.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  73

Dans le même sens, la délibération du 28 mars de la même année, la HALDE posait le
problème en ces termes :
« Les consultations font apparaître une spécificité du secteur social, médico-social et de la
petite enfance ainsi que du secteur privé hospitalier eu égard, d’une part aux missions d’intérêt
général dont ils ont la charge, du public concerné (enfants, personnes âgées) ou encore des
conditions d’exercice de leurs missions (interventions à domicile ou dans des établissements qui
constituent le domicile des usagers, relevant souvent de l’intimité de la personne.
Pour ces organismes, la question est posée de savoir si l’intérêt général qui sert de fondement
à leur action sur des publics particuliers devrait conduire à l’extension à leurs activités (et à leur
salariés) des obligations de neutralité afférentes au service public »40.
En ce qui concerne la protection de publics considérés comme influençables en raison
de leur jeune âge, de leur handicap ou plus généralement d’une situation de dépendance
vis-à-vis de l’imprégnation religieuse ou idéologique du milieu d’accueil, la Cour européenne
des droits de l’Homme a admis que la liberté de manifester sa religion pouvaient être
raisonnablement restreinte pour ce motif41.
Dans son avis du 1er septembre 2011, le HCI a proposé d’affirmer clairement que
« l’enfant a droit à la neutralité et à l’impartialité » en sorte que « le personnel des établissements
associatifs accueillant des enfants en mode collectif devrait respecter ces principes »42.
Des dispositifs tels que la charte -précédemment citée- des droits et libertés des
personnes accueillies dans les établissements privés du secteur social et médico-social
permettent sans doute, dans une certaine mesure, de répondre à ce besoin de neutralité
face à ces publics, en rappelant l’interdiction de les discriminer à raison de leurs convictions
et en aménageant un droit à un certain pluralisme confessionnel quelle que soit l’orientation
choisie par la structure d’accueil.
Quel qu’en soit le contexte, le problème est cependant bien réel et ne peut balayer
d’un revers de main comme en témoignent les difficultés de la mairie de Paris dans la
gestion de ses relations avec les crèches loubavitch (juives orthodoxes) qu’elle est amenée
à subventionner43.

40 Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, Délibération n° 2011-67 du 28 mars 2011,
Exposé des motifs : pratiques et cadre juridique. p.5.
41 L’affaire Dahlab c. Suisse (15 février 2001, n° 42393/98) opposait la direction d’une école suisse à une institutrice
qui s’était vu interdire le port du voile au motif de la préservation du sentiment religieux des élèves et de
leurs parents. La CEDH a estimé que la mesure n’était pas déraisonnable, compte tenu du fait que les enfants
concernés avaient entre quatre et huit ans, âge auquel les enfants sont plus facilement influençables que des
élèves plus âgés.
42 Haut Conseil à l’intégration, Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise. Avis du 1er septembre 2011, p. 18.
43 Jean-Guy Huglo, audition du 19 juin 2013.
74  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexe n° 6 : la détermination de l’existence
d’un service public
Le service public est défini en droit public comme une activité d’intérêt général assurée
ou assumée par une personne publique et régie, au moins partiellement, par des règles de
droit public. L’intérêt général constitue le critère matériel du service public et le rattachement
à une personne publique, le critère organique.
Lorsqu’une personne publique assure elle-même la mission d’intérêt général, la
question du rattachement ne se pose pas et l’existence du service public ne fait aucun doute.
La situation est beaucoup plus complexe lorsque la personne publique n’assure pas
elle-même le service public. La difficulté réside précisément dans le fait que les personnes
privées engagées dans une mission d’intérêt général ne le sont pas toutes sur délégation
d’une personne publique.
Lorsqu’il y a des doutes sur l’existence d’une gestion déléguée de service public, le juge
devra rechercher si une personne publique a eu l’intention de confier l’activité en question
à un tiers. Lorsque l’intention est celle du législateur, manifestée dans la loi, alors les choses
sont simples. Dans le cas contraire, le juge devra déterminer à partir d’un faisceau d’indices
(nature de l’activité, conditions de création, organisation et fonctionnement, obligations
imposées, contrôle de la réalisation des objectifs) si la personne privée est investie d’une
mission de service public (méthode que le Conseil d’Eétat a mise en œuvre dans l’arrêt Narcy
du 28 juin 1963).
Toutefois, le législateur peut aussi avoir écarté délibérément du champ des services
publics des organismes qui satisfont pourtant à la totalité des critères retenus par la
jurisprudence. C’est tout le sens de l’arrêt A.P.R.E.I du Conseil d’Etat, en date du 22 février
2007, dans le quel le juge, après avoir constaté que l’organisme réunissait pratiquement tous
les critères constitutifs d’une mission de service public, a considéré qu’« il résulte (…) des
dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a
entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des centres d’aide
par le travail revêt le caractère d’une mission de service public. ».

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  75

Annexe n° 7 : les propositions de lois sur le fait religieux
en entreprise
L’affaire de la crèche Baby Loup dont la première décision est intervenue le 13 octobre
2010 (Conseil de prud’homme de Mantes-la-Jolie) est à l’origine de plusieurs propositions
de loi visant à étendre le principe de laïcité au secteur privé au tout du moins au secteur
médico-social ou à la petite enfance. Pour autant, la commission Stasi de 2003, l’avis du Haut
Conseil à l’Intégration (HCI) de 2011 ou la HALDE à travers certaines de ses délibérations
avaient déjà proposé certaines recommandations, parfois reprises par les propositions de
loi.

De nombreuses initiatives parlementaires
Ces tableaux réunissent les différentes propositions de loi, dont la plupart interviennent
postérieurement à l’affaire Baby Loup, et les dispositions relatives à la réglementation du fait
religieux dans l’entreprise.
Proposition n° 710
7 février 2008
Jean GLAVANY
(Socialiste, radical,
citoyen et divers
gauche)

Résolution
31 mai 2011
Texte adopté n° 672

Proposition n° 56
(texte révisé)
28 octobre 2011
Françoise LABORDE
(Rassemblement
Démocratique et
Social européen)

Proposition visant à promouvoir la laïcité dans la République
Art. 6 : prévoir que dans les entreprises, après négociation entre les
partenaires sociaux, les chefs d’entreprise puissent réglementer les tenues
vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant
à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale à l’intérieur de
l’entreprise.
Estime nécessaire que le principe de laïcité soit étendu à l’ensemble
des personnes collaborant à un service public ainsi qu’à l’ensemble des
structures privées des secteurs social, médico-social ou de la petite enfance
chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général, hors le cas des
aumôneries et des structures présentant un caractère « propre » d’inspiration
confessionnelle.
Estime souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une
certaine neutralité en matière religieuse et notamment, lorsque cela est
nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire
à un vivre ensemble harmonieux.
Art. 1 : ajouter dans le Code de la santé publique (à l’art. L. 2324-1 al. 4) la
condition de neutralité dans les critères de qualification professionnelle
requis des personnes chargées de l’accueil des enfants de moins de 6
ans soit dans les crèches, haltes-garderies ou en qualité d’assistantes
maternelles, dans les secteurs privés ou public relevant de l’autorisation de
l’avis du président du conseil général, soit dans les centres de vacances ou
de loisirs relevant du préfet.
Art. 2 : modifier l’art. L.421-3 al.5 du Code de l’action sociale et des familles
sur l’agrément nécessaire pour exercer la profession d’assistant maternel ou
assistant familial afin d’y ajouter les conditions de neutralité et de respect
de la laïcité.

76  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Art. 1 : ajouter dans le Code de la santé publique (à l’art. L. 2324-1 al.3) la
condition de neutralité en matière religieuse aux établissements d’accueil
des enfants de moins de 6 ans lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière
publique.
Ajouter à ce même article un alinéa permettant aux établissements et
services ne bénéficiant pas d’une aide financière publique d’apporter
certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au
contact d’enfants. Ces restrictions seraient régies par l’art. L. 1121-1 du Code
du travail et devraient figurer dans le règlement intérieur ou à défaut dans
une note de service.

Proposition n° 593
16 janvier 2013
Roger-Gérard
SCHWARTZENBERG
(Président du
groupe Radical,
républicain,
démocrate et
progressiste)

Prévoir l’inapplicabilité de ces deux dispositions aux personnes morales de
droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du
public intéressé (entreprises de tendance). Cependant, si l’établissement
bénéficie d’une aide financière publique, il lui serait fait obligation d’accueillir
tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance de leurs
représentants légaux.
Art. 2 : dans le cadre des dispositions sur les mineurs accueillis hors du
domicile parental, création de l’art. L. 227-1-1 imposant une obligation de
neutralité en matière religieuse aux établissements bénéficiant d’une aide
financière publique.
Prévoir la possibilité pour les établissements ne bénéficiant pas d’une
aide publique la possibilité d’apporter certaines restrictions à la liberté
d’expression religieuse de leurs salariés au contact des mineurs (dans la
limite de l’art. L. 1121-1 du Code du travail et figurant dans le règlement
intérieur ou à défaut une note de service).
Prévoir l’inapplicabilité de ces deux dispositions aux entreprises de tendance
– mais imposer à celles-ci, lorsqu’elles bénéficient d’une aide financière
de l’Etat, l’accueil de tous les enfants mineurs, sans distinction d’origine,
d’opinion ou de croyance.
Art. 3 : Création d’un art. L. 423-22-1 au Code de l’action sociale et des
familles (concernant les assistants maternels) prévoyant qu’à défaut de
stipulation contraire inscrite dans le contrat qui lie le particulier employeur
à l’assistant maternel, celui-ci est soumis à une obligation de neutralité en
matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants.
Art. 1 : ajouter à l’art. L. 1121-1 du Code du travail : Nul ne peut apporter
aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de
restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir
par des impératifs tenant à la sécurité, à la santé, à la neutralité à l’égard
de toutes les opinions ou croyances en fonction des tâches exercées ni
proportionnées au but recherché.

Proposition n° 865
28 mars 2013
Eric CIOTTI
(UMP)

Art. 2 : ajouter à l’art. L. 1321-3 du Code du travail : Le règlement intérieur
ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu’aux stipulations
des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise
ou l’établissement
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés
individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par
la nature de la tâche à accomplir par des impératifs tenant à la sécurité, à
la santé, à la neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances en
fonction des tâches exercées, ni proportionnées au but recherché ;
[…]

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  77

Proposition n°864
28 mars 2013
Philippe HOUILLON
(UMP)

Proposition n° 998
24 avril 2013
Christian JACOB
(Président du
groupe UMP)

Proposition n° 1027
15 mai 2013
Jacques MYARD
(UMP)

Art. 1 : L’article L. 1121-1 du Code du travail est complété par l’alinéa suivant :
« Sont réputées ainsi justifiées les restrictions aux droits et libertés susvisés
de nature à garantir en toutes circonstances aux usagers, à la clientèle et aux
salariés de l’entreprise le respect des principes de laïcité et de neutralité ».
Art. 2 : L’article L. 1321-3 du Code du travail (relatif au règlement intérieur) est
complété par l’alinéa suivant : « Sont réputées ainsi justifiées les restrictions
aux droits et libertés susvisés de nature à garantir en toutes circonstances
aux usagers, à la clientèle et aux salariés de l’entreprise le respect des
principes de laïcité et de neutralité ».
Art. 1 : L’art. L. 1121-1 du Code du travail est complété par : « Sont légitimes,
dès lorsqu’elles sont justifiées par la neutralité requise dans le cadre des
relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et
proportionnées au but recherché, des restrictions visant à réglementer
le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance
religieuse ».
Art. 2 : Le 2° de l’article L. 1321-3 du Code du travail est complété par :
« Sont légitimes, dès lors qu’elles sont justifiées par la neutralité requise
dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement
de l’entreprise et proportionnées au but recherché, des restrictions
visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une
appartenance religieuse ».
Article unique : Insérer après l’article L. 1121-1 un article L. 1121-1 bis qui
prévoirait : « Au sein de l’entreprise, afin de préserver l’harmonie sociale,
tout salarié s’abstient du port de signe ou tenue vestimentaire ostensible
d’appartenance religieuse.
Il s’abstient également de toute manifestation d’activités affichant une
appartenance religieuse.
Le règlement intérieur de l’entreprise mentionne expressément l’obligation
de neutralité en matière de croyance à cette fin.
Le présent article ne s’applique pas aux entreprises à vocation
confessionnelle ».

Commentaires
La proposition de loi de 2008 reprend une des préconisations
de la commission STASI (2003) et du HCI
La proposition de loi de Jean Glavany (2008) visant à promouvoir la laïcité dans
la République prévoit dans son article 6 la tenue d’une négociation d’entreprise entre
l’employeur et les partenaires sociaux afin de réglementer les tenues vestimentaires et
le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la
clientèle et à la paix sociale à l’intérieur de l’entreprise.
En ce sens, cette proposition est très proche de celle émise par le rapport de la
commission Stasi en 2003 qui recommandait déjà « qu’une disposition législative, prise après
concertation avec les partenaires sociaux, permette au chef d’entreprise de réglementer les
tenues vestimentaires et le port de signes religieux, pour des impératifs tenant à la sécurité, aux
contacts avec la clientèle, à la paix interne ». Le Haut conseil à l’intégration (HCI) a formulé une
recommandation similaire.

78  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Plusieurs propositions de loi visent à étendre
le principe de laïcité au secteur associatif
Plusieurs propositions s’attachent à étendre le domaine de la laïcité au secteur médicosocial, à celui de la petite enfance ou des personnes âgées dépendantes (appelés « publics
sensibles » par la Halde ou le HCI). La proposition de loi de Françoise Laborde qui vise à
imposer un devoir de neutralité aux personnes chargées de l’accueil des enfants de moins
de 6 ans - dans les crèches, haltes-garderies ou en qualité d’assistant(e)s maternel(le)s. Celle
de Roger-Gérard Schwartzenberg qui envisage aussi la possibilité de restreindre la liberté
d’expression religieuse alors même que l’établissement d’accueil ne reçoit aucune aide
publique.
Ces propositions s’inspirent en partie des recommandations de la Halde (délibération
n° 2011-67 - 28 mars 2011). En effet, celle-ci recommande d’« examiner l’opportunité d’étendre
aux structures privées des secteurs social, médico-social et de la petite enfance chargée de
missions de service public ou d’intérêt général, les obligations notamment de neutralité qui
s’imposent aux structures publiques de ces secteurs ».
De même, le HCI, dans son rapport de 2011, préconise également d’appliquer les
règles de neutralité et d’impartialité aux personnels des établissements privés associatifs ou
d’entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, dans des crèches
ou haltes garderies. Pour le HCI, qui affirme clairement que « l’enfant a droit à la neutralité
et à l’impartialité », le principe de laïcité régissant les services publics « doit être étendu aux
structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance, chargées d’une
mission de service public ou d’intérêt général ».
Sur ce point, la proposition parlementaire de janvier 2013 préconise de distinguer d’une
part la condition de neutralité des établissements d’accueil des enfants de moins de 6 ans
lorsqu’ils bénéficient d’une aide publique, et la simple possibilité d’apporter des restrictions
à la liberté religieuse lorsque l’établissement ne bénéficie pas d’une aide publique.

Certaines propositions de loi vont même jusqu’à préconiser
une extension du principe de neutralité à l’entreprise privée
Des propositions de loi voudraient restreindre la liberté religieuse au sein de l’entreprise
en le prévoyant explicitement dans le Code du travail. C’est ainsi que :
– La proposition d’Eric Ciotti permettrait la restriction à une liberté individuelle pour
des impératifs tenant à la neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances.
– La proposition de Philippe Houillon pose une présomption de légalité des
restrictions aux droits et libertés susvisés de nature à garantir en toutes
circonstances aux usagers, à la clientèle et aux salariés de l’entreprise le respect
des principes de laïcité et de neutralité.
– La proposition de Christian Jacob légitime les restrictions visant à réglementer le
port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse lorsqu’elles
sont justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public
ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au
but recherché.
– La proposition de Jacques Myard prévoit que le salarié s’abstient du port de signe
ou tenue vestimentaire ostensible d’appartenance religieuse.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  79

Des restrictions plus ou moins étendues selon les propositions
Si ces propositions de loi tendent toutes à un encadrement plus strict du fait religieux
en entreprise, les restrictions sont plus ou moins étendues selon les propositions.
Par exemple, la proposition n° 1 prévoit l’encadrement des « tenues vestimentaires et le
port de signes religieux », tandis que la proposition n° 7 propose de réglementer « le port de
signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse ».
En revanche, la question de la prise de congé pour fêtes religieuses n’est pas
explicitement abordée par les différentes propositions de loi.
A cet égard, la commission Stasi de 2003 avait proposé de prendre en considération les
fêtes les plus solennelles des religions les plus représentées. Devraient ainsi être reconnus
comme jours fériés dans l’entreprise, le Kippour, l’Aïd-el-kébir, le Noël orthodoxe ou des
chrétiens orientaux. Ces jours de congé seraient substituables à un autre jour férié, à la
discrétion du salarié mais après concertation avec les partenaires sociaux et en tenant
compte des spécificités des petites et moyennes entreprises. La commission Stasi fait
d’ailleurs savoir que cette « pratique du crédit du jour férié est déjà courante dans certains pays
ou organisations internationales comme l’ONU ».
Reprise par l’ANDRH qui souhaite un débat sur la neutralisation de trois des six jours
fériés d’origine chrétienne afin que les salariés puissent les prendre comme ils le souhaitent
(sous réserve des nécessités de services et/ou des caractéristiques de l’entreprise), cette
proposition n’a pourtant pas été reprise par les différentes propositions de loi.

80  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Annexe n° 8 : les guides pratiques
sur la diversité religieuse
La lecture comparée des guides aboutit au constat de leur grande similitude au niveau
de conception ainsi que du traitement de la problématique44. Cela peut s’expliquer en
partie par le fait que les entreprises s’inspirent des mêmes outils45, ou font appel aux mêmes
cabinets d’experts46.

Les objectifs poursuivis par ces différents guides
L’objectif affiché de ces guides est d’aider les managers à faire face aux situations
concrètes qu’ils rencontrent de façon opérationnelle. Conçus de façon pratique, ces
documents sont brefs (ils comportent entre 10 et 35 pages) et simples d’utilisation au moyen
d’une présentation claire et structurée. Dans l’ensemble, la problématique centrale est la
même : comment parvenir à respecter la croyance des employés tout en tenant compte des
exigences du travail en équipe et des impératifs de l’entreprise ?
Ces guides s’adressent principalement aux managers opérationnels et aux responsables
des ressources humaines qui sont les premiers concernés par les revendications à caractère
religieux de leurs collaborateurs. Les guides s’articulent selon le plan type suivant : une partie
introductive qui justifie la publication d’un tel guide ; un rappel des textes de référence ; la
présentation de la posture à adopter face à une revendication religieuse ; des situations
types analysées sous forme de question-réponse ; une rubrique « contact » qui permet au
lecteur d’aller plus loin ou de solliciter des conseils.
Le côté pratique de ces documents se manifeste en particulier dans la partie consacrée à
la juste posture du manager face à des demandes. Il y est rappelé qu’il ne s’agit pas de porter
un jugement sur le bien-fondé des pratiques religieuses en question mais bien d’évaluer la
compatibilité de ces pratiques avec le bon fonctionnement de l’entreprise.
Cette attitude souligne la distance à l’objet même qu’est la conviction religieuse, ou
le contenu de la demande qui y est associée. Il s’agit aussi de permettre au manager de
parvenir à gérer le « vivre ensemble », le « travailler ensemble » au sein de son équipe. C’est
pourquoi les guides proposent des mises en situation aisément transposables à ce qui se vit
dans les services.
A l’exception du groupe Casino qui propose dans son guide un panorama succinct
des grandes religions, les guides ne délivrent pas de savoir sur les religions. Ils invitent les
managers à prendre des décisions en mettant de côté leurs stéréotypes, sans entrer dans des
débats doctrinaux ou de pratiques religieuses. S’il va de soi que l’entreprise ne doit pas être
le théâtre de tels débats, on peut se demander cependant si un minimum de connaissances
sur les religions, ou pour le moins une réflexion sur la dimension spirituelle de l’homme
et la place du religieux dans la vie des croyants, sur les considérations pragmatiques
et contextuelles des religions quant aux situations (l’usage de la dispense), n’est pas

44 Notons que peut d’entreprises en France disposent de guides consacrés spécifiquement à la question religieuse.
Nous avons eu accès aux guides des entreprises suivantes : La Poste, Groupe Casino, France Télécom Orange,
IBM France et EDF.
45 Par exemple le guide conçu par l’IMS - Entreprendre pour la Cité, Gérer la diversité religieuse dans l’entreprise.
46 Source : Entreprises et diversité religieuse, ouvrage collectif dirigé par Thierry-Marie Courau, AFMD, mars 2013.
LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  81

souhaitable. Il ne s’agit pas de donner des leçons ou juger du contenu de la demande au lieu
d’apprécier la situation dans l’objectivité des contraintes légales et de celles de l’entreprise.
La lecture des différents guides indique que la notion de laïcité est rarement explicitée.
Un grand nombre de difficultés posées par l’appréhension du fait religieux viennent
souvent d’une méconnaissance de ce concept qui, il faut le reconnaître, est à interprétations
multiples. Des croyants pourront penser que la laïcité est hostile à la foi religieuse et d’autres
seront persuadés que la laïcité consiste à bannir la religion de l’espace public. Il ne semble
pas inutile de rappeler que la laïcité est un principe fort qui reconnaît à chacun la liberté
de croire ou de ne pas croire, qu’il est un principe naturellement bienveillant vis-à-vis de
la religion qui vise à faciliter un « vivre ensemble » harmonieux, y compris en entreprise.
L’insertion d’une partie consacrée à une meilleure explication de la notion de laïcité pourrait
aider à clarifier les enjeux des guides et en permettre une meilleure compréhension.

Les approches spécifiques à chaque guide
ٰ France Télécom Orange
Le document de France Télécom Orange sur « la gestion de la manifestation de
convictions religieuses dans l’entreprise » a été élaborée pour « donner aux managers tous les
éléments pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent, qu’elles soient de type relationnel
entre collaborateurs de différentes confessions, liées au port de signes ostentatoires, des
demandes de lieux de prière, d’aménagement d’horaires, des exigences du respect des
préceptes d’une confession par l’ensemble des membres d’une équipe ». L’entreprise prend
ainsi au sérieux les évolutions présentes et futures de la société française marquée de plus
en plus par le métissage de cultures et de confessions. Face aux demandes croissantes des
salariés pour des motifs religieux, il s’agit d’élaborer une position claire et équitable.
Le document n’hésite pas à aborder des points litigieux comme l’inégalité de traitement
des employés selon leur religion. En effet, en fonction de la religion qu’il déclare, l’employé
n’a pas le même nombre de jours de congé (en raison des « autorisations spéciales
d’absences » octroyées à celles et deux dont les fêtes religieuse ne correspondent pas avec
des jours fériés). Ce guide a l’ambition d’aborder toutes les questions, y compris celle qui
sont parfois perçues comme épineuses. Par exemple, une partie du guide suggère qu’il
n’est pas question d’accepter la revendication de certains clients de n’être servi que par des
employés du même sexe.
ٰ Groupe Casino
Le guide Gérer la diversité religieuse en entreprise présente plusieurs particularités dans
sa façon de traiter des questions religieuses. Fort de son slogan « Nourrir un monde de
diversité », le fait religieux est d’abord considéré comme une richesse plutôt que comme
une problématique à gérer. Partant de ce principe, Casino souhaite que son document soit
aussi un outil pour permettre de mieux se connaître. Aussi l’entreprise a-t-elle fait le choix
d’intégrer des fiches de présentation des grandes religions. L’interlocuteur d’un croyant peut
ainsi disposer d’un minimum d’informations sur sa religion.
ٰ La Poste
Le guide Fait religieux et vie au travail, quelques repères commence par rappeler
l’encadrement juridique relatif aux convictions religieuses. Il définit ainsi le principe de laïcité
et énonce les critères de la Halde permettant aux employeurs d’encadrer la liberté religieuse.
82  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

Dix situation concrètes sont ensuite présentées, suivies chaque fois ‘une réponse précise
apportée au manager, principalement basée sur le droit du travail et les critères de la Halde.
L’acte de management est également mis en avant et il est rappelé que la réponse à toute
demande ou situation relative à des convictions religieuses doit se faire indépendamment
du motif, les règles à respecter étant le droit du travail et la compatibilité avec l’organisation
du travail.
Les réponses des managers devront prendre en compte le respect de principes liés aux
spécificités de La Poste come la neutralité du postier et du service rendu au client, et la
continuité du service.
ٰ EDF
Le guide Repères sur le fait religieux dans l’entreprise à l’usage des managers et des
responsables RH a été conçu comme une réponse à l’émergence « des pratiques, des
demandes ou des réactions de salariés liées à l’affirmation de convictions religieuse », ce qui a
été constaté lors d’une étude menée en interne en 2008 sur le fait religieux au travail. Destiné
aux managers et au responsables RH, le document vise à les aider à « traiter des demandes
concrètes de salariés ou de prestataires », « dans le respect de la loi et des recommandations
de la Halde, dans le respect des personnes et de leurs droits fondamentaux ».
Avant de présenter, à l’instar d’autres guides, les situations et demandes concrètes
auxquelles les managers peuvent être confrontés au quotidien, le guide d’EDF propose
une grille de critères qui sert à aborder la question religieuse au travail. Les deux familles
de critères relatifs à la protection des individus et à la bonne marche de l’entreprise
permettent ainsi de lire et d’interpréter toute demande des salariés, fournissant un appui
pour les cas non mentionnés dans le guide. Chaque situation doit être évaluée cas par cas
de « façon circonstanciée, dans le cadre spécifique de l’activité, d’une mission et d’impératifs
commerciaux particuliers ». Et l’on retrouve le même principe qui consiste à ne pas évaluer
le bien-fondé des pratiques en elles-mêmes mais leur compatibilité avec le travail. L’examen
des cas concrets typiques est suivi de la présentation des textes de loi et principaux cas de
jurisprudence dressant un tableau assez complet du traitement légal de ces questions.
ٰ IBM France
Le support élaboré par IBM France sur le fait religieux est original sur plusieurs points.
Premièrement, en raison de la forte dimension internationale de l’entreprise. La mobilité des
collaborateurs est forte : les équipes multi-culturelles sont donc une réalité. Le document a
pour vocation d’informer les managers, qu’ils soient locaux ou venus d’ailleurs, et de faire
connaître le principe de laïcité qui prévaut en France. En outre, cet écrit s’insère dans un
dispositif global de gestion de la diversité où l’on trouve de nombreux autres médias comme
des forums sur internet, des formations et des newsletters. Cet ouvrage, qui a déjà fait l’objet
d’une évaluation et d’une réactualisation, constitue un outil avec lequel et autour duquel le
service diversité entend faire vivre un dialogue pour que la question soit connue de tous et
gérée de façon sereine.

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  83

Annexe n° 9 : table des sigles
CAF

Caisse d’allocations familiales

CESE

Conseil économique, social et environnemental

CEDH

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des
libertés fondamentales

CHSCT

Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail

CPAM

Caisse primaire d’assurance maladie

DRH

Directeur des ressources humaines

HALDE

Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité

HCI

Haut conseil à l’intégration

IRP

Instance représentative du personnel

OFRE

Observatoire du fait religieux en entreprise

MIG

Mission d’intérêt général

RH

Ressources humaines

SPIC

Service public industriel et commercial

84  AVIS DU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL

LE FAIT RELIGIEUX DANS L'ENTREPRISE  85

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Pour une politique de développement du spectacle vivant : l’éducation artistique et culturelle
tout au long de la vie



Réfléchir ensemble à la démocratie de demain



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Imprimé par la direction de l’information légale et administrative, 26, rue Desaix, Paris (15e)
d’après les documents fournis par le Conseil économique, social et environnemental
No de série : 411130025-001013 – Dépôt légal : novembre 2013
Crédit photo : shutterstock
Direction de la communication du Conseil économique, social et environnemental

LES AVIS
DU CONSEIL
ÉCONOMIQUE,
SOCIAL ET
ENVIRONNEMENTAL

La diversité de notre environnement humain et relationnel, aujourd’hui sans précédent, constitue
une marque d’ouverture et une source d’enrichissement culturel. Cette diversité se retrouve dans
le monde du travail et se traduit dans le champ des convictions et des pratiques religieuses des
employeurs et des salariés.
Le CESE s’efforce de cerner, dans la première partie de son avis, la réalité de la notion de fait
religieux dans l’entreprise tant à partir des règles juridiques applicables qu’à partir des faits
rapportés et analysés par différents observateurs. Il consacre la deuxième partie du document à
des recommandations visant à faciliter l’accès aux règles de droit en vigueur et à promouvoir de
bonnes pratiques s’appuyant sur l’implication des acteurs de l’entreprise.

CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL
ET ENVIRONNEMENTAL
9, place d’Iéna
75775 Paris Cedex 16
Tél. : 01 44 43 60 00
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No 41113-0025 prix : 12,90 €
ISSN 0767-4538 ISBN 978-2-11-120934-3

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légale et administrative
Les éditions des Journaux officiels
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